¿ TAVUSSA ? (69) Coronavirus : « L’étrange défaite de la France »

Il y a quelque chose de pire que les actions du gouvernement français dans la gestion de l’épidémie de Coronavirus, et c’est le jugement que portent les Français sur ces actions. Facilité, défaut d’analyse, panurgisme, sensationalisme et parfois complotisme sont en bonne place parmi  les nombreuses mamelles auxquelles l’information en France se nourrit. 

Cet article de John Lichfield paru le 10 mai dernier dans l’édition européenne de Politico donne un point de vue extérieur sur cette « exception française ». John Lichfield est un journaliste britannique, correspondant permanent à Paris de The Guardian et The Independant.  On peut lire cet article dans sa version originale en cliquant sur le lien ci-dessous. Mais si vous voulez lire ma traduction, c’est juste après. 

` https://www.politico.eu/article/coronavirus-frances-strange-defeat/

Coronavirus : « l’étrange défaite de la France »

Même dans des temps exceptionnels la France trouve de nouveaux moyens d’être exceptionnelle.

Selon une étude de l’Institut Pasteur (voir le lien ci-dessous), la France a été confrontée à sa propre mutation du Coronavirus qui a tué plus de 250.000 personnes dans le monde. Ceci suggère que le gouvernement a en fait réussi à isoler et à empêcher le développement de la souche du Covid-19 qui a circulé en Chine et en Italie. L’étude dit que les plus gros dégâts en France — où 25.000 personnes sont décédées — ont été causés par sa mutation, qui a circulé dans le Nord de la France depuis la mi-janvier jusqu’à la fin janvier sans provoquer de symptômes évidents.

Les conclusions de l’Institut Pasteur suggèrent donc que le gouvernement a combattu un ennemi qui était à l’intérieur de ses frontières bien avant ce qu’il pensait, le rendant ainsi bien plus difficile à combattre dans son expansion. Mais, de manière caractéristique, ce rapport a reçu peu d’audience de la part des media, plus occupés à attaquer la méthode gouvernementale et à diffuser des reproches sur sa gestion de la crise.

Le soutien de la population envers le président Macron a dérapé depuis le début de la pandémie, avec un récent sondage indiquant que 62% des personnes interrogées pensaient qu’il était incapable de contrôler l’épidémie.

Ce manque de confiance survient à un mauvais moment pour le gouvernement, alors qu’il entreprend le 11 mai la tâche risquée de mettre fin à certaines mesures du confinement.

Comment en est-on arrivé là ? Aux Etats Unis et en Grande Bretagne, où les mauvaises communications et les échecs ont été bien plus sérieux et bien plus fréquents, une large proportion de l’opinion publique reste favorable et même enthousiaste.

Ce n’est pas le cas en France. C’est en partie une question de caractère national et de sens de l’exception française.

Les Français sont rarement satisfaits de quoi que ce soit que leurs dirigeant fassent. Et compte tenu de l’instabilité de la crise du coronavirus, il y a eu beaucoup de choses prêtant à la critique.

Assurément, le gouvernement français n’est pas exempt de critiques. Macron a pris une semaine de retard dans l’imposition du confinement. La France a aussi été lamentablement lente dans le développement de ses moyens de tests et dans sa réponse au manque de masques et autres moyens de protection personnelle.

Mais, en fait, le gouvernement de Macron a raisonnablement réussi dans sa lutte contre un ennemi sans précédent, mal compris et continuellement changeant.

Les mesures qui ont été prises depuis le début de la crise placent la France largement devant certains de ses voisins pour ce qui concerne la réduction des retombées. Par exemple, la France a été le premier pays à concevoir un généreux programme de soutien économique à a fois pour les entreprises et les personnes. 11 millions de personnes reçoivent de l’État au moins 80% de leur salaire normal.

La France a été ingénieuse dans le rééquipement et l’utilisation de ses trains à grande vitesse pour déplacer des personnes gravement malades vers les hopitaux de régions relativement moins atteintes. Elle a réussi à maintenir globalement le virus dans le nord et l’est du pays ; son système hospitalier n’a jamais été dépassé.

A part deux ou trois problèmes récents, la communication du gouvernement a été claire et honnête  — surtout quand on la compare aux fanfaronnades nationalistes du Royaume Uni et des États-Unis ou au brouillard entourant les chiffres de la mortalité aux Pays Bas et ailleurs.

Et pourtant l’humeur accablante qui règne en France, pas seulement sur les réseaux sociaux mais également dans la grande presse, n’est pas seulement critique mais violemment hostile. Ce n’est pas seulement injustifié ; c’est dangereux.

Les théories conspirationnistes fleurissent, et chaque petite erreur ou changement de direction provoquent des accusations de mensonges gouvernementaux de la part des politiciens de l’opposition.

Plus de 30 plaintes ont été déposées contre le premier ministre, le ministre de la santé et d’autres personnalités politiques pour négligence supposée dans la lutte contre l’épidémie. Récemment, le Sénat a voté contre le plan de déconfinement progressif à partir du 11 mai. Ce vote n’a été que symbolique, mais il a eu néanmoins un effet concret : celui d’ajouter à un sentiment croissant de défiance vis-à-vis du gouvernement.

Circonstance aggravante pour Macron, il ne dispose pas de ce genre de soutien inconditionnel, tribal et partisan, dont d’autres jouissent comme Donald Trump ou Boris Johnson : il n’y a personne pour dire « c’est notre homme, quoi qu’il fasse ».

Du fait qu’il a surgi au pouvoir hors des tribus dominantes des medias ou du pouvoir politique, il n’est l’homme de personne — et par conséquent il n’a jamais raison et a toujours tort.

Mais il y a autre chose qui joue dans ce sentiment : l’amour de la France pour l’abstraction et l’absolutisme intellectuel, sa tendance à voir en toute occasion trahison, conspiration et honte nationale.

Les commentateurs de droite décrivent le manque de lits d’hôpitaux comme symptomatique d’un pourrissement profond de la volonté et de l’âme de la nation. Les politiciens de gauche déclarent avec insistance que c’est la conséquence de la destruction ultra-libérale de l’État (qui en vérité dépense pour le système de santé publique plus de 8% de son PIB, soit plus que la plupart des autres pays européens).

En réalité, la chute du nombre de lits d’hôpitaux en France est le résultat de politiques poursuivies pendant les dernières décades tant par la gauche que par la droite pour s’adapter aux changements de la pratique médicale moderne. Certes, il s’en est fallu de peu mais, avec ingeniosité et avec l’aide de ses voisins, les soins intensifs de France ont encaissé tous les coups du COVID-19 dans les dernières six semaines.

Presque tous les gouvernements ont commis des erreurs durant la crise en cours et, pour certains plus graves que pour d’autres. Mais dans aucun autre pays il n’y a un tel écart entre ce que le gouvernement à réellement accompli et la cacophonie des critiques lancées par la classe politique, les réseaux sociaux et la grande presse.

Des commentateurs, de droite comme de gauche, ont comparé la réaction de la France contre le Coronavirus à son « étrange défaite » devant l’Allemagne en 1940 — expression inventée par l’historien français Marc Bloch, qui affirmait que les paresseuses certitudes et l’hostilité mutuelle qui régnaient entre la droite et ka gauche dans les années 30 avaient  créé un défaitisme instinctif qui avait permis la victoire de l’Allemagne.

Il est absurde de comparer la campagne française, embrouillée mais tout à fait respectable, contre le COVID-19 à la catastrophe militaire de 1940. Mais l’avertissement de Bloch quant au penchant destructeur qu’a la France à se sur-analyser en des slogans partisans, auto-dénigrants et absolutistes garde toute sa valeur.

John Lichfield

Lien vers l’étude de l’Institut Pasteur :

https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.04.24.059576v1

 

4 réflexions sur « ¿ TAVUSSA ? (69) Coronavirus : « L’étrange défaite de la France » »

  1. Merci Philippe pour cet article, et ce point de vue différent, que j’ai fais largement partagé

  2. Cet article est passionnant tant sur le plan politique qu’épidémiologique.
    Les dérives de la gestion hospitalière en France remontent aux années deux mille et je l’ai bien connue alors que j’étais chef de service dans un hôpital parisien. On nous a demandé du jour au lendemain de vendre des soins comme on vendait des petits pains, la finalité étant que l’hôpital public ne devait plus être en déficit. Or, la Santé est obligatoirement en déficit, il ne peut pas en être autrement.
    Quand on voit la carte actuelle de l’épidémie, nettement circonscrite dans l’est de la France comme le souligne l’auteur de l’article, on se dit que les « mesures » prises chez nous ont été assez efficaces. Je regrette évidemment la situation dramatique de nos compatriotes de l’est.
    Je refuse, peut-être parce que je suis médecin, de condamner les hommes politiques pour leur gestion de cette épidémie :
    – Les hommes politiques ne sont pas des médecins ; on ne peut pas leur demander d’avoir les connaissances des infectiologues. Leur seule faute, qui n’est pas nouvelle car tous les hommes politiques de droite comme de gauche font la même chose, c’est de ne pas savoir ou vouloir s’entourer des professionnels compétents. Non, la règle qui prévaut chez eux est de s’entourer de spécialistes qui pensent politiquement comme eux ou, pire encore, qui font semblant de penser comme eux. C’est d’ailleurs aussi le cas des administrateurs des hôpitaux, ceci expliquant à mon avis cela.
    – « Gouverner, c’est prévoir ». Or, ce virus est inconnu et donc imprévisible. Personne, et surement pas les politiques, ne peut deviner son fonctionnement et surtout son évolution. Par contre, nos médecins et chercheurs infectiologues, dont certains, comble de bêtise, se permettent de critiquer l’action politique dans les media, sont coupables. Quelles mesures de protection et de prévention ont-ils préconisées entre novembre 2019 et mars 2020 ? Aucune, alors qu’on savait depuis le début l’extrême gravité et l’extrême contagiosité de cette nouvelle maladie virale qui allait de toute évidence s’étendre au-delà des frontières de la Chine.
    Enfin, et ce sont-là des réflexions toute personnelles, je ne crois pas que d’autres politiques de droite ou de gauche auraient fait mieux. La réaction des français me navre mais ne m’étonne pas. Il suffit de constater chez certains d’entre eux l’ignoble appétence pour la délation. En d’autres temps, ces comportements avaient envoyé leurs innocents voisins dans les camps de la mort ….

  3. Heureusement qu’il existe des journalistes pour reconnaître que les pouvoirs publics en France ne font pas que du mauvais travail face à la pandémie covid et en l’occurrence ce journaliste est, qui l’eut cru, anglais!

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