RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (31)

RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (31)

15/06/2020

Cadavres exquis

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Ils découvrirent les cadavres dans une tranchée, à l’extrême limite nord du quartier dépendant du commissariat. La compagnie du téléphone avait éventré la chaussée, la veille en début de matinée, afin de réparer des câbles souterrains. Les ouvriers avaient terminé leur travail à la tombée de la nuit, alors que la température était tombée en dessous de zéro. Ils avaient provisoirement recouvert le trou de planches et l’avaient encerclée de barrières équipées de feux clignotants afin de tenir les voitures à distance de la longue et étroite tranchée. Quelqu’un avait arraché les planches et jeté les six corps dans le trou. Deux flics qui patrouillaient aux environs des quais à bord de leur voiture-radio repérèrent la brèche dans le revêtement de planches et braquèrent leurs torches électriques dans la tranchée. C’était un 6 janvier, à trois heures du matin. À trois heures dix, les inspecteurs Al Corbaccio et Bertram Winter étaient sur les lieux.

Un enchevêtrement de câbles électriques et téléphoniques tapissait le fond du fossé où l’eau s’était infiltrée, se mélangeant à la terre fraichement retournée pour former une fondrière qui avait gelé à la tombée de la nuit, si bien que les câbles semblaient gainés de plastique brunâtre. Les six corps gisaient pêle-mêle sur la croute de glace boueuse. La glace avait pris une autre teinte. Celle du sang. Les corps étaient nus. Leur nudité faisait paraitre la nuit plus froide encore qu’elle n’était. Corbaccio, qui portait un blouson de cuir doublé de mouton, des gants de laine marron et un serre-tête, baissait les yeux vers le fond du fossé. Winter balayait les cadavres du faisceau de sa torche électrique. À trois mètres d’eux, les gyrophares des deux voitures-radio clignotaient dans la nuit. À présent que les inspecteurs étaient arrivés, les flics avaient regagné leurs voitures pour être au chaud.

1-Edgard

La nuit de ce 3 janvier était moite. L’été tropical était chaud et humide. A 5 heures du matin, il faisait déjà 34°. L’inspecteur Flavio Migliaccio et son équipier l’inspecteur Wellington da Silva Santos de la section des homicides de la police criminelle arrivèrent avec peine au sommet du Morro Careca, tout en haut de la favela de Matosinho. Un sergent du 3ème bataillon de police militaire les attendait et leur désigna d’un geste las le charnier. Six corps gisaient en contrebas, éclairés par la lumière incertaine d’un lampadaire dont la présence inattendue était la marque dérisoire et symbolique de l’intérêt de la municipalité pour ce lieu oublié de tous. La police militaire avait été alertée par un jeune collègue de l’unité de police affectée à la pacification de la favela qui avait entendu le claquement familier de rafales d’armes automatiques, des Kalashnikov probablement avait-il conclu.

Migliaccio et son équipier s’approchèrent avec prudence du bord de la roche glissante qui surplombait le fossé où s’enchevêtraient les cadavres de trois hommes, deux femmes et un enfant. Les corps, nus, étaient criblés de balles. L’enfant ne devait pas avoir plus de sept ans. Les autres guère plus de vingt. L’enfant, deux des hommes et les deux femmes étaient métis. Le troisième homme était un blanc. Bien qu’habitué aux scènes d’extrême violence, l’inspecteur da Silva Santos ne put supporter la vision du petit corps déchiqueté et il détourna rapidement son regard. Aucun témoin ni même aucun badaud ne se trouvait sur les lieux. La population blasée de la favela avait appris à se tenir prudemment à l’écart des embrouilles et surtout à se taire.

Aux premières lueurs de l’aube arrivèrent les collègues de la police scientifique. Leur rituel commença immédiatement. Vêtus de blouses blanches, affublés de gants et de masques, ils balisèrent la scène du crime, photographièrent les corps, les alentours, cherchèrent et répertorièrent les indices et éléments de preuve, firent d’innombrables prélèvements, numérotés et placés avec précaution dans des sachets en plastique aussitôt scellés. Migliaccio et da Silva Santos s’éclipsèrent et rejoignirent le commissariat après avoir pris un indispensable cafézinho au bar du coin.

Le débriefing fut rapide. Pas de témoins, pas de papiers d’identité, impossible de savoir qui étaient les victimes ni pourquoi elles avaient été exécutées. Toutes les hypothèses étaient possibles : règlement de comptes entre trafiquants de drogue ou gangs rivaux, exécution sommaire par une milice armée de délinquants passés au travers des mailles de la justice, vengeance d’un mari trompé…Les deux policiers s’accordèrent sur la priorité d’une enquête qui s’annonçait manifestement difficile : identifier les victimes. Pour cela, ils ne pouvaient compter que sur le hasard ou sur la chance. Avec un peu de chance en effet, l’une ou l’autre des victimes aurait eu déjà affaire à la police et pourrait être identifiée par ses empreintes digitales. Sinon, il faudrait publier les photos dans la presse. Exercice délicat vu l’état des cadavres qui demanderait un effort particulier au maquilleur de l’identité judiciaire habituellement chargé de redonner un semblant de vie aux regards éteints des morts. Et puis, il faudrait encore espérer qu’un témoin se manifeste.

Migliaccio et da Silva Santos en étaient là de leurs réflexions quand le commissaire João Marechal Grana, matinal comme à son habitude, entra dans le bureau.

« Salue le chef », intima Migliaccio à son équipier en lui donnant un coup de coude dans les côtes.

*

NDLR : Malgré tout le charme exotique et la couleur locale du chapitre rédigé par Edgard, force est de constater que s’il a respecté la longueur requise, il a, avec entrain et sur un rythme de Batucada, foulé au pied la lettre et l’esprit des règles qui doivent présider à la conception des textes de ce Cadavre au gout nouveau. Dois-je le rappeler, l’essentiel de ces règles était :
— se situer dans la continuité de celui de l’auteur précédent
— prendre telle quelle la situation laissée par l’auteur précédent, et laisser à l’auteur suivant une nouvelle situation tout aussi compliquée, sinon plus.
Pour permettre au jeu de continuer dans des conditions optimales, et en vertu des pouvoirs discrétionnaires que je viens de me voter, je me permets d’ajouter le codicille suivant au chapitre brésilien qui précède : 

Wellington qui était arrivé la veille dans le service ne connaissait pas encore le caractère facétieux de son coéquipier. Il se redressa donc aussitôt dans un garde à vous qu’il aurait voulu réglementaire en tentant de faire sonner l’un contre l’autre ses deux talons, comme il venait de l’apprendre à l’Académie de Police. Hélas, il ne parvint pas à accomplir ce qui alors eut été un exploit, car il portait des espadrilles. C’est pourquoi, au lieu de compléter son salut en portant sa main droite en visière à la hauteur de son képi et en glapissant : « Inspecteur da Silva Santos, au rapport, chef ! », il ne put prononcer que Oumpff ! en se baissant pour frotter la région subitement douloureuse de ses malléoles internes.

— Ça va, Da Silva, inutile de vous prosterner, dit le commissaire, se méprenant sur le sens de la position courbée de son subordonné. Dites-moi plutôt s’il s’est passé quelque chose d’intéressant la nuit dernière.

Migliaccio, assez satisfait du succès de sa première blague de la journée, étouffa un dernier soubresaut de rigolade et après avoir essuyé quelques larmes de joie au coin de ses yeux, il put enfin répondre à son chef vénéré :

— Rien d’intéressant, Chef ! Six cadavres sur le Morro Careca… La routine…

— Seulement six ? s’étonna le Commissaire. En toute une nuit ? On dirait bien que ça se calme par là-haut, pas vrai ?

Entre le pouce et l’index, Marechal Grana lissait le bord de la visière en carton plastifié du képi réglementaire de son bel uniforme. C’était chez lui le signe indubitable d’une profonde concentration.

— Da Silva, voulez-vous cesser de vous gratter les chevilles ! cria-t-il en jetant par terre son couvre-chef pour le piétiner avec fureur. C’est agaçant, à la fin ! Comment voulez-vous que je trouve le coupable dans ces conditions ?

— Inutile, Chef. C’est fait, on l’a arrêté, lui répondit Migliaccio. Il s’était perdu dans la favela et il a demandé  à un policier qui passait s’il connaissait un bon hôtel pas trop loin, parce qu’il était vraiment crevé. Comme le type avait une Kalashnikov à la main et que sa chemise était couverte de sang, le flic a trouvé ça étrange. Alors, il l’a envoyé à l’antenne de police de Matosinho, en lui disant que c’était un Sofitel. Il y est encore.

— Vous l’avez identifié ?

Négligemment, un sourire suffisant sous sa fine moustache, Migliaccio sortit de sa poche un petit fascicule bleu marine et le tendit à son chef.

— Quand le suspect est arrivé au guichet, le flic de service lui a demandé ses papiers. Alors, le gars qui se croyait à l’hôtel lui a remis ça.

Avec ses blagues continuelles, sa petite moustache et sa façon de faire le malin en épluchant les bananes, Migliaccio avait le don d’agacer le commissaire. Mais Marechal Grana prit le passeport et sur lui pour n’en rien montrer.

— Mais c’est un passeport américain ! explosa le commissaire. Qu’est-ce qui vous a pris d’arrêter un américain ? J’espère que vous ne l’avez pas tabassé !

— Ben, un peu quand même, Chef, mais juste ce qu’il faut, hein, pas plus !

— Mais ça va pas, la tête ! Combien de fois on vous a dit qu’en cas d’arrestation d’un américain, il faut le mettre illico dans un avion pour son pays ? Je ne veux pas d’histoire avec le Ministre des Affaires Étrangères, moi ! Je prends ma retraite dans six mois, moi ! Allez Zou ! Allez me faire des excuses à l’Amerloque à la kalasch, et foutez moi tout ça dans un avion pour n’importe où chez l’oncle Sam. Rompez !

Migliaccio, qui portait des Berluti surélevées réglementaires, claqua bruyamment des talons et fit demi-tour après un impeccable salut, tandis que Da Silva effectuait la même manœuvre, suivie d’un deuxième Oumpff ! car il portait toujours ses espadrilles. Ils réussirent à éviter l’annuaire des téléphones inversé que leur chef venait de leur lancer à la tête pour foncer toutes sirènes hurlantes vers le Sofitel de Matosinho.

Et c’est ainsi, que l’assassin six fois meurtrier se retrouva le 4 janvier au soir dans le hall d’arrivée de l’aéroport de l’une des plus grandes villes des États Unis, cette même ville où deux jours plus tard, deux inspecteurs du commissariat des quartiers Nord allaient se retrouver à leur tour avec six cadavres sur les bras.

Mais l’américain relâché était-il vraiment l’assassin de Matosinho ? Et si c’était vraiment lui, est-il aussi celui de la tranchée du téléphone ? Et si c’est bien lui, aurions-nous affaire à un serial killer ? Douze meurtres, est-ce assez pour constituer une série ? Ou alors est-ce que les cadavres du 3 janvier seraient les mêmes que ceux du 6 janvier ? Et quand est-ce que ça va s’arrêter, tout ça ? Et que fait la Police ?

Vous le saurez peut-être en lisant le chapitre suivant, mais c’est pas sûr.

2- Lorenzo

Les inspecteurs Al Corbaccio et Bertram Winter étaient arrivés tôt ce matin-là vers 8h30 dans les locaux sinistres du commissariat. Ils étaient vautrés dans leurs fauteuils, les pieds chaussés de lourdes bottes en cuir posés sur leurs bureaux entre les tasses à café en plastic blanc vides et les cendriers bourrés de mégots. Bien qu’ayant les yeux fermés, ils ne dormaient pas et réfléchissaient, une fois n’est pas coutume, en attendant le rapport du médecin légiste, le docteur Loren Zoo qui avait pratiqué l’autopsie des six cadavres. La porte s’ouvrit avec fracas sur le divisionnaire Bruno Body qui brandissait plusieurs liasses de feuilles de format 21×29,7.

« Salut, mes p’tits loups, je vous apporte de la chèvre fraîche ! »

Le divisionnaire Body était friand de jeux de mots discutables et de figures de style dont les plus récentes remontaient au siècle des Lumières. Comme chaque fois depuis quinze ans, il ne put s’empêcher de leur infliger son expression favorite : « A ce stade de l’enquête, vous ne refuserez pas un verre d’analèpse, ça ne peut pas vous faire de mal ! Lisez donc le rapport du médecin légiste tapé par la secrétaire du patron ». « Ah non, pas elle ! » hurlèrent les deux inspecteurs. Il faut dire que la secrétaire, une jolie blonde bien roulée qui avait tapé aussi dans l’œil du boss, truffait ses rapports de fautes de frappe les rendant parfois illisibles. « Ça s’arrangera avec le temps », avait prétendu Jim Nastyck, le Commissaire Principal, qui n’était pas insensible à ses charmes. Il se trompait. A Saint Brévin les Pins, le temps était pourri à longueur d’année. La jolie secrétaire surnommée Lariégeoise à cause de son accent du sud à couper au couteau, était allergique au clavier de son Mac et regrettait sa vieille Remington portative sur laquelle elle tapait le courrier avec un seul doigt de la main droite, l’index, en frappant les touches avec une rare violence. En conséquence, elles étaient toutes effacées sauf le Q sur lequel elle refusa toujours de mettre le doigt pour des raisons que la morale n’autorise pas à révéler. A ce régime inhumain, la Remington rendit l’âme au début des années cinquante.

Pendant toute la matinée, nos deux inspecteurs se plongèrent dans le rapport du docteur Loren Zoo. Le premier cadavre était celui d’un certain Bernard Poisson, un simple d’esprit employé à la voirie pour balayer la chaussée. Il était bien connu des services de police en raison de ses manies exhibitionnistes sur la voie publique et en particulier devant le collège de filles Saint Cécile. De l‘avis de tous, il était incapable de faire le moindre mal à une mouche. Le second était celui d’un journaliste de Ouest-France, Phil Knife, bien connu lui aussi de la police mais pas pour les mêmes raisons. Phil Knife avait une table réservée à l’année au « Rendez-Vous des Poètes et des CRS », le bar-tabac situé juste en face du commissariat. Responsable de la rubrique Faits Divers du quotidien, il bénéficiait ainsi en temps réel des confidences des enquêteurs et surtout de ceux de la Mondaine à qui il offrait une fois par an un café pour les remercier. Le troisième corps était celui d’un médecin ayant pignon sur rue, le docteur Philippe Cadiot, célèbre psycho-psychanalyste extra-freudien âgé de quarante ans et reconnaissable à sa calvitie précoce. Le quatrième était un certain Franck, fabriquant de cordages pour dériveurs chez Bénéteau, échangiste notoire et proche de Madame Hidalgo, la Maire en exercice de Saint Brévin les Pins. Enfin, les deux derniers corps qui avaient intrigué le médecin légiste étaient ceux de deux ressortissants américains en vacances sur la plage de Saint Brévin où ils pratiquaient la planche à voile et à vapeur. Un complément d’enquête était en cours pour obtenir plus de renseignements par Interpol.

Les six malheureuses victimes avaient toutes été tuées de la même façon. Elles avaient un petit trou entre les deux yeux par lequel avait pénétré dans leur crâne un produit proche du Destoop. A l’autopsie, il ne restait plus de leur cerveau qu’un peu de liquide bleuté avec des bulles. C’était à n’en pas douter la célèbre Botte de Nevers inventée par un certain Lagardère, champion de France d’escrime, PDG de multinationales et proche lui aussi de madame Hidalgo. Bien qu’originaires toutes les deux d’un même village du sud du pays à cheval sur la frontière, Mademoiselle Lariègeoise née du côté français et Madame Hidalgo née du côté espagnol n’avaient aucun lien de parenté.

« Six cadavres pour un bled aussi petit, c’est lourd » balança Bertram Winter. « Bôf », lui répondit son collègue Corbaccio qui ajouta : « Le rapport de l’archiviste devrait nous parvenir avant la bouffe, ça nous éclairera sûrement ». Edgard Montparnasse-Bienvenüe I et II, heureusement surnommé par ses collègues « Ed », était ce fameux archiviste qui avait inventé une technique d’enquête révolutionnaire appelée « La Théorie des Tiroirs ». A l’aide de l’informatique qu’il maîtrisait nettement mieux que Lariégeoise, il faisait une colonne par cadavre qu’il remplissait de toutes les connaissances du défunt sans aucune exception. Cette méthode était permise de nos jours grâce aux progrès des ordinateurs et aux indiscrétions sur face time. Il suffisait ensuite de relever les noms des personnes apparaissant à l’identique dans chacune des colonnes. Son rapport fut posé sur le bureau des deux inspecteurs vers midi douze. Le bruit de sa chute sur leurs bureaux les réveilla. Les conclusions d’Ed étaient formelles : trois noms revenaient dans les six colonnes : c’était ceux des trois suspects. Les deux inspecteurs mirent leur ceinturon avec leur colt P3511 à douilles, leur gilet pare-balles, leur casquette fantaisie avec Donald sur le devant et foncèrent vers leur Opel garée en double file.

Que révélait donc le fameux rapport ? Trois noms. Deux noms de femmes, Françoise Maignan et Annick Cottard, des prostituées lesbiennes travaillant la nuit dans les bars à matelots sur le port, et celui d’un homme d’âge mûr, Cyrano de Couteillac, un écrivain respectable en mal d’inspiration, qui fréquentait lui aussi les tripots mal famés à la recherche de personnages pour ses futurs romans. L’enquête entrait dans le vif du sujet.

3-Philippe 

Depuis la retraite de Giuseppe H. Willoughby en 1967, les inspecteurs Corbaccio et Winter étaient les plus anciens flics du commissariat du Quartier Nord de cette gigantesque métropole nord-américaine. Des choses bizarres, choquantes, effrayantes et même, quelques fois, surnaturelles, ils en avaient vues, et plus souvent qu’à leur tour. Mais jamais ils n’avaient été confrontés à un tel rassemblement de noms à consonance française dans une affaire qui, compte tenu du contexte, aurait dû demeurer strictement américaine. Cottard, Cadiot, Maignan, Poisson, Bénéteau, Bergerac, Saint Brévin les Pins… tout cela évoquait la France à plein nez. C’était incohérent, illogique, contrariant même, mais quand Bertram Winter découvrit dans l’atlas illustré du commissariat que Saint Brévin était un port maritime, la lumière se fit dans sa tête et il se forgea  la conviction que tout ça n’était qu’une banale affaire d’immigration clandestine de sans-papiers français embarqués depuis le port Saint-Brévin pour la généreuse Amérique. Personnellement, Bertram n’en avait rien à faire des histoires d’immigrés clandestins qui s’embarquaient joyeux pour des courses lointaines, sauf quand elles comportaient six morts à la clé. Et comme c’était justement le cas, cette affaire de la tranchée du téléphone était devenue son affaire. Il entendait bien la résoudre avant le diner.

Il fit part à Corbaccio de son hypothèse et lui demanda de se charger des femmes Maignan et Cottard, tandis que lui irait interroger Cyrano de Couteillac à son domicile.

— Ça ou peindre la girafe !… répondit Corbaccio en se demandant s’il fallait dire peindre la girafe, plaindre la girafe ou peigner la girafe.

Winter descendit de la puissante Opel Astra devant le n°1500 Ouest de la 45ème Avenue. L’immeuble dans lequel habitait le vieil écrivain avait connu des jours meilleurs. L’écrivain aussi. La façade du bâtiment était parcourue de nombreuses fissures et de coulures d’humidité disgracieuses. Celle de l’écrivain aussi. La toiture était à refaire et le dernier étage était branlant. Pareil pour l’écrivain.

— Cyrano de Couteillac ? Inspecteur Winter du Commissariat Nord. J’aimerais vous poser quelques questions sur une affaire vous concernant. Puis-je entrer ?

— Mais comment donc ! dit Couteillac, ravi que l’on vienne troubler sa solitude. Puis-je vous débarrasser de votre revolver ?

— Non, je vous remercie. Sans lui, je me sens tout nu et ça me fout un de ces complexes d’infériorité, vous pouvez pas savoir.

—Voulez-vous que je vous donne l’adresse d’un bon psychanalyste ? Non ? Vraiment ? Comme vous voudrez… mais alors, qu’est-ce qui vous amène ?

C’est à cet instant que Winter mit en branle l’impressionnante méthode d’interrogatoire que lui enviaient tous les flics à l’Ouest du Pecos.

— Voilà, dit-il. La nuit dernière, entre 22heures et 3 heures du matin, avez-vous tué six personnes en leur injectant du débouche-évier dans la boite crânienne avant ou après les avoir jetés dans la tranchée du téléphone de l’avenue Donald Trump ?

Winter avait mis des années à développer cette technique. Jusqu’à présent, elle n’avait jamais permis de faire avouer un coupable, mais il arrivait fréquemment qu’elle perturbe assez un innocent pour qu’on puisse l’envoyer au trou pendant quelques jours. Mais l’écrivain ne se laissa pas prendre au piège.

— Ni avant, ni après, inspecteur, répondit Couteillac du tac au tac au flic, et ce pour trois raisons. La première c’est que je suis foncièrement écologiste. La preuve, c’est que je pétitionne à chaque fois que je le peux contre l’usage de produits détergents, délétères et destructeurs de l’environnement, à plus forte raison si celui-ci est constitué de six individus en état de marche.

— Et la deuxième raison ? demanda Winter

— C’est que je suis allergique au Destop et au Canard WC. L’eussè-je voulu que je n’eusse pu utiliser un truc pareil.

Winter, qui lui-même utilisait souvent l’imparfait du subjonctif, n’en fut pas troublé.

— J’entends bien, dit-il. Et maintenant, la troisième raison, s’il vous plaît.

— Je ne peux vous la révéler. C’est une affaire de gentlemen. Vous ne pourriez pas comprendre.

— Trop fort, le type, pensa Winter. Je n’en tirerai rien de plus.

Dans ces conditions, il ne lui restait plus qu’à se retirer.

— Dans ces conditions, il ne me reste plus qu’à me retirer, dit-il à Couteillac et à regret.

— C’est ça, Duchnock, tire-toi. Et atchao bonsoir !

Pendant ce temps, Corbaccio s’était rendu chez les demoiselles Cottard et Maignan. Mais elles n’étaient pas là. Encore une piste qui se refermait ! Catastrophé, l’inspecteur remonta dans l’Opel customisée et décida de rentrer directement chez lui. En effet, c’était l’heure de nourrir son piranha et comme personne n’aime avoir un piranha de mauvaise humeur à la maison, il brancha la sirène et fit hurler les pneus comme il l’avait vu faire à Steve McQueen. Ayant pris sa vitesse de croisière à basse altitude, Corbaccio se mit à réfléchir : l’enquête semblait bien être entrée dans une impasse, et pour longtemps.

Mais le hasard a ses raisons que la raison ne connaît pas et les événements allaient bientôt prendre un tour inattendu. Voyons cela.

Au moment où Al Corbaccio ouvrait la porte de son minable studio en demi sous-sol dans la 217ème rue Est, son téléphone se mit à sonner. C’était son ami l’inspecteur Flavio Migliaccio qui était au bout du fil. Le piranha aurait à attendre encore un peu.

— Salut, Al. C’est moi, Flavio.

Les deux hommes avaient partagé quelques idées  dans un bordel de Tijuana lors d’un séminaire international et depuis, ils se refilaient régulièrement des tuyaux sur les Serial Killers et les courses de chevaux.

— Salut, Mig, répondit Al.

— Dis-donc, Al !

­— Oui, Mig.

— J’ai un truc pour toi, Al.

— Envoie, Mig !

— J’ai lu quelque chose dans le journal, Al.

— Ah ouais, Mig ?

— T’as six cadavres sur les bras, on dirait, Al.

— Tout juste, Auguste !

— Pourquoi que tu m’appelles Auguste, Al ?

L’inspecteur Migliaccio téléphonait depuis le commissariat de police. La communication ne lui coutait rien, il avait tout son temps et il le prenait. Mais quand même, à la fin de ce dialogue viril et quelque peu lassant, Al avait appris qu’un citoyen américain soupçonné d’un sextuple assassinat à Matosinho avait été réexpédié avec armes et bagages (et ce n’était pas une façon de parler) justement vers la ville d’Al. Curieuse coïncidence, quand même, non ?

— J’ai pensé que ça pourrait t’intéresser, Al.

— Tu parles, Charles ! Bon, c’est pas tout ça, mais faut que je te laisse. On sonne à la porte. Salut, Mig.

— Salut, Al.

En flic expérimenté et prudent, avant d’ouvrir, Al colla (bruler) son œil au judas. Ce qu’il vit alors à travers l’œilleton le fit sursauter. Il recula si brusquement qu’il en renversa son aquarium exotique. Et tandis que le piranha mordillait mollement le paillasson pour tromper sa faim, Al se dit qu’il y avait quand même des trucs qui ne tournaient pas rond dans cette histoire.

4- Lariégeoise

Al de surprise écrasa le piranha : il en fut fort marri car un vieux flic décrépi de ses amis, affecté depuis des années dans le quartier chinois, lui avait procuré sous le manteau un pangolin sensé améliorer ses performances sexuelles : il aurait voulu faire un essai préalable avec le piranha. Mais découvrir Jim, son vieux copain de summer camp, là, derrière la porte, affublé d’un uniforme français le laissa pantois. Jim qui se destinait au commerce de tracteurs, son Jim, était un flic lui aussi ? Écartant le corps du carnassier impuissant à présent, il ouvrit la porte.

— Jim, que fais-tu ici et à cette heure ?

— C’est une longue histoire : je suis en mission secrète. Une série de meurtres a été commise, impliquant des ressortissants français ; nous avons appris par Interpol que vous aviez trois suspects. On m’a envoyé ici sous un faux nom, Jim Nastick et je suis accompagné, pour faire diversion, de ma fidèle collaboratrice Melle Lariégeoise ; pas très futée, mais une présence féminine endort les soupçons.

— Ok Jim, mais que puis-je faire pour toi à cette heure-ci ? insista Corbaccio qui trouvait que ce n’était vraiment pas une heure de chrétien pour sonner à sa porte alors qu’il aurait pu avoir un piranha à nourrir. 

— Oui désolé, s’excusa le prétendu Nastick. Je suis encore en décalage horaire et Mlle Lariégeoise n’était pas d’humeur à me bercer. Je suis ici pour tenter d’élucider les meurtres des français. Vous avez déjà interrogé le dénommé Couteillac : c’est une impasse, nous le filons depuis longtemps ; son alibi de gentleman ne tient pas la route : la nuit du crime il était en galante compagnie ; grâce aux contacts interlopes de Mlle Lariégeoise, il a passé la nuit avec deux escort : Françoise Maignan et Annick Cottard.

— Mais Jim, vous vous êtes fait enfumer, dit Corbaccio. Votre Couteillac n’était pas au bordel ce soir-là ; c’est un agent double qui travaille pour nous : il tente d’infiltrer un gang mafieux qui cherche à vendre de la poudre de Pangolin en lieu et place de chloroquine. Notre Président court un grave danger. C’est moi qui jouais les doublures, et vos agents n’y ont vu que du feu.

A ces mots, Nastick blêmit. Comment en effet révéler à son vieux copain Al que les services secrets français, lassés des foucades répétées de leur Président, avaient lancé l’opération « Brévin les Pins », un montage alambiqué, inspiré des rapports fleuris du légiste de la Boite, Loren Zoo. Quel sens prenait sa mission secrète ? Pouvait-il encore se confier à Al ? Et les deux escorts, quel rôle jouaient-elles ? Comment ses agents avaient-ils pu se faire ainsi manipuler ?

Il accepta le whisky tiède que lui tendit Al et….

5- Jim

Le matin précédent, à Paris, le commissaire Jim Nastick entra dans son bureau à 10 heures 33 c’est-à-dire avec une heure et 33 minutes de retard sur son horaire habituel. Son fidèle partenaire, le divisionnaire Body le bien nommé par sa taille et sa réputation toute rablaisienne, était attablé à son bureau, un gigantesque sandwich au saucisson sec d’Auvergne enfourné dans sa gargouille démesurée, ce qui ne l’empêcha pas d’émettre des onomatopées ressemblant à une observation anodine.

— Lord Jim est en retard ce matin et ne semble pas de bonne humeur, dit Body.

— Tais-toi et mâche ton sandwich, Body. Débouche tes esgourdes et écoute. Je reviens de la cellule de crise à Beauvau, tout le beau monde du gouvernent était là pour une affaire à la mords-moi-le-nœud.

— Ah! Nœud va être le mot du jour de votre honneur, je présume.

— Tais-toi. Je t’explique. C’est un sac de nœuds et…

— Et de deux !

— Un sac de nœuds, tais-toi …, international, incompréhensible, avec des macchabées découverts par lots de six dans des tranchées, à New York, à Rio, à Saint-Brévin-les-Pins même si j’ai bien compris, et probablement d’autres à venir. Macaron est dans tous ses états, il veut qu’on arrête tous les travaux avec des tranchées à Paris, qu’on les rebouche, tout ça pour infliger une correction à Hidalgotte qu’il déteste et en même temps monter un coup tordu pour faire avaler sa casquette ridicule à cette tête de nœud Donald Duck.

— Et de quatre! Fuck the duck! Ha ha! On va bien s’marrer. Alors, qu’est-ce qu’on fait, nous?

— D’abord imaginer le coup tordu to fuck the duck comme tu dis. T’as toujours le sens de la formule, Body ! Il exige une proposition synthétisée sur le seul côté d’une page au format d’un roman de la série noire comme il les aime. J’ai mon idée, je m’en occupe. Les nœuds gordiens, tais-toi…, je sais faire. C’est même pour les démêler qu’on fait toujours appel à mon expertise, et moi, tel Alexandre le Grand, je les tranche d’un coup sans hésiter, j’éparpille les morceaux façon puzzle et l’affaire soi disant indémerdable est démerdée.

— Et moi, je peigne la girafe ?

— Toi tu t’occupes de ton copain danseur de samba Flavio, tu lui dis d’enterrer ses six cadavres et classer l’affaire définitivement. Il l’a d’ailleurs habilement refilée aux ricains avec un soi-disant assassin, un gars de chez eux. C’est tout pour l’instant. Fais quand même vérifier toutes les tranchées à Paris et si tu trouves des macchabées, tu les fait porter à la mairie en te débrouillant pour que ce soit Hidalgotte qui trinque. Je te fais confiance, tu sais faire ! Moi je pars ce soir incognito pour voir Corbaccio à New York. Mon équipière préférée pour le montage des coups tordus m’accompagne comme pour l’opération en Nouvelle Zélande. Elle a dit oui, mais elle tient à ce qu’elle soit Mlle Lariégeoise cette fois.

 (Au souvenir de cette aventure resté indélébile, Jim Nastick mis un temps d’arrêt dans son élocution et se mit à sourire béatement. Body le regardait attendri. Ces deux-là, au physique et au mental opposés, compagnons de toujours, étaient en réalité de grands romantiques fourvoyés dans ce métier de brutes sans place pour les sentiments).

— Faites gaffe tous les deux, dit Body. Revenez-moi vite. Surtout gaffe aux ricains, ils osent tout.

« Omnes stulti, et deliberatione non utentes, omnia tentant » dit Jim l’index droit pointé vers le ciel, une bonne parole de Thomas d’Aquin qui se traduit par « les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait ». T’inquiètes pas Body, Lariégeoise et moi on ose mais avec discernement.

Le lendemain, Jim Nastick et Mlle Lariégeoise font face à Corbaccio et Winter dans leur bureau aux murs couleur vert d’eau. Jim doit réfléchir vite car il a flairé un piège et il n’oublie pas sa mission, fucker Donald ! Il prend alors un air grave et déclame, offusqué, « tu oses dire, Al, à nous venus ici en amis de longue date, en collègues, que le Coutheillac serait un agent double qui travaille pour vous et que nos agents n’y ont vu que du feu ! Tu délires ou quoi ? Le Coutheillac avec ses deux greluches, on le traque depuis longtemps, on connait ses trafics et tous ses contacts mafieux, et puisque tu m’y forces, je t’annonce qu’il est même un agent triple, qu’il travaille non seulement avec les maffias, ça c’est une couverture si j’puis dire, mais surtout pour les russes, oui pour les russes, Al ! Je sais que votre Donald fait les yeux doux à Vladimir mais lui poursuit son propre agenda de destruction de l’ouest, et si je n’m’abuse, ton Donald doit rencontrer prochainement son pote Vladimir à Moscou. Bon, à toi de jouer maintenant, dit-il en se levant. Mlle Lariégeoise ,que ton copain Winter n’a pas arrêté de reluquer depuis notre arrivée, et moi prenons le vol Air France pour Paris à midi. Merci de mettre une muscle car de ta flotte pour nous conduire à Kennedy avec la sirène hurlante. So long, Al and Winter, it was a pleasure as always ».

C’était maintenant au tour d’Al Corbaccio de blêmir. Il sortit de son tiroir de droite sa bouteille de bourbon.

 

6-Bruno

Empoignant la bouteille par son col fermé, Al Corbaccio s’aperçut qu’au lieu de son Jack Daniels habituel, quelqu’un lui avait fourgué une rare boutanche de Woodford Reserve.

A la vitesse d’un mustang au galop, celle qui lui avait valu d’être bombardé dix ans plus tôt au grade d’inspecteur avec l’appui du chef de la section des objets trouvés où il émargeait depuis cinq ans, son cerveau fut percuté par une taraudante question : quelqu’un, oui, mais qui ? Pour fluidifier sa réflexion, il ôta la capsule et laissa s’écouler dans son gosier anxieux une bonne pinte. Dans un hallucinant effort de ses méninges aux abois, il passa en revue les effectifs de l’aile droite du poste de police du quartier Nord : à part lui, il n’y avait que Bertram Winter, son collègue inspecteur, et Bruno Body, le divisionnaire. Passaient parfois dans le bureau Loren Zoo, le légiste aquaphile, et encore plus rarement l’archiviste Edgard Montparnasse Bienvenue 1 et 2 (on disait 1 et 2 parce qu’il avait la double nationalité corse et brésilienne ; c’est par lui que, lors d’un colloque international sur les mafias d’Europe du Sud dont Ed était le grand témoin, rapport à son expérience vécue, Al avait fait la connaissance de Flavio Migliaccio, dit Mig 27 depuis qu’on l’avait identifié comme agent soviétique).

Non, ce ne pouvait pas être l’une de ces branques-là.

N’écoutant que son légendaire courage et sa douteuse abnégation, Al prit une deuxième pinte, fut tout esbaudi de se rendre compte qu’il avait vidé la bouteille et, ceci expliquant sans doute cela, fut frappé, d’une fulgurante illumination : « Bon sang, mais c’est bien sûr ! » s’exclama-t-il in petto et en son for intérieur.

Reprenant aussi laborieusement que méticuleusement le fil de l’histoire des six exquis cadavres, il se rappela qu’une allusion avait été faite à son propre commissaire principal et à son accorte assistante qui n’étaient autres que Jim Nastick et Lariégeoise ! Comment ? Celui qui venait de quitter son bureau pour rejoindre la France d’où il n’avait effectué l’aller-retour que pour lui dire qu’il se gourait rapport au Cyrano de Couteillac (un grand nez, paraît-il) ; celui qui y avait sûrement glissé la bouteille ; celui qui se disait au cœur de la rocambolesque affaire de Saint-Brévin-les-Pins-fuck-the-Donald ; ce franchouillard à qui il avait révélé que le Couteillac était un agent double et qui avait voulu l’humilier en lui assénant qu’en fait d’agent double, le Couteillac était triple ; ce bellâtre avantageux serait son propre commissaire principal intimement accolé à sa voluptueuse assistante, dite Lariégeoise ou « Remington à une touche » ?

— Y a quequ’chose qui cloche la d’dans, hoqueta-t-il, j’y retourne immédiatement.

Le bourbon donnant des idées mais pas forcément des ailes, il débaroula l’escalier, chercha longuement dans le parking son Opel pas assez customisée pour qu’il ne la confonde pas avec l’Astra de Winter, finit par trouver la bonne et partit sur les chapeaux de moteur, pneus rugissant, gyrophares hurlant et sirènes éblouissantes, vers l’aéroport, où il parvint une heure plus tard.

Là, titubant, les yeux écarquillés, la tête bourdonnante et la démarche hésitante, il fonça sur la file d’embarquement des départs du vol Air France OO7 en partance pour Paris et eut la stupéfaction de vérifier de ses propres yeux ce que son esprit n’avait qu’à grand peine osé envisager : Jim Nastick et Lariégeoise faisaient la queue en discutant grand train, avec force rires et exclamations, avec Cyrano de Couteillac qui regardait d’un œil ému et langoureux, en leur tenant la main, Annick Cottard et Françoise Maignan tendrement enlacées.

Et là, sincèrement, il plaignit la girafe.

 

7-Edgard

– Don’t move ! You’re under arrest ! hurla Corbaccio aux cinq français !

L’ordre aussi soudain qu’inattendu surprit la foule des passagers qui faisaient la queue avec calme et discipline, bien que composée en grande majorité de français. Couteillac, Annick Cottard, Françoise Maignan, Jim et Mlle Lariégeoise sursautèrent, puis se figèrent, comme pétrifiés. Plutôt que de ne faire qu’un tour, leur sang se glaça. Funeste réaction.

– Sortez de cette file, immédiatement !

Le groupe des cinq obtempéra de conserve et dans un même mouvement.
Jim fut le premier à réagir, mettant à profit le fait qu’Al Corbaccio rameutait dans son talkie walkie les nombreux policiers présents à l’aéroport.

– Al, voyons, qu’est-ce qui te prend ? Quelle mouche t’a piqué ? Que signifie ce cirque ?

– Tais-toi ! A partir de maintenant, tout ce que tu diras pourra être retenu contre toi.

A l’énoncé de l’avertissement Miranda, les cinq français comprirent que là, Corbaccio ne rigolait pas. Après les palpations réglementaires, ils furent embarqués sans grand ménagement dans un fourgon direction le commissariat des quartiers Nord.

Al mit un certain temps à retrouver son Opel customisée qu’il avait dans la précipitation abandonnée à l’entrée du parking Kiss and Fly. Heureusement elle n’avait pas été embarquée. Al se dit que ce devait être un bon présage puisque les cinq suspects non plus n’avaient pas été embarqués. Il se ravisa en réalisant que finalement, oui, ils avaient été embarqués, pas dans le vol 007, mais dans un panier à salade. Donc finalement, aucune conséquence d’aucune sorte ne pouvait être tirée du fait que sa voiture était restée là où il l’avait laissée. Fort de cette conclusion, il fila vers le commissariat.

Dans sa tête encore un peu embrumée par les vapeurs de bourbon, tout était devenu clair. Comment l’évidence ne lui avait-elle pas sauté aux yeux plus tôt ? Oui, pourquoi ? Il se le demandait encore quand il arriva au commissariat.

Tout était simple cependant, après réflexion. Il fallait savoir résoudre un puzzle. Et lui, Al Corbaccio,  « Al, le corbeau de malheur » comme le surnommaient finement ses collègues qui faisaient allusion à son goût atavique pour la superstition, était expert en puzzle. Sa longue expérience remontait au temps où, simple flic mais déjà amateur de pinot et pas encore de bourbon – mais attention ! pas noir le pinot – il maniait la matraque avec dextérité sur la tête de délinquants supposés, présomption d’innocence oblige, ou avérés, casier judiciaire épais comme un annuaire téléphonique explique. Ah ça, pour sûr, les casse-têtes, Corbaccio en connaissait un rayon.

Couteillac avait circonvenu Winter, ce brave Bertram qui décidément, ne voyait pas plus loin que le bout de son nez, c’était évident. Le nez était évident. Celui de Couteillac. On ne se prénomme pas Cyrano pour rien. Et Corbaccio qui avait des lettres, savait bien qu’un long nez, comme l’avait écrit le vrai Cyrano qui s’y connaissait, était le signe d’un homme spirituel, courtois, affable, généreux, libéral. Trop beau pour être honnête. La façon dont le pauvre Winter avait été éconduit trahissait l’homme sournois, l’homme masqué aux multiples visages, celui qui était capable de servir trois maîtres : ses chers fellow americans, les frenchies et les popovs. Non, vraiment, l’homme qui était aussi capable de faire croire à un policier d’élite, français certes, mais d’élite quand même, qu’il avait passé la nuit dans un lupanar – pas nécessairement espagnol d’ailleurs – avec deux lesbiennes, un tel homme vraiment, n’était pas digne de foi, d’autant que Foix est le chef-lieu de l’Ariège. Ah la géographie ! Visiblement, Jim n’avait jamais étudié les départements français, leurs préfectures et sous-préfectures.

Eurêka ! s’était dit Corbaccio, qui vraiment avait des lettres, et classiques même. La connexion ! J’ai trouvé la connexion, le lien ! Le casse-tête prend forme ! La carte du crime se reconstituait, pièce par pièce. Et elle n’était pas tendre, cette carte …

Le pauvre Jim, une fois de plus, s’était fait enrhumer, bien qu’il n’eût pas, lui, un long nez, probable raison pour laquelle pour un policier, il manquait singulièrement de flair. Comment avait-il pu se laisser berner par cette Mlle Lariégeoise et se jeter dans la gueule du loup en lui demandant de l’accompagner dans sa mission secrète aux States ? Couteillac et Lariégeoise étaient de mèche, cette évidence avait fini par sauter aux yeux de ce fin limier qu’était Corbaccio.

Quant au couple de tourterelles, il ne fallait pas être devin pour comprendre leur lien avec Couteillac. Le regard complice dont il les couvait à l’aéroport l’avait trahi. Même qu’il les tenait par la main ! Al se disait souvent que son expérience du profilage finirait bien par lui servir. Il avait appris depuis longtemps que les lesbiennes étaient de redoutables tireuses d’élite. Leur poétesse favorite ne maniait-elle pas le revolver avec talent ? Il le savait bien, lui qui décidément avait des lettres, que lors d’une dispute épique avec sa tendre bien aimée alanguie sur un canapé, Sapho fit feu face au sofa. Et Corbaccio avait eu une illumination en détaillant la silhouette fine et gracile de Françoise Maignan : elle avait un cou fin, un long cou même… C’était elle, la girafe !

 

8-Lorenzo

Afin de conserver une parfaite objectivité, Lorenzo dell’Acqua de Vita, le chroniqueur responsable des enquêtes criminelles au Nouvel Obs, avait refusé de lire les rapports de ses collègues français et anglo-saxons sur l’affaire des six cadavres. Il avait entendu parler d’une suite éventuelle aux USA concernant une demi-douzaine de migrants, plus précisément six, partis de Saint-Brévin en quête de poudre d’écailles de pangolin et arrivés sous forme de cadavres à Miami. Cette histoire farfelue était, selon lui, digne du Professeur Raoult. De source sûre, plus personne ne fumait de la poudre de pangolin à Saint-Brévin les Pins dans les années soixante suite aux troubles psychiatriques constatés chez un consommateur excessif, le Commissaire Principal Jim Nastyck. Non, les coupables étaient toujours sur notre territoire et, d’après Corbaccio et Winter, ils n’avaient pas quitté le département de la Loire Inférieure si cher à notre poète local, Philippe-Guy Cadou. Au passage, je me permets de vous conseiller la lecture de ses poèmes dont cette cité nulle à chier de Sant-Brévin les Pins est le cadre. Si elle n’avait pas accueilli peu après la dernière guerre mondiale le jeune Cyrano de Couteillac (NDLR : Couteillac recevra le Prix Goncourt en 2029, l’année où il n’y eut qu’un seul candidat élu à l’unanimité des membres du Jury moins la voix de son meilleur ami, Jim) alors en culottes courtes et ne prononçant que quelques mots en patois nord-vendéen que personne n’est jamais parvenu à traduire en français ni a fortiori en breton, serait aujourd’hui tombée dans un oubli abyssal comme l’a souligné à plusieurs reprises Edgard Montparnasse-Bienvenüe I et II dans des revues littéraires dignes de foi comme la Vie du Rail (et pas La vie duraille, nous signale Ed très à cheval-vapeur sur les ticket’s).

            Forts de leurs convictions, Bertram et Al ne quittèrent pas Saint-Brévin les Pins. Des indiscrétions, voire des dénonciations et même de franches calomnies, leur en apprirent de vertes et de moins mûres sur l’écrivain suspect. Ce « série A qui leurre », comme l’avait surnommé avec son humour corrosif le Divisionnaire Bruno Body en raison de la passion dudit Couteillac pour les films américains grand public du milieu du siècle dernier, connaissait bien les six victimes pour la simple et bonne raison qu’il en avait fait les personnages de son futur roman polaréroticomique interdit aux moins de soixante-dix ans non retraités et déjà sous presse (le roman, évidemment) : « P’tites pépés et vieux pépés à Saint Nazaire ». (NDLR : Saint Nazaire est un port breton véritable plaque tournante du trafic de poudre de pangolin depuis Marco Polo situé à moins de trois kilomètres à vol de mouettes de Saint-Brévin). Personnellement, j’ai bien connu cette époque merveilleuse où, avec mes parents, mon oncle et ma tata, nous traversions l’estuaire de la Loire de Mindin à Saint Nazaire en prenant le « Bac », comme on appelait dans mon enfance vendéenne le gros bateau bruyant dans lequel entrait la belle Versailles rouge et blanche de Pamond (Pamond est le surnom charmant que j’avais donné à mon oncle Edmond, un prénom désuet que m’évoque avec une certaine émotion celui d’un des fidèles lecteurs du blog, Edgard, parce que ça commence pareil) qui en ressortait indemne et nous aussi après une traversée de quatre minutes. Où allions-nous, franchement, je ne m’en souviens pas. D’après des documents photographiques sépia fort endommagés, il semblerait que nous allions pique-niquer (le pic-nic est une sorte de repas minimaliste et inconfortable, si possible en pleine nature mais pas forcément, sans table ni chaises, ayant fait l’objet d’un récit satirique par un auteur breton tombé dans l’oubli : Pic-Nic à Pornic, d’Erwan Couteillac’h) sur une plage qui serait plutôt celle du Pouliguen que celle de la Baule. Pourquoi cet ostracisme, me direz-vous à juste titre ? Parce que, comme je l’appris bien plus tard, la puberté loin de moi et la sénilité un peu moins, mes parents, donc ma maman et mon papa, la sœur de ma maman (Tata) et Pamond, conservaient une rancœur tenace à l’égard (pour ceux qui ont du mal à suivre cette enquête passionnante, l’égard en question ici n’a aucun rapport avec Edgard, le cheminot ayant fait des déclarations calomnieuses sur Couteillac qu’il prétendait connaitre depuis le service militaire ce qui s’avéra être un mensonge grossier puisque Couteillac avait été réformé dès l’âge de douze ans à l’unanimité des cent vingt membres du Conseil de Révision à cause de ses hallucinations érotiques ayant débuté au collège Sainte Cécile où il devait son privilège d’être le seul garçon dans des classes de filles surpeuplées (les classes, pas les filles), à sa maman, professeur de chant grégorien dans cette institution pour jeunes filles de bonne famille et vierges de surcroît à leur admission contrairement à ce que Cyrano prétendit aux juges) …. rappel du début de ma phrase proustienne dont je suis assez fier : ils (mes parents) conservaient une rancœur tenace à l’égard  ……. de la riante station balnéaire de La Baule où leurs propres parents (donc mes grands parents à moi, je précise pour les actifs fatigués) n’avaient pas fait construire de villa parce qu’ils avaient préféré les dunes désertiques en 1946 de Tharon-Plage. Cet aparté loin d’être inutile nous ramène directement à notre enquête. Voilà, vous en savez autant que moi. Où en étions-nous donc ? Ah oui, ça y est, j’y suis !

Donc, Bertram et Al, convaincus par des lettres anonymes signés de Jim, Edgard, Bruno, Loren, plus une cinquième signature illisible mais bourrée de fautes de frappe, avaient décidé de ne pas lâcher le futur Prix Goncourt. Quand il n’écrivait pas, ce qui était exceptionnel d’après son épouse, Couteillac se rendait au Casino de Saint-Brévin situé en face de chez lui. C’était en effet un joueur de roulette invertébré appartenant à l’espèce Revolver, famille de la Colt’s Manufacturing Company et embranchement à droite en sortant. Un soir de chance inespérée (et fort suspecte d’après un ancien petit ami mauvais joueur de son épouse), Philippe fit sauter la banque. Il put racheter le Casino pour un franc symbolique. C’était un grand bâtiment de style néo-gothique vendéen tardif à la façade blanche et à la toiture rouge vif avec deux tours rondes et pointues à ses extrémités. D’une laideur dépassant l’entendement, il était visible de toutes les stations balnéaires familiales à la ronde dont celle de Tharon-Plage où je passais moi-même de délicieuses vacances d’été (mais plus tard car je suis beaucoup plus jeune que lui) dans la villa que mes grands parents avaient fait construire au lendemain de la guerre, non pas à La Baule ….. mais comment ça, je vous l’ai déjà raconté ? Vous en êtes sûrs ? Bon, alors excusez-moi.

Afin d’investir dans sa lubie tardive pour l’élevage de veaux, notre auteur revendit l’édifice à Jim, un copain du Lycée Saint Louis en qui il avait toute confiance et qui le fit raser.

Le hasard facilita l’enquête de nos deux inspecteurs. Un corbeau leur apprit que tous les soirs après dîner, Couteillac quittait sa luxueuse demeure de trois mille mètres-carrés, en chaussettes pour ne pas réveiller son épouse et se rendait sur le port dans une des boîtes de nuit les plus mal famées de la région, un tripot nommé « Les Deux Maquereaux ». Notre propos n’est pas ici de faire une description des lieux de débauche nord-vendéens ni de décrire les turpitudes de leurs habitués, quand bien même ils seraient intellectuels, bloggeurs et existentialistes. Non, ce n’est pas notre genre du tout, comme le soulignait encore hier devant l’enquêteur de la PJ le sympathique Loren qui faisait sa déposition. Dans la salle d’attente séparée du bureau par une cloison en papier bible, Jim, Edgard, Bruno et une toxico blonde accroc à la poudre de pangolin et aux fautes de frappes applaudirent bruyamment alors qu’on ne leur demandait rien. Dire qu’ils chargèrent le malheureux Cyrano serait loin de la réalité. Non, il faut bien reconnaître qu’ils l’accablèrent outrageusement en déversant sur cet honorable personnage (il ne s’agit que de présomption d’innocence, je vous rassure) des flots d’invectives motivées par une jalousie littéraire exacerbée et, reconnaissons-le, en partie justifiée. Bertram et Al lurent donc avec circonspection ces déclarations faites sous serment mais après l’apéritif. Ils s’intéressaient aussi à Françoise Maignan et à Annick Cottard, les deux autres suspectes assidues du même établissement et très très très intimes avec Couteillac d’après le personnel d’ordinaire avare de confidences. Comme s’y attendaient Jim, Bruno, Edgard, Loren et une jeune femme à l’accent d’une région frontalière proche de Cadaquès préférant garder l’anonymat, l’écrivain avait justifié ses fréquentations douteuses en donnant une explication destinée à écarter tout soupçon à son égard (Bruno fait remarquer qu’égard n’a rien à voir avec Edgard Saint- Lazare, un vieux copain à qui Jésus avait rendu un petit service dont il est fait mention quelque part mais il a oublié où). Il prétendit s’être inspiré des deux prostituées lesbiennes échangistes, Françoise et Annick, pour imaginer les deux personnages principaux de son dernier roman intitulé : « Les Trois Mousquetaires ». Malheureusement pour Couteillac, Al et Bertram savaient compter … *

*jusqu’à dix, NDLR.

A SUIVRE

9-Philippe

A travers l’immense baie vitrée de son minuscule bureau, le superintendant Maximilian Van der Ouwersloot contemplait le port. Le tableau qui s’offrait à sa vue était à l’unisson de son humeur. Avec sa mer grise, ses bateaux gris, ses mouettes grises et son ciel gris, le spectacle qu’il contemplait était à peu près aussi gai qu’un mardi de pluie de novembre dans une station balnéaire batave. D’ailleurs, c’était un mardi de novembre, dans la station balnéaire batave de Bergen Op Zoom, à quelques kilomètres au nord de la frontière Belgo-Hollandaise. Et il pleuvait.

Le superintendant se retourna pour faire face au tableau d’affichage sur lequel étaient punaisés en des endroits judicieusement choisis et reliés entre eux par des brins de laine grise tous les éléments matériels relatifs à cette ténébreuse « affaire des cadavres par packs de six » : des rapports, des photographies, dont une très réussie du Taj Mahal sous la neige avec en premier plan Madame Van der Ouwersloot en chapka, des post-it, des rognures d’ongle, un article refusé par le Nouvel Obs, un piranha empaillé, des cartes postales de Vendée, une paire d’espadrilles brésiliennes, et même une vieille Remington hors d’état de nuire.

L’affaire durait depuis longtemps, trop longtemps, et c’est pour y mettre un terme qu’on l’avait retirée au Commissariat Nord de New York, aux flics de Matosinho, au commissaire principal Nastick, aux gendarmes de Saint-Brévin-les-Pins et de Saint Brévin l’Océan, au KGB de Moscou et même au contre-espionnage limougeaud — c’est dire — pour la confier entièrement au célèbre flic hollandais. La décision en avait froissé plus d’un, mais la Commission des Nations Unies qui l’avait prise à l’unanimité avait inscrit dans ses attendus que (sic) « on n’en avait rien à foutre de la susceptibilité de ces flics, espions et spadassins de tous poils qui faisaient rien qu’à boire des whiskys hors de prix dans les lobbies des grands hôtels en se foutant pas mal des regards obliques des passants honnêtes ». Texto, mon vieux !

C’est à cause de sa réputation d’excellent joueur de « Mille Bornes » qu’on avait confié l’affaire à MiniVan — c’est le surnom de Maximilien Van der Ouwersloot dans les milieux autorisés à donner des surnoms. Et c’est pour cela qu’en ce mardi de novembre, MiniVan restait pensif devant le grand tableau d’affichage. Ça ferait quand même deux ans et un mois après-demain qu’il restait pensif devant le grand tableau d’affichage. Pris d’un élan soudain, il décida de tout reprendre à zéro.

— Oh non, pas ça ! C’est trop affreux ! dit Maximilian

— Ben si ! C’est le seul moyen ! rétorqua Van der O.

— Allez zou ! On s’y met ! conclut MiniVan.

Le superflic avait décomposé l’affaire en chapitres et, comme c’était un mathématicien forcené, très logiquement, il numérotait ses listes en commençant à zéro.

— Voyons voir, dit Max, en hollandais, forcément.

Et tout en réfléchissant, il dansait une sorte de menuet devant le grand tableau d’affichage. On aurait dit Fred Astair dans Tous en scène, mais sans Cyd Charisse. Ou alors Dumbo, l’éléphant volant.

— Voyons voir, murmurait Fred Astair. Et il se mit à penser tout haut. C’était sacrément impressionnant :

— Chapitre 0 : L’affaire commence à New York avec six cadavres inconnus nus dans une tranchée et deux crétins, Al Corbaccio et Bertram Winter, dans un commissariat.

Chapitre 1 : Mais, analepsiquement et chronologiquement, elle débute avec la découverte de six cadavres inconnus nus dans une favela proche de Rio de Janeiro, avec deux autres crétins en charge de l’enquête, Da Silva  et Miggliaccio (Il faut savoir que, pour Max, tous les flics sont des crétins).

Chapitre 1bis : Un américain soupçonné du sextuple assassinat des faveles est expulsé vers New-York, parce que le chef des deux crétins prend sa retraite dans six mois.

Chapitre 2 : Voyons voir, poursuivait MiniVan. Bizarrement, les inspecteurs Corbaccio et Winter sont téléportés de New York jusqu’à une station balnéaire bretonne, à moins qu’elle ne soit vendéenne, mais à vrai dire, on s’en fout. Là, ils apprennent que le légiste avait non seulement pratiqué les autopsies des corps new-yorkais, mais qu’il avait aussi découvert leurs identités. Sans doute avaient-ils leurs papiers sur eux, ou sous eux, ou je ne sais où. Encore plus bizarrement, ces cadavres portaient tous des noms français, sauf deux américains — c’est bien normal pour des américains — qui faisaient du sport à Saint Brévin, à moins de 6000 kilomètres de la tranchée où on venait de les retrouver. Tout cela était troublant, mais pas pour Maximilian Van der Ouwersloot, bien sûr. (On notera que Max a l’habitude de parler de lui-même à la troisième personne ; c’est le point commun qu’il a avec Jules César, sauf que lui s’appelle Maximilian, pas Jules)  D’autant plus troublant qu’un obscur archiviste semblait avoir résolu l’affaire sans que personne ne lui ai rien demandé en livrant les noms de trois suspects, tout aussi français que la plupart des cadavres de la tranchée du téléphone. Et pendant ce temps-là, les cadavres brésiliens pourrissent au soleil dans l’indifférence générale. Bizarre… Comme c’est bizarre…

Chapitre 3 : Voyons voir ; Corbaccio et Winter ont regagné New York qu’ils n’ont d’ailleurs jamais quitté. Winter, crétin en second, interroge un suspect, de Couteillac, et repart convaincu de son innocence. Un crétin étalon quand même, ce Winter. De son côté, Al écrase un piranha en ouvrant sa porte. Encore plus bizarre… Mais c’est vrai qu’à New York, il peut se passer n’importe quoi, pense le superintendant Van der Chose.

Chapitre 4 : Natstick, limier de haute lignée, et son assistante Lariegeoise (Ecole Pigier, promotion Canapé) prennent l’avion de Paris pour New York, la pauvre police française ne disposant pas encore de la téléportation, même pour les déplacements officiels. Ils veulent rencontrer leurs crétins d’homologues du Commissariat Nord. Nastick apprend de Corbaccio que Couteillac est en fait un agent US infiltré dans un trafic de Chloroquine, mais il lui cache que l’opération est montée par les services secrets français pour fucker l’ancien président US. Bizarre…

Chapitre 5 : Brève analepse à Paris pour expliquer le départ subit de Nastick et consort à New York. Al apprend de Nastick que son agent double est triple, bouffant aussi au ratelier de Poutine. De plus en plus bizarre…

Chapitre 6 : D’un seul coup, Al comprend tout. Il fonce à l’aéroport Ivanka Trump pour arrêter Nastick. Il le trouve copain comme cochons avec Couteillac, Lariégeoise, Annick et Françoise. Je vous assure, cher cousin, que vous avez dit bizarre.

Chapitre 7 :  Al Corbaccio embarque le Club des Cinq dans le panier à salade, mais sans Scoobidoo qui réussit à passer entre les mailles du filet. Fort de ce succès, il croit encore, le pauvre crétin, avoir tout compris. Pourtant, il n’explique rien. C’est parce qu’en fait, il n’a rien compris ; forcément, c’est un crétin.

Chapitre 8 : Un nouveau personnage intervient, chroniqueur de chiens écrasés au Nouvel Obs. Comme beaucoup de journalistes, il confond New York et Miami — c’est excusable, les deux villes sont sur la même côte, celle à gauche sur la carte. Il en profite pour caser un dépliant touristique sur la Vendée, quelques touchants souvenirs de sa prime enfance et une biographie partielle et partiale de Couteillac. On y apprend que l’écrivain habite un ancien casino de 3000 m2 en Vendée alors que tout le monde croit qu’il crèche au 1500 Ouest, 45ème Avenue, New York. Décidemment, cet homme est un mystère. Ou un hypocrite. Ou les deux. Ou alors, c’est le chroniqueur qui balance des fake news. De toute façon, exit le chroniqueur. On ne le verra plus. Aurait-il été dispersé ? Bizarre, bizarre… Et pendant ce temps-là, les mouches ont largement eu le temps de finir de bouffer les cadavres brésiliens. Elles en redemandent. Mais comme tout le monde s’en fout, MiniVan aussi, se dit MiniVan, imitant toujours Jules César, mais toujours en batave.

Si la réflexion du superintendant se passait sous les toits du 36 quai des Orfèvres, ce serait le moment de faire monter des sandwiches et de la bière. Mais on est à Berg Op Zoom, et à cette heure-ci, tout est fermé depuis longtemps. Alors il ne reste plus à Maximilian Van der Ouwersloot  qu’une seule chose à faire : faire monter du Genièvre et des anguilles fumées.

NDLR : Bon, si tout est fermé, pas moyen non plus de faire monter du genièvre et des anguilles fumées. Oui, je sais, c’est n’importe quoi, mais c’est pas moi qui ai commencé.

ET POUR ME FAIRE PARDONNER CE TISSU D’ANERIES VERBEUSES, VOICI QUELQUES NOUVELLES DE PARIS, AUJOURD’HUI 15 JUIN, VERS 2 HEURES DE L’APRES-MIDI. J’ESPÈRE QUE ÇA VOUS FERA AUTANT DE BIEN QUE ÇA M’EN A FAIT À MOI. 

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