Les comédies au champagne

Morceau choisi

« Jeune garçon, je préférais entre tous ces films que je surnomme « comédies au champagne ». J’adorais les histoires qui se déroulaient dans des penthouses où l’ascenseur arrive directement et où les bouchons de champagne sautent ; où des hommes suaves tiennent des propos spirituels pour faire la cour à de belles femmes qui se pavanent dans des tenues qu’on porterait aujourd’hui lors d’un mariage à Buckingham.
Ces appartements étaient immenses, en général des duplex, avec de grands espaces blancs, et en y pénétrant, le propriétaire ou invité se dirigeait invariablement vers un petit bar facile d’accès pour servir des cocktails préparés dans des carafes. Tout le monde buvait sans arrêt et personne ne vomissait jamais. Personne n’avait le cancer, il n’y avait pas de problème de fuites, et quand le téléphone sonnait au milieu de la nuit, ces habitants de Park Avenue ou de la Cinquième Avenue n’avaient nul besoin au contraire de ma mère, de se tirer du lit et de se cogner les genoux en partant dans l’obscurité à la recherche de l’unique combiné noir pour apprendre qu’un membre de leur famille venait de mourir subitement. Non. Katharine Hepburn, Spencer Tracy, Cary Grant ou Myrna Loy n’avaient qu’à tendre la main vers leur table de chevet à quelques centimètres de leur lit pour saisir le téléphone, d’ordinaire blanc, et les nouvelles n’avaient rien à voir avec une invasion de métastases, ou une thrombose coronarienne due à une consommation excessive et fatale de viande bon marché, mais plutôt avec des énigmes faciles à résoudre telles que : « Comment ? Que veux-tu dire ? Notre mariage n’est pas légal ? ».

Woody Allen – Soit dit en passant – 2020

J’ai quelques années de moins que Woody Allen, sept exactement. Mais il semble que ce décalage corresponde à celui qui existait dans les années cinquante entre la sortie d’un film américain aux USA et sa sortie en France. Sept ans, c’est peut-être beaucoup comme décalage, mais on ne va pas pinailler sur les dates d’évènements qui remontent aussi haut dans mon histoire personnelle.
Ce que je veux dire c’est qu’à lire cet extrait de la biographie de l’un de mes réalisateurs préférés, j’ai l’impression d’avoir grandi moi aussi au milieu, avec et grâce à ces « comédies au champagne ». Skyline de Manhattan, musique légère et puissante à la fois, penthouses, portiers chamarrés et amicaux, publicistes élégants, héritiers timides, mannequins joyeux ou stupides, qui pro-quo, flirts, téléphones blancs, Sach’s Fifth avenue, jolies dactylos de Brooklyn, femmes élégantes de Upper East Side, danseuses débutantes arrivant du Nebraska… Madame porte la culotte, Cette sacrée vérité, Les hommes préfèrent les blondes, Comment épouser un millionnaire, Confidences sur l’oreiller…, des dizaines et des dizaines de films, en noir et blanc, en couleur, en cinémascope, en VistaVision, mais tous avec cette légèreté d’esprit, cette futilité reposante, cette élégance, cette sophistication, cet humour et, il faut bien le dire, cette certitude de happy-ending. Ces films ont été mes contes de fée de l’adolescence.

Aujourd’hui, il est rare que l’on retrouve, même dans les comédies américaines, même dans les comédies new-yorkaises, cette insouciance qui nous manque. Et quand on la retrouve, c’est bien souvent dans un film de Woody Allen. 

 

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