Le Cujas – Préface de l’auteur

C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases.

Quand je vous ressers cet aphorisme sorti des Tontons Flingueurs, je ne pense pas à Joseph Conrad ou à Herman Melville. Je pense à moi, à moi qui pourtant,  sorti du Bassin des Tuileries ou du lac du Bois de Boulogne, ne suis pas plus marin qu’un sac de clous.

Par contre, j’aime les phrases, j’aime en lire et, c’est là mon point commun avec les marins, j’ai besoin d’en faire. Je n’ai pas besoin d’en dire, non, je n’ai aucun talent d’improvisation et, dans les discussions, j’évite les phrases longues et les raisonnements en plus de trois points car je perds facilement le fil de ce que je voulais dire — de toute façon, les gens ne vous laissent jamais le temps d’aller jusqu’au bout.

Je dis que j’ai besoin de faire des phrases, mais c’est en fait de les écrire dont j’ai besoin. Par rapport à la phrase prononcée, la phrase écrite présente des avantages et des inconvénients. Parmi ses inconvénients, il y a celui qu’une connerie écrite est là pour longtemps, alors qu’on sait bien qu’une connerie prononcée s’envole dans l’éther aussitôt dite — et c’est un bienfait pour tout le monde. Parmi ses avantages, il y a le fait que tant qu’elle n’est pas publiée, pas postée, pas textée, pas reçue, elle peut être corrigée, amendée, supprimée, et ça,  je pratique beaucoup.

J’ai besoin d’écrire des phrases, donc besoin d’écrire tout court. Alors j’écris. Depuis longtemps. Souvent. Beaucoup. Quand on écrit — même un journal et quoi qu’on en dise — c’est pour être lu, même si ce n’est que par une seule personne. C’est la raison pour laquelle j’ai créé ce blog, le Journal des Coutheillas. Depuis bientôt sept années qu’il existe, j’ai publié en moyenne deux textes originaux par semaine. Ça peut paraitre beaucoup, mais jusqu’ici, ça roulait bien, et mon planning était rempli jusqu’à des deux ou même des trois mois à l’avance.

Ben oui, mais ce n’est plus le cas, et c’est la panique dans les couloirs. Avec « Les Deux Magots », que je viens de publier et deux ou trois nouvelles « Suites africaines » je n’ai plus rien de neuf à publier.

Je vais donc être amené à faire ce que j’avais annoncé il y a quelques mois mais que je ne croyais pas vraiment voir arriver un jour : publier des textes inachevés. Ça commencera demain avec les premiers chapitres du Cujas qui vont être livrés en feuilleton pour faire durer le plaisir, par petits morceaux de 1000 à 1500 mots tous les 2 ou 3 jours.

Le Cujas.
Ça fait un bout de temps que je vous en parle, du Cujas.
Comment cette histoire est-elle née ?
A la recherche d’une carte postale pas trop banale du Quartier Latin à Paris pour l’envoyer à une dame très âgée de province, je suis tombé sur cette photo, dont la légende était « 1935-Etudiants Boulevard Saint Michel« .


J’ai trouvé les personnages photographiés plutôt intéressants dans leurs attitudes et leurs costumes. J’ai donc commencé à écrire une histoire autour de cette photographie, c’est à dire autour de sa date et de ses personnages.
J’ai choisi l’artifice suivant : le photographe auteur de la photo (étudiant US de passage à Paris) revient treize ans plus tard pour retrouver les personnages de la photo et écrire une ou plusieurs histoires à leur propos.
Chaque chapitre, du moins pour les huit premiers, donnera le témoignage de l’un des personnages qui sera censé répondre à une sorte d’interview mené par le photographe. On n’entendra pas (on ne lira pas) les questions du photographe, mais on devrait pouvoir les deviner d’après les réponses.
Lorsque j’écris une histoire, généralement courte, je pars souvent d’une idée (raconter la vie de gens figurant sur une photographie, ou d’une idée de style pour faire une sorte de pastiche ou même de parodie), d’une scène de rue ou de café (un couple dans un café) ou même parfois d’une simple phrase (Quand arrivent les premiers jours d’octobre et que les feuilles des platanes de la place Honoré Panisse commencent à brunir...) mais jamais, ou alors très rarement, je ne sais ni où je veux ni où je vais aller. C’est en général l’avancement du texte qui me conduit.

Dans le cas du long texte initié par cette photo, les 5 premiers chapitres ont été assez faciles à écrire, le 6ème beaucoup plus difficile, mais achevé le 23 mars. Les chapitres 7 et 8 à peine entamés sont restés pour le moment en plan.

Peut-être l’approche de la publication de la dernière ligne du chapitre 6 me poussera-t-elle à terminer ce bazar ? Et si au bout du compte, je n’y arrive pas, on fera pareil avec un autre texte également en panne mais depuis encore plus longtemps : « Le mécanisme d’Anticythère ». Ça devrait me permettre de tenir jusqu’à la rentrée.

A Dieu vat ! (autrement dit : on ne sait pas où on va, mais larguez quand même les amarres !)

11 réflexions sur « Le Cujas – Préface de l’auteur »

  1. Belle photo de « famille ». Loren porte un chapeau et Ed un béret basque. Ne manque que Mig, parti se soulager aux toilettes à la turque à gauche du bar, derrière Corbaccio, et les six cadavres dissimulés sous une planche dans la tranchée derrière Bertram, pistoletés plus tôt par l’un ou plus de ceux sur la photo ou au gogno.

  2. « deliberatione non utentes » voyons … ça se relâche apparemment !

  3. Larguer les amarres sans savoir où l’on va — mais sait-on déjà où nous sommes? – « mieux vaut savoir où l’on est sans savoir où l’on va que savoir où l’on va sans sans savoir où l’on est », vieux proverbe breton — avec à la barre du rafiot un dénommé Marteau pas plus marin qu’un sac de clous, est-ce vraiment prudent? Les cons ça ose tout* rappelais-je récemment dans ce même journal, alors je suis con et j’embarque parce que « oser! » est aussi ma devise (mais non, pas monétaire). De l’audace, un gilet de sauvetage, une ligne de vie, et au diable la frilosité!

    * »Ornés stulti, et deliberazione non utente, omnia tentant », citation du penseur Thomas d’Aquin au XIIIème siècle, soit à peu près: « Tous les imbéciles, et ceux qui ne se servent pas de leur discernement, ont toutes les audaces ».

  4. Extraordinaire cette photo des années vingt où l’on reconnait Lariégeoise et son bonnet de championne de natation attablée avec son amant Jim Nastyck, le bellâtre au Stetson, et son copain Bruno Body, avant d’aller au boulot. Derrière eux, Ed et Loren, malgré leur plus jeune âge au moment de la photo, ont déjà éclusé leurs verres de rosé. Au fond derrière le bar, les tenanciers Cyrano et Sophie surveillent leurs clients coutumiers de partir sans régler l’addition. A côté d’eux, un peu caché par la porte, Al Corbaccio avec son béret rigole en voyant Bertram prendre la photo.

  5. Un Marteau, des clous, je ne serais pas surpris qu’un des personnages soit un tapissier.

  6. L’idée semble excellente.
    Je trouve les personnages tout à fait intéressants, en particulier la jeune fille.
    Quant à l’incipit… Forcément, vu que l’auteur se compare au début à un sac de clous, un personnage appelé Marteau, ce n’est pas étonnant! J’ai fait des Bonds en voyant la formulation de l’incipit.

  7. L’incipit ? Le voici :
    « Moi, c’est Marteau, Marcel Marteau, né le 12 octobre 1882 à Ivry sur Seine, artisan ébéniste. »
    Saisissant, non ?

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