Balzac par Gautier

Je croyais m’être débarrassé depuis longtemps de tous ces petits Classiques Larousse. Cela faisait des années qu’ils encombraient ma bibliothèque. Comme tout un chacun, je les avais accumulés au cours de mes année de lycée et ils étaient venus s’ajouter à ceux que ma sœur Marie-Claire avait laissés derrière elle avec sa vie de jeune fille. Longtemps je n’ai pas pu m’en défaire, cédant à ce penchant thésauriseur de livres qui me venait sans doute de mon père. Un jour, faute de pouvoir les donner — ça n’intéresse plus grand monde — je les ai tous jetés dans une de ces boîtes à recyclage, mélangés avec les vieux annuaires et les publicités pour les plantes de jardin. Tous ? Je le croyais bien, mais tout à l’heure, ce qui apparaissait comme un espace anormal entre deux volumes de la Série Noire se révéla être un rescapé de cette collection de petits bouquins bleus et souple, les Classiques Larousse. C’était un recueil de pages choisies de Théophile Gautier. De lui, enfant, je n’avais lu qu’une édition abrégée de son Capitaine Fracasse et tout ce que j’en savais c’était qu’à la première d’Hernani, il portait un gilet rouge. J’ai descendu le léger bouquin de son étagère et je l’ai parcouru. D’abord, les poésies. Je n’aurais pas dû, car je ne suis pas un fou de cette forme d’écriture, et j’ai bien failli lâcher l’opuscule. Mais après, la poésie, la prose, et la prose de Gautier, ça, c’est quelque chose. Fracasse bien sûr, et j’en ai déjà donné un extrait ici. Mais aussi les articles, les critiques littéraires, les mémoires. Le récit de la fameuse « Bataille d’Hernani », les cheveux longs, les barbes et les gilets, le scandale. Il faudra que j’y revienne un jour. Mais aujourd’hui, ce sera un petit bout du récit de la rencontre entre Théophile Gautier et Honoré de Balzac.
Vers 1835, en fin de matinée, Gautier et ses amis viennent visiter Balzac en sa maison. C’est la première fois qu’ils se rencontrent. Gautier commence par décrire l’habillement et le physique de Balzac ( froc de flanelle blanche retenu à la ceinture par une cordelière….col d’athlète ou de taureau, rond comme un tronçon de colonne… lèvres épaisses et sinueuses… nez carré du bout, partagé en deux lobes… « Prenez garde à mon nez, disait-il à son portraitiste, mon nez, c’est un monde !… » des yeux à faire baisser la prunelle aux aigles, à lire à travers les murs et les poitrines, à foudroyer une bête fauve furieuse, des yeux de souverain, de voyant, de dompteur ) et puis, on passe à la littérature :
« Selon son habitude, Balzac s’était levé à minuit et avait travaillé jusqu’à notre arrivée. Ses traits n’accusaient cependant aucune fatigue, à part une légère couche de bistre sous les paupières, et il fut pendant tout le déjeuner d’une gaité folle. Peu à peu la conversation dériva vers la littérature, et il

se plaignit de l’énorme difficulté de la langue française. Le style le préoccupait beaucoup, et il croyait sincèrement n’en pas avoir. Il est vrai qu’alors on lui refusait généralement cette qualité. L’école de Hugo, amoureuse du XVIe siècle et du moyen âge, savante en coupes, en rythmes, en structures, en périodes, riche de mots, brisée à la prose par la gymnastique du vers, opérant d’ailleurs d’après un maître aux procédés certains, ne faisait cas que de ce qui était bien écrit, c’est à dire travaillé et monté de ton outre mesure, et trouvait de plus la représentation des mœurs modernes inutile, bourgeoise et manquant de lyrisme. Balzac, malgré la vogue dont il commençait à jouir dans le public, n’était donc pas admis parmi les dieux du romantisme, et il le savait. Tout en dévorant ses livres, on ne s’arrêtait pas à leur côté sérieux, et, même pour ses admirateurs, il resta longtemps le plus fécond de nos romanciers  — et pas autre chose — ; cela surprend aujourd’hui mais nous pouvons répondre de la vérité de notre assertion. Aussi se donnait-il un mal horrible pour arriver au style, et, dans son souci de correction, consultait-il des gens qui lui étaient cent fois inférieurs. »

 

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