Le Cujas (10)

(…) Il est parti en me laissant un peu d’argent sur la table et en me disant qu’il comptait sur moi le lendemain au Marquis, parce que sans Sammy et sans moi, il s’en sortait plus. Le lendemain, je suis allée au Marquis. Personne n’avait de nouvelles de Sammy. J’ai repris le boulot. Y a que ça de vrai, le boulot, pour vous changer les idées quand ça va pas, mais tous les jours, j’attendais des nouvelles et rien. Et puis un soir, y a Casquette qui m’emmène à La Closerie.

Chapitre 3 – Armelle Poder

Sixième partie

C’est plutôt chic comme endroit, La Closerie. Vous connaissez ? On prend l’apéritif, et vlan ! il me balance tout à trac qu’il a des nouvelles pour moi, des mauvaises, qu’il ajoute : un officier allemand, un habitué du Marquis, a fait des recherches ; Sammy est resté trois jours à Drancy et puis il a été embarqué dans un convoi pour la Pologne ; Treblinka, un camp dont personne ne sortait jamais ; l’officier était désolé mais il avait appris trop tard l’arrestation de Sammy et maintenant, il ne pouvait plus rien faire. J’écoutais Casquette et je sentais le froid qui m’envahissait. Et Casquette parlait, parlait, doucement, gentiment, et moi je voulais pas entendre et j’avais de plus en plus froid, et je buvais, je buvais, je buvais. Il paraît que je suis tombée dans les pommes. Tout ce que je sais, c’est que je me suis réveillée chez moi, dans mon lit, avec Casquette qui dormait à côté de moi. Quand il s’est réveillé, il m’a m’expliqué qu’il m’aimait depuis toujours, mais que par respect et amitié pour Sammy, il n’avait jamais rien tenté, mais que maintenant que Sammy n’était plus là, j’allais avoir besoin d’un soutien, d’un homme et qu’il était prêt à tout pour moi, y compris à virer Joselyne si je voulais. Perdue comme j’étais, j’ai pas vraiment dit oui, mais disons que c’était tout comme. En tout cas c’est comme ça qu’il l’a pris. Le lendemain, il a viré Joselyne et il a apporté ses valises. Moi, je me suis replongée à fond dans le boulot. Je recevais les clients comme Sammy faisait et je menais les filles à la baguette. Fallait pas que ça bronche et fallait que ça rapporte, sans ça je leur envoyais Casquette. Lui, il habitait chez moi, mais il se faisait discret, pas exigeant et petit à petit, je m’y suis faite. Bref, c’est devenu mon homme. Il l’est toujours, d’ailleurs. Je vous l’ai dit, il a beau être à la Santé, Casquette, c’est toujours mon homme. Le problème, c’est que quand il a plongé, les flics ont fermé le Marquis. Y avait plus de gagne-pain, plus d’argent, plus d’amis… C’est comme ça. Alors, je me suis remise au turbin. Ça m’a fait tout drôle au début de remonter avec les clients, mais j’ai vite repris l’habitude. Je travaille ici, au Rosebud. C’est mieux que dans la rue. Le patron, c’est un vieux copain de Casquette. Ça me permet de lui envoyer de l’argent, de payer des avocats. Je suis du genre fidèle, moi.

La Santé ? C’est une prison. Pas loin d’ici, vingt minutes à pied, pas plus. J’y vais tous les mardis.

Qu’est-ce qu’il a fait ? Il a tué un type, tout simplement. Mais c’était un accident… une dispute qu’a mal tourné, une bagarre et vlan, un mort. Un accident, je vous dis, mais les juges ont rien voulu savoir.  Quinze ans qu’ils lui ont donné. Son avocat lui a dit que quinze ans, c’était bien, qu’il avait échappé à la lucarne et que c’était déjà ça. La lucarne ! Bon sang, quand j’y pense, ça me fait froid partout.

La lucarne ? c’est la guillotine. Vous avez pas ça chez vous ?

Ah bon ? Vous avez mieux ? Ben, si le résultat est le même, vous savez… Mais je vais pas laisser faire ça. J’ai pris de nouveaux bavards, ils vont faire appel, vous allez voir ça. Légitime défense, qu’ils vont plaider. Ils vont laisser tomber l’accident et passer à la légitime défense. Ça va marcher, je suis sûre. Enfin, j’espère…
Bien sûr que vous pouvez aller le voir à la Santé ! Même que ça lui fera de la distraction. Faut juste faire une demande sur papier timbré à la prison. Eh ! demandez pas Casquette surtout, hein, ça la foutrait mal. Demandez Achir Soltani. C’est son vrai blaze.
Bon, c’est pas tout, si vous montez toujours pas, il va falloir que je vous laisse. C’est qu’il faut que j’en gagne, moi, du fric  ! Ça coute un fric fou ces avocats !
C’est toujours non ? Alors salut, l’Américain. À un de ces quatre. Je suis là tous les jours. Sauf le mardi.

Fin du chapitre 3

JEU DE L’INCIPIT
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Bientôt publié

5 Juil, 07:47 Tableau 306
6 Juil, 07:47 Le Cujas – Chapitre 3 – Armelle Poder
7 Juil, 07:47 Ô temps ! suspends ton vol

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