Journal de Campagne (49)

Journal de Campagne (49)
Dimanche 3 mai 2020 – 16h47

Monsieur Minette

Un jour, c’était dans nos premières années de Champ de Faye, je me promenais avec Ena, notre chienne Labrador. A mi-chemin de la balade, le parcours que nous empruntions passait en sous-bois pendant une centaine de mètres pour déboucher sur une clairière d’où partaient quatre chemins : derrière nous, celui que nous venions de suivre, devant, celui qui descendait vers Pontoise ente deux clôtures de barbelés, à gauche, celui qui pénétrait dans la forêt et à droite celui qui rentrait au plus court vers la maison. Il allait bientôt être midi. Je choisis le plus court. Il filait droit vers le Nord-Est, en léger surplomb d’une prairie en herbes hautes au-delà de laquelle on pouvait contempler la campagne avec le hameau de Pontoise, le clocher de l’église de Montfaucon et dans le lointain, par-dessus les bois, le château d’eau de la route de Montmirail.

Je m’engageais sur le chemin. C’est alors que de derrière la corne du bois, surgit un tracteur. En fait, le tracteur ne surgit pas véritablement. Il apparut plutôt, et même assez lentement, de derrière le bois. Mais pour moi, ce fût comme s’il avait surgit. Curieusement, je ne l’avais pas entendu approcher et d’habitude, dans mes promenades, je ne rencontrais jamais personne. Donc, le tracteur me fit l’effet de surgir.

Longtemps, je me suis promené sur les chemins de Champ de Faye avec cette question présente à l’esprit : avais-je vraiment le droit de passer sur ces chemins plus ou moins entretenus, au milieu de ces prés et de ces champs exploités, avec mon chien en liberté à la recherche d’un animal à faire lever ou courir ? Ce sentiment d’incertitude s’est atténué pour finir par disparaitre avec les années, mais ce jour-là, il ne devait pas être enfoui bien profond et l’apparition soudaine de cet engin me fit me poser la question presque oubliée : avais-je vraiment le droit d’être là ?

Je rappelai Ena et la mis à la laisse. Le tracteur tirait une faucheuse. Il s’éloigna jusqu’au bout du pré, y fit demi-tour et revint lentement vers moi. C’était un de ces vieux tracteurs sans cabine et j’apercevais sur le siège une silhouette en bleu de travail qui tressautait avec les irrégularités du terrain. Si le conducteur poursuivait sa route rectiligne, et c’est généralement le cas pour les agriculteurs quand ils sont au travail, il passerait devant moi à une cinquantaine de mètres en dessous du chemin. J’étais donc tranquille. J’avançais à grands pas, évitant de regarder vers lui, tandis qu’Ena trottait au bout de sa laisse en me regardant sans comprendre le motif de sa punition.

Quand le tracteur fut à ma hauteur, il s’arrêta. Moi aussi. Le conducteur coupa le moteur, ce qui pouvait signifier qu’il avait toute confiance en son démarreur ou qu’il envisageait un arrêt de longue durée. L’homme descendit de son siège et entrepris de remonter lourdement le pré vers moi à travers les herbes hautes. Ena se mit à gronder, ce qu’elle ne faisait jamais que lorsqu’elle était en laisse. Cette silhouette courte et massive qui oscillait vers nous semblait ne pas lui plaire. Je tâchais de la calmer en lui murmurant entre mes dents :

— Couchée, Ena, couchée. Tout va bien, tooouuut va bien ! Gentil, le monsieur, gentil !

Je me campais sur mes deux jambes, droit dans mes bottes et prêt à affronter l’apostrophe qui n’allait pas manquer : « Vous savez que vous n’avez pas le droit de … » ou plus simplement « Qu’est-ce que vous foutez là ? »

Arrivé à ma hauteur, l’homme sortit un chiffon de sa poche, s’essuya le front puis les mains et me tendit la droite en disant :

— Bonjour, moi c’est Minette. Je suis à Pontoise, là en face. Fait beau, hein ?

Voilà, c’est tout. Il n’y a pas de chute à cette histoire, parce que dans la vraie vie, il n’y a pas de chute non plus. Ce Monsieur Minette, dont je vous conterai plus tard d’autres aventures, avait voulu me saluer, par politesse, par curiosité, les deux probablement. Il avait arrêté son tracteur au risque réel de ne pouvoir le redémarrer qu’après beaucoup d’efforts, juste pour me dire bonjour, échanger quelques banalités sur le temps, les chiens, les travaux des champs, Paris… Par la suite, je l’ai croisé souvent dans la campagne, et nous nous arrêtions côte à côte quelques instants. Nous n’avions rien à nous dire, mais nous le disions quand même, le temps, les chiens, les travaux des champs, Paris… Monsieur Minette parlait peu, Ena s’impatientait, alors nous nous séparions sur une nouvelle banalité, la rareté du gibier, le renard qu’on arrive pas à attraper, le temps qui passe, à un de ces jours, Monsieur Minette…


La ferme Minette aujourd’hui.

11 réflexions sur « Journal de Campagne (49) »

  1. Non, je n’expliquerai pas le calembour (Il s’agit bien d’un calembour et non d’une contrepèterie). Lorenzo l’a parfaitement compris de toute évidence et je lui laisse le plaisir d’instruire et d’illuminer Lariegeoise (ne cherchez pas, il n’y a pas de contrepèterie). A moins que Bruno, que je salue tout autant …
    Et je restitue la paternité de ce jeu de mots à Frédéric Dard, le bien nommé.
    Oui bon, Philippe, on a les lectures qu’on peut et il est clair que Dard n’est pas Proust, (sans contrepèterie non plus).

  2. @Lorenzo
    On demandera plutôt à l’auteur du calembour de bien vouloir s’expliquer, c’est à dire Edgard et non Lariegeoise qui, de son propre aveu, ne l’a pas compris.
    Mais y a-t-il quelque chose de pire que d’expliquer un calembour ? Puisque tu es gai, ris donc !
    @Lariegeoise
    On a droit à tout. Mais c’est moi qui tiens les ciseaux.

  3. est-ce que quelqu’un pourrait enfin m’expliquer le jeu de mots mystérieux de Lariégeoise avec Minette, noblesse espagnole et cunnilingus ?
    parce que, moi, je cherche toujours, mais sans résultat
    merci

  4. La souris n a ri en compris… l échec de ma vie la lecture du canard enchaîné dans sa partie contrepèterie…
    Une nuit de réflexion en vue….

  5. une buse, la souris , jamais rien compris aux contrepèteries…
    On a le droit aux vannes alors?

  6. Effectivement, tu confonds avec M.Coupy qui, lui, présentait ses hommages à Sophie à chaque occasion. Minette était à mon avis bien trop taiseux et timide pour penser à un truc comme ça. Sur Coupy, je. ´ai pas grand chose à écrire, ayant déjà publié une fiction : « Coupy et Coupot ». Ça suffit pour le moment.

  7. Mr Minette, son tracteur des années 50, Philippe , élégant, avec son labrador : comment cette brève première rencontre eût elle pu se passer autrement que dans un film naturaliste d après guerre…
    Mais surtout qui nous dit que Mr Minette à qui rien ne devait échapper , Car rien n échappe à la campagne, ne souhaitait pas une rencontre lui laissant espérer de voir  » votre dame » une
    fois prochaine…?
    Car j ai entendu dire qu il saluait Sophie, de très urbaine façon…Mr Minette, ou je confonds avec Mr Coupy….
    Mais c est le même moule.

  8. Edgard !!! Il y a des dames qui te lisent !
    Le silence presqu’absolu, et là, oups, le diable sort de sa boîte !
    Je ne t’en salue pas moins…

  9. Tu me connais bien …
    C’est un parent, probablement, du fameux Alonso Lupanar y Fer Minette

  10. Je crains d’avoir besoin d’aide pour découvrir le coupable calembour qui se cache derrière cette innocente enquête généalogique.

  11. Ce Monsieur Minette, il est d’origine espagnole n’est-ce pas ? Probablement apparenté à une grande famille noble …

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