RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (62)

RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (62)

26/08/2020

ANTE SCRIPTUM : à défaut d’interdire la bêtise, ce qui parait être une mesure trop impopulaire pour être applicable, ne serait-il pas temps d’interdire le football ?

Jeu de l’excipit

premier concurrent 

A ce jour, le Journal des Coutheillas a reçu 4 textes répondant aux règles du jeu de l’excipit proposé.
Ces textes vont être publiés de façon anonyme dans le cadre des Rendez-vous à cinq heures à raison d’un texte tous les deux jours. Si d’autres textes devaient être reçus par la suite, ils seraient publiés à la suite dans le même cadre.
Pour éviter de froisser quelques susceptibilités et de flatter quelques ego, on ne demandera pas aux lecteurs de classer ces textes par ordre de préférence. On leur demandera seulement, quand le temps sera venu, d’en reconnaitre leurs auteurs dont la liste sera fournie également en temps utile.

On rappelle pour les retardataires qu’ils s’agissait d’écrire un texte original se terminant obligatoirement par les lignes suivantes :

Par la fenêtre du salon, Sassi Manoon regarda les feux du yacht disparaitre dans la nuit. Un des policiers vint lui tenir compagnie.
— Voyez-vous, miss Manoon, dit-il au bout d’un instant, ce sont des jeunes gens comme ceux-là qui me donnent confiance en l’avenir.
— Pour moi aussi, dit Sassi Manoon, c’est la même chose.

Voici donc le premier texte :

SASSI MANOON 1

Résumé

Bien sûr, Sassi avait perdu son mari dans l’affaire mais pas son honneur, et encore moins son avenir matériel, tous les deux intacts grâce à ces deux jeunes garçons. Personne ne saurait, et surtout pas la police, l’origine du drame : un adultère banal avec deux morts accidentelles, enfin presque.

Longtemps, Sassi Manoon ne s’était pas levée de bonne heure et son mari ne semblait guère s’en soucier. Ses affaires brassant des sommes considérables avaient du lui faire oublier la nonchalance de sa femme qu’il aurait réprouvée et combattue s’il en avait eu connaissance. Mais il ne le savait pas ou feignait de ne pas le savoir.

Sassi Manoon et Francis Charlus Jr. s’étaient rencontrés dans une garden-party un peu pincée pour ne pas dire snob chez les parents du jeune homme, de riches milliardaires new yorkais dont la vaste demeure avec ascenseur et climatisation ressemblait à un vacherin à la vanille soutenu par des colonnes doriques. Les deux jeunes gens avaient sympathisé sur les pelouses dont la coupe rase dépassait en perfection celle de leurs golfs préférés. Lui, Francis Charlus Jr., récent diplômé en économie, avait eu un cursus universitaire brillant au MIT et revenait d’un stage à la City de Londres chez JP Morgan auréolé des félicitations de ses employeurs dans un établissement bancaire traitant des transactions financières au plus haut niveau européen. Sassi, elle, d’une intelligence remarquable mais pragmatique, n’avait pas été une mauvaise élève mais elle s’intéressait surtout à la lecture, aux voyages et aux flirts qui occupaient la majeure partie de son temps. Bien que personne de son entourage ne le sut, elle avait abandonné ses études d’Histoire de l’Art et ses parents mortifiés se seraient suicidés plutôt que de l’avouer à leurs amis de la bourgeoisie new yorkaise. Leur fille unique voyageait donc « pour ses études » et il faut reconnaître qu’elle se cultivait fort bien : Paris, Rome, Venise, Monte Carlo, Saint-Tropez et Saint-Germain-des-Prés n’avaient plus de secrets pour elle ; elle en connaissait tous les quartiers intéressants, les rues branchées et les boîtes de nuit. On aurait pu dire que c’était une fille à papa et ce n’aurait pas été très éloigné de la réalité. Sassi avait une autre qualité elle aussi plus utile que respectable : c’était une personnalité caméléon capable de se calquer exactement sur son interlocuteur, c’est-à-dire qu’elle devenait la jeune fille que son interlocuteur désirait avoir en face de lui et même dans son lit. Ses malheureux parents ignoraient le redoutable pouvoir de séduction de leur chère et unique fille qui leur manquait plus d’un mois sur deux. Et pour cause.

Entre eux, ce fut un véritable coup de foudre mais pour des raisons différentes. Aux yeux de Francis, Sassi était belle et aux yeux de Sassi, Francis était riche. Avec un futur mari obnubilé par ses affaires, elle entrevoyait un avenir radieux où elle pourrait continuer à mener sa vie de plaisir aux quatre coins du monde. Le mariage fut conclu vite fait bien fait. Par chance, son mari ne souhaitait pas avoir d’enfants tout de suite en raison de ses incessants voyages professionnels à l’étranger.

N’étant lui-même jamais à New York, Francis encouragea Sassi à s’inscrire à l’Ecole du Louvre à Paris. C’est par l’intermédiaire d’un ami d’enfance, Léo Gillepsie, en année sabbatique depuis plus de trois ans rue Mouffetard où il chantait tous les soirs de la musique folk en s’accompagnant à la guitare et en recevant des pourboires substantiels, qu’elle fit la connaissance et tomba éperdument amoureuse de Philip Couthey, son camarade sorti d’Harvard avec un diplôme fort prisé en Engineering for Bridges and Socks. Léo Gillepsie, pourtant assez séduisant lui aussi avec sa barbe clairsemée et son bonnet de boy scout, ne parvint jamais à en comprendre la raison parce que Philip, malgré son visage d’angelot puritain, était selon lui un garçon d’une rare vulgarité : il parlait, disait Léo, comme un « charretier », terme désuet qui veut bien dire ce qu’il veut dire. Quant à son teint hâlé même en hiver, il le devait à un job lucratif de skipper occasionnel à bord de somptueux yachts cabotant en Méditerranée, de préférence. Leur première rencontre eut lieu à la terrasse ensoleillée d’un café donnant sur les grilles alors vierges du Jardin du Luxembourg, non loin du Panthéon. Les photos de l’époque confirment le charme irrésistible de Couthey dont les yeux bleus et le sourire enjôleur eurent raison en moins de dix minutes des scrupules de la jeune mariée. Léo abandonna à contrecœur son duplex aux deux tourtereaux.

Ils se donnèrent rendez-vous à l’automne dans la propriété au bord de l’Hudson du jeune couple dont, comme on l’a vu, le mari était absent la plupart du temps. Par un concours de circonstances qu’il serait fastidieux de relater ici, Francis revint de Hong Kong à l’improviste et découvrit les deux amants au bord de la piscine en train de faire ce que les français appellent des « galipettes ». Léo, discret comme à son habitude et indifférent au drame qui se jouait à quelques mètres de lui, continuait à gratter sa guitare. L’intelligence supérieure de Francis lui fit entrevoir dans la seconde le ridicule de sa situation. Il se précipita à l’intérieur de la maison et en ressortit avec un colt P3501 offert par sa (peu) fidèle épouse. Pour des anglicans, la scène autour de la piscine d’un bleu-turquoise hockneyen avait un et même deux côtés surréalistes : côté gauche, un homme d’affaire en costume-cravate armé d’un revolver de la guerre de sécession et, côté droit, deux amants nus comme des vers et un guitariste barbu fredonnant en boucle la première strophe d’un vieil air folk, The House of the Rising Sun, quelque peu déplacé dans ce contexte :

There is a house in New Orleans
They call the Rising Sun

And it’s been the ruin of many a poor Boy
And God I know I’m one

C’est alors que Donald, le jardinier des Charlus, arriva pour l’entretien de la piscine. Francis eut le tort de se retourner et Philip en profita (c’était un habitué des sports de combat) pour se jeter sur lui et retourner l’arme vers son cœur. Le coup partit et le tua net. Heureusement, Philip n’avait pas que des qualités de skipper, de close-combattant et d’Engineering in Bridges and Socks ! II avait aussi une connaissance inouïe des polars américains de série B et savait comment réagir de manière rapide, élégante et efficace dans toute situation compromettante. Se saisissant du colt avec la serviette de bain, il s’en servit pour abattre sans hésitation l’innocent jardinier puis le plaça dans sa main déjà glacée. Il téléphona ensuite au commissariat pour signaler le drame meurtrier survenu au domicile des Charlus Jr. En pleurs mais en tenue décente, Sassi expliqua aux policiers que le jardinier Donald, pris d’une folie meurtrière inexplicable (encore qu’on lui savait un goût immodéré pour le brandy), avait abattu Francis et envisageait de lui faire subir le même sort quand survint par le plus grand des hasards Léo, son ami d’enfance, accompagné de Philip qui, après une lutte inégale tant ses qualités physiques étaient supérieures, prit le dessus sur lui mais ne put empêcher le coup de partir tout seul. Le jardinier dément s’effondra, mort à son tour. L’enquête confirma point par point la version mensongère des deux amants d’autant que Donald, le fidèle jardinier, n’était pas blanc comme neige, ce qui, dans ce pays traditionnaliste, n’était pas non plus à son avantage.

Philip, accompagné de Léo, prit la mer peu de temps après pour convoyer un yacht de New-York à Miami. Ils passèrent devant la propriété des Charlus Jr. au bord de l’Hudson d’où la jolie Sassi put les voir s’éloigner. Ce soir-là, elle était en compagnie d’un policier venu soi-disant lui soutenir le moral.

Par la fenêtre du salon, Sassi Manoon regarda les feux du yacht disparaitre dans la nuit. Un des policiers vint lui tenir compagnie.
— Voyez-vous, miss Manoon, dit-il au bout d’un instant, ce sont des jeunes gens comme ceux-là qui me donnent confiance en l’avenir.
— Pour moi aussi, dit Sassi Manoon, c’est la même chose.

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