Journal de Campagne (51)

Journal de Campagne (51)
Mardi 5 mai 2020 – 16h47

Hier matin, le Journal des Coutheillas a publié une photo de classe, intitulée « Alfred Donnedu et son grand orchestre » en hommage à ces « Grands orchestres » qui chez nous ne s’appelleront « Big Band » qu’un peu plus tard. Certains se souviennent peut-être de ces ensembles de musiciens qui s’étaient formés dans l’immédiat après-guerre, l’euphorie de la Libération et l’explosion du swing américain. Jacques Hélian et son orchestre, Ray Ventura et ses collégiens, Aimé Barelli et son grand orchestre, et quelques autres dont les noms ne me reviennent pas. À part Ray Ventura qui s’était distingué en faisant de ses musiciens ce qu’à la même époque Robert Dhéry faisait de ses comédiens, c’est-à-dire des Branquignols, la plupart des autres se contentaient d’imiter ou de franciser les Big Bands blancs américains comme ceux de Glenn Miller et de Benny Goodman, sans jamais parvenir à la gaité de leur swing ni à leur perfection technique.

Après cette digression musicale qui rappellera peut-être quelques souvenirs aux plus vétustes d’entre nous, revenons à cette photographie.

Lycée Saint Louis

Classe de Mathématiques Élémentaires

Rentrée 1959

Alfred Doneddu et son grand orchestre

D’abord, le chef d’orchestre :

C’est en gouguelisant sur Doneddu que j’ai découvert son prénom : Alfred. Je crois bien que je l’avais ignoré jusque-là. Doneddu, ce ne devait déjà pas être facile à porter devant une cinquantaine de gluges, rigolards ou frustrés, mais alors, Alfred, c’eut été le pompon. Gougueulisant toujours, j’appris aussi qu’Alfred avait écrit une bonne dizaine  de bouquins de mathématiques dont, en 1963, de très appréciées « Bases de l’analyse mathématique moderne » et, en 1980, des « Espaces euclidiens, espaces hermitiens » absolument captivants. Je me moque, et nous nous moquions beaucoup de ce petit bonhomme à cause de son accent, de sa façon de parler (je crois me souvenir qu’il zozotait légèrement, mais je confonds peut-être avec Darry Cowl) et de son nom qui prêtait à pas mal de variations. Mais je me souviens aussi que c’était un brave type. C’est du moins l’image que j’en ai gardé.

Ensuite, les musiciens :

Cinquante et un exécutants, dont trente-deux cravatés (sans compter le chef d’orchestre).

En cherchant un peu, on y reconnaitra peut-être, soixante ans plus tard, quelques un de ces matheux élémentaires que j’ai le plaisir de fréquenter encore, qu’ils soient commentateurs réguliers, occasionnels ou simples lecteurs du JdC. Pour ce qui est des autres, si pas mal de visages me rappellent encore quelque chose, il m’est impossible de mettre un nom sur aucun d’entre eux. Gougueule ne me sera donc d’aucun secours pour savoir ce que tous ces petits gars sont devenus.

Je me permets d’attirer votre attention sur le cinquième individu en partant de la gauche au troisième rang. On peut noter dans son attitude et son accoutrement quelques traits de personnalité ou quelque volonté de les afficher. L’ample veste en velours côtelé qui contraste par sa couleur et ses formes molles avec les vestons classiques du reste de l’orchestre distingue celui qui la porte du reste du troupeau en affirmant qu’il est un intellectuel en puissance parmi une bande de matheux en devenir. Le polo en laine, très peu porté à l’époque, et surtout son grand col ouvert (mais boutonné, sans doute à la demande du photographe) débordant largement sur les revers de la veste dénotent un côté artiste naissant, probablement non encore révélé. Enfin la position de la tête, légèrement penchée, et le sourire narquois à peine esquissé sont les signes d’un esprit critique déjà assez développé, sans réelle impatience ni condescendance, mais sans complaisance non plus vis-à-vis de cette vieillotte coutume photographique. Enfin, le langage du corps, et plus particulièrement le chiasme de la ligne des épaules avec l’horizontale (épaule droite légèrement plus basse que la gauche) signifie clairement à qui veut bien voir que, sitôt que le petit oiseau sera sorti, l’intéressé n’aura de cesse de quitter les rangs pour retourner en classe de maths ou pour s’enfuir au Luxembourg, dont octobre 1959 fut l’un des plus beaux mois. On regrette de ne pas apercevoir le pantalon, probablement de flanelle grise, probablement foncée, ni les chaussures, certainement des Sebago rouges sans glands, qui confirmeraient chez le personnage une légère trace de bourgeoisie (la flanelle grise) mêlée de fantaisie (les Sebago rouges), caractéristiques qui ne sont contradictoires qu’en apparence, et dont jamais il ne se défera  (des traces, pas du pantalon ni des chaussures).

9 réflexions sur « Journal de Campagne (51) »

  1. Je tiens à apporter publiquement quelques précisions propres à mettre en doute tes qualités de physionomiste.

    De mon temps, on appelait beaux quartiers les XVIème, VIIIème, VIIème, un bout du VIème arrondissement et on y ajoutait Neuilly. Je suis né dans le quartier des Gobelins puis, de neuf à vingt et un ans, j’ai habité rue Bezout, une petite rue du quartier Alésia où ma chambre donnait sur une impasse dans laquelle des cours des Halles se déployaient chaque matin.

    Il est possible que mes activités de petite frappe m’aient amené à sévir dans certains de ces beaux quartiers, mais ce fut plutôt rare. Si par petite frappe, plutôt que « jeune voyou », tu entendais « blouson doré », le syntagme en vogue à l’époque pour désigner la jeunesse dorée un peu dévoyée, je précise que je n’ai jamais fréquenté son QG, le drugstore Publicis. Je n’y étais d’ailleurs pas admis du fait de mon appartenance au XIVème arrondissement.

    Parmi les faciès asiatiques figurant sur la photo, il y a effectivement, au premier rang, un individu qui pourrait bien être Vietnamien ou assimilé. Mais, au deuxième rang, le troisième en partant de la droite dont tu précises qu’il n’est pas chinois, c’est bien le commentateur Wang, né à Baudelocque de parents tout ce qu’il y a de plus chinois.

    En cherchant dans cette photo celui qui te parait le plus britannique, tu découvriras peut-être, mais j’en doute un peu à présent, Jim dont la mère était anglaise.

    Quant à Lariégoise, je te donne un autre indice : elle ne porte pas de cravate.

    Des nouvelles de mes chevilles ? Elles sont brulées au second degré.

  2. Sur la photo, il y en a trois qui ne font pas très espagnols
    1 le futur rédacteur en chef qui fait plutôt petite frappe des beaux quartiers (cela m’a été suggéré par Lariégeoise)
    2 deux garçons avec un type plutôt asiatique (mais pas chinois, je précise)
    3 quant à Lariégeoise, elle est vachement bien déguisée

  3. Cherche et trouve.
    Je te donne deux indices :
    1-Wang n’est pas d’origine espagnole
    2-Lariegeoise est une fille

  4. Bravo, Lariégeoise ! Tu as découvert le pot-aux-roses ! J’ai bien été engagé par ton rédacteur en chef préféré comme faire-valoir et je le regrette amèrement car c’est très mal payé (quand c’est payé). Je voudrais aussi te signaler que cirer les pompes d’un mec dont la taille des chevilles dépasse l’entendement est un boulot de longue à l’Aisne.

  5. Je suis sur cette photo. Inutile de vous dire à quel rang et quelle place, vous ne me reconnaitriez pas. Un detail tout de même: je porte une cravate et des mocassins. J’aimais bien Donnedu et les maths, mais j’ai quand même obéi à mon amour de la nature et des « sciences du vivant » pour l’année suivante à St Louis en optant pour la prépa agro. Sans regrets.

  6. Je pensais que pour ce cinquante et unième numéro du journal de campagne, tu rendrais hommage à la boisson du même nom, qui devait être chère à ce cher Alfred qui était certainement sarde d’origine, voire sicilien et peut-être même corse…
    Les suffixes en DDU sont caractéristiques de la langue sarde et correspondent à LLO en italien. En Corse du Sud par exemple, Caldareddu ou Caldarello désignent indifféremment le même lieu.
    Alfred aurait donc pu se nommer Donello, ce qui renvoie à un vin rouge italien des Marches. Rien à voir avec le 51, finalement.
    Bon, je n’insiste pas … Je fais boire un coup !

  7. Une réflexion à propos du JDC du matin : Lorenzo est donc un intermittent de la rédaction du journal , rétribué en nature : sans doute la bonne bouteille sifflée en fin de soirée dans la vie d avant.
    La photo : j avais tout de suite repéré le grand nonchalant et élégant, plus facile à identifier il est vrai qu avec son col Claudine des annes 50.
    Le professeur Doneddu, futur auteur d une somme euclidienne et hemetienne, sans doute sujette à calembour, semblait paisible et heureux , entouré de sa troupe de futurs hypo taupins, certain de les conduire sur les sentiers de la gloire des trente glorieuses.
    Pas du tout du genre à exercer son droit de retrait comme nos courageux enseignants actuels : rendez vous compte,Une classe de 50 ado, gorges de testostérone!dédoublement exigé !

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