LE CUJAS (15)

(…) Et au lieu de se foutre de ma gueule, je vois Sammy qui sourit et qui dit : « Écoute petit, calme-toi. Roger va te lâcher doucement, tu vas te détendre, tu vas respirer un bon coup et on va tous les trois aller boire un scotch à ta santé. » Voilà, c’était ma rencontre avec Sammy. Un vrai gentleman, Sammy. C’est cette nuit-là qu’on est devenus copains, plus que ça, même, amis, à la vie, à la mort… jusqu’à ce que les fridolins…mais ça, je vous l’ai déjà dit.

Chapitre 5 — Achir Soltani

Deuxième partie

Ben, après, on a commencé à travailler ensemble. On faisait des vols à la roulotte, des cambriolages, des trucs pas trop méchants. Mais de temps en temps, la nuit, à Pigalle, on braquait le bourgeois en goguette. Sammy donnait aussi dans le racket pour le compte du Suédois. Alors je l’accompagnais. Avec ses beaux costumes, son air gentil et sa voix douce, y en avait pas beaucoup des comme lui pour flanquer la frousse aux mauvais payeurs. Le Suédois était content des résultats. Un soir, y a Sammy qui me dit : « Faut qu’on passe à l’Auberge Landaise. Y parait que le patron du bistrot est récalcitrant ! » En fait de patron récalcitrant, quand on est arrivé, toute la bande était là, verre en main et le Suédois au milieu. « Faites péter le champagne ! » qu’il criait. La fête, c’était pour moi, j’étais accepté officiellement dans la bande. Le plus beau jour de ma vie… Même que pour vexer personne, j’ai dû boire deux verres de Dom Pérignon. Membre officiel de la bande du Suédois, à même pas dix-sept ans ! Ça voulait dire que personne n’oserait plus me toucher ni même me manquer de respect. Ça voulait dire que j’aurai toujours du boulot, que je serai toujours protégé par les gars de la bande et en cas de besoin, que je serai défendu par les avocats du Suédois. Le début de la réussite, quoi ! Grace à Sammy, tout ça ! Quand je pense que ces salauds de boches… Enfin…

C’est Sammy qui m’a tout appris. D’abord c’est lui qui m’a fait connaitre ma première femme. Vous me croirez si vous voulez, mais quand j’ai rencontré Sammy, j’étais encore puceau. D’ailleurs, je crois bien que dans la bande de Nanterre, on était tous à peu près dans le même cas. Oh, c’est sûr que le soir, sur la péniche, les mecs se vantaient de leurs prouesses avec les filles, mais personne n’y croyait vraiment. Quand Sammy a compris que j’avais jamais connu le grand frisson, il m’a emmené rue Delambre, là où les filles sont plus chic qu’à Pigalle ; il a choisi pour moi, il a payé et il m’a dit : « Vas-y, mon gars et prends ton temps. Je t’attends au Rosebud.  » Ben, ça, j’ai jamais oublié. C’est des trucs qui soudent, vous trouvez pas ?

Après, il m’a appris à m’habiller. C’est qu’il avait une sacrée classe, Sammy. Regardez sur la photo… la veste bleue à reflets, la cravate verte, le chapeau mou de chez Motsch … vous voyez la recherche, l’élégance ? Et encore, on voit pas le pantalon ! Assorti à la cravate, qu’il était. La classe ! C’est lui qui m’avait fait acheter la veste marron et le gilet bleu que j’ai sur la photo. Pas mal, hein ? Moi, je voulais m’acheter aussi un feutre de chez Motsch comme le sien mais il pas voulu. Il disait que c’était pas mon style, mais moi, je savais bien qu’il voulait pas que j’ai l’air distingué comme lui, et qu’il aimait mieux que je porte la casquette. Mais j’étais pas jaloux, je lui en voulais pas. C’était mon boss, après tout. Alors, j’ai acheté la casquette marron. Je l’ai portée longtemps, celle-là. C’est pour ça que dans le milieu, on s’est mis à m’appeler Casquette, même après quand j’en ai plus porté. Après, il m’a donné des conseils pour trouver une fille et la mettre au boulot. Lui, il en avait deux, Louise et Simone. Je crois bien que ni l’une ni l’autre, elles n’ont jamais su qu’elles se partageaient le même mec. Je me souviens, il disait : « Tu traines le matin du côté de Montparnasse ou de Saint-Lazare — ah ben oui, c’est ça le problème, faut se lever de bonne heure — et tu repères une fille qu’a l’air un peu perdue et tu l’entreprends gentiment. « Bonjour, Mademoiselle, il fait beau, hein ? » ou alors « Vous êtes perdue ? je peux vous aider ? » L’essentiel, c’est qu’elle réponde quelque chose, n’importe quoi, mais quelque chose, et là, tu embrayes et c’est à moitié gagné. » Il disait aussi : « Si elles sont deux, c’est pas plus mal. Elles se sentent plus en confiance. Mais ce qui est le plus important, c’est de prendre son temps, pas leur faire peur, être gentil, poli, drôle, amoureux. Et puis, un jour, tu sens que tu peux lui demander de se mettre au turbin. Souvent, au début, elles râlent, elles veulent pas. Et là, c’est à toi de voir : tu cognes tout de suite ou tu laisses passer deux ou trois semaines avant d’en reparler. Ça finit toujours par marcher… » Ma première, on l’a draguée ensemble. Elle s’appelait Mauricette. On l’a bien travaillée à deux, et au moment de conclure, il s’est écarté. Un vrai gentleman, Sammy. Mauricette, je l’ai gardée un an et puis, dette de jeu, dette d’honneur, je l’ai refilée à Max, le gorille du Suédois. Elle doit être à Tanger à l’heure qu’il est, ou ailleurs, va savoir.

A SUIVRE

 

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