Brel à Ventura

Dans la lignée des lettres d’artiste à artiste, j’avais publié celle de Truffaut à Godard et celle de Ferré à Breton. Ces lettres étaient plutôt des règlements de comptes que des preuves d’admiration réciproque. En voici une, de Jacques Brel à Lino Ventura. Elle est bien brève, cette lettre, mais elle est vibrante  de sincérité et d’amitié.

Qui n’a pas rêvé un jour d’avoir Ventura pour ami ? Pour ce qui est de Brel, une amitié avec lui, ç’aurait été plus compliqué, le personnage était complexe, passionné, écorché. J’imagine que les contacts avec lui pouvaient être parfois rugueux et qu’on en sortait pas indemne. Mais Ventura… Oui, Lino, on airait bien aimé…

Maintenant, la lettre :

Cher Lino,
            Plus de deux mois en mer déjà sur ce petit bateau, du vent, des orages, de la pluie qui lave et ce soir l’envie de te parler. Tu sais, Lino, je suis plus jeune que toi mais je crois tout de même être autorisé à te dire que je t’aime bien. J’ai rencontré si peu d’hommes en

45 ans qu’il me semble une faute de ne pas les serrer un peu contre moi, même si en échange, j’ai bien peu à donner. Tu vois, je ne sais ni ce que sera ta vie ni ce que sera la mienne mais je trouverais désolant que nous nous perdions trop. C’est si rare la tendresse. Bientôt j’aurai un bateau et je veux que tu saches que tu y seras toujours le très bienvenu. Je te souhaite heureux et fier d’être. Et je pense que de deviner tes fragilités je sais aussi ta force. Tu sais Lino, nous avons 15 ans et je crains que nous n’en sortions jamais.

Brel-Denner-Ventura

Rappel :
Brel et Ventura s’étaient rencontrés sur le tournage de « L’Aventure, c’est l’aventure » en 1971. Lino avait 52 ans et Jacques 42.

P.S. : Merci à Lorenzo pour la communication de cette belle lettre. 

 

 

24 réflexions sur « Brel à Ventura »

  1. @Lorenzo, la dernière citation est de « Lettre à des amis perdus », mais je ne me rappelle plus l’auteur.

  2. Chouette, cette partie de tennis, surtout à l’époque de Roland Garros.
    Ça commence à ressembler à la finale Borg / Vilas de 1978.

  3. Oui, Rebecca, merci et mille fois hélas !
    Nous sommes les seuls poètes de cette communauté
    Pardonnons-leur, ils ne savent même pas ce qu’ils disent.

    « Vous étiez là, je vous tenais
    Comme un miroir entre mes mains
    La vague et le soleil de juin
    Ont englouti votre visage »

    Vachement difficile, même pour toi et moi
    Alors, pour les ignares, n’en parlons pas !

  4. @Lorenzo: je viens de voir que tu avais mis « Je suis le ténébreux… » et que personne n’y avait répondu. C’est El Desdichado, de Gérard de Nerval.

  5. « Et moi, et moi » : chanson de Jacques Dutronc, paroles de Jacques Lanzmann
    « Maitre Corbeau » : film de H-G Clouzot, 1943
    Facile !

  6. Et moi, et moi !…
    Maitre Corbeau, sur un arbre perché…

  7. Poème de Marcel Thiry, un poète belge, chanté effectivement par Julos Beaucarne, interprète aussi de la très belle chanson : « Lettre à des amis perdus ».

    « Voir un ami pleurer », de Brel, moi me fait pleurer aussi

  8. La mienne, de citation: les deux derniers vers de L’Ennemi, de Charles Baudelaire. L’ennemi, jamais nommé mais suggéré tout au long du sonnet, est le temps.

    « Toi qui pâlis au nom de Vancouver »: Julos Beaucarne, non? J’ai vécu plusieurs années au Canada, et me suis intéressée de près aux chansons qui mentionnent ce pays, comme « Je reviendrai à Montréal ».

    « J’ai cueilli »: trop facile! L’un de mes grands favoris! « L’Adieu », de Guillaume Apollinaire!

    Premier vers de chanson: « Bien sûr il y a les guerres d’Irlande… » De qui? Laquelle?

  9. J’ai honte mais je ne connais pas la citation de Rebecca … Le recueil de poèmes choisis par d’Ormesson est mon livre de chevet. Aragon est pour moi un des plus grands poètes, mais je déteste l’homme. Ci dessous, deux poèmes extraits de la sélection de Jean d’O.

    « Toi qui pâlis au nom de Vancouver … » est la première ligne d’un poème de ???

    Quant au plus beau de tous les poèmes, c’est, pour moi :
    « J’ai cueilli ce brin de bruyère …. »

  10. @ Lorenzo:
    « Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
    Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
    N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci,
    Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. »
    Aragon – Les yeux et la mémoire
    Magnifique long poème. Je ne comprends toujours pas pourquoi je l’ai confondu avec l’exibit du Chateau de ma Mère, peut-être le regret d’une vie qui s’achève dans les deux cas.

  11. Oh, excuses moi Lorenzo, où ai-je la tête? Ce sont les derniers mots du Château de ma mère de Marcel Pagnol.

  12. @Lorenzo, je viens de voir ta citation. Il s’agit des derniers vers d’un long poème d’Aragon repris par Jean d’Ormesson dans son dernier ou l’un de ses derniers livres juste avant sa mort.

  13. Aaaaah, Pagnol!! Quel régal! Ce sont les dernières lignes de Le château de ma mère.

    Et toi, peux-tu trouver celle-ci?
    « Et l’obscur ennemi qui nous ronge le coeur Du sang que nous perdons croît et se fortifie. »

  14. Bravo Rebecca !
    Deuxième épreuve . De qui est cette citation dans le même esprit ? Il ne s’agit pas d’une chanson mais d’un livre :
    « Telle est la vie des hommes : quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants »

    PS) les autres lecteurs et lectrices ont le droit de jouer aussi.
    Le vainqueur des dix épreuves gagnera un quatrième apéritif

  15. @Lorenzo: Mistral Gagnant, Renaud Séchan.
    Haha, on croyait m’avoir!?
    Ca ne vaut pas du Brel mais, par moments (de courts moments de grâce il y a longtemps), Renaud s’en rapprochait.

  16. « Il faut aimer la vie même si le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants »
    question à Rebecca : c’est de qui ?

  17. @ Lorenzo:
    Cette chanson est en effet magnifique et picturale.
    Toutefois, je préfère Je suis un soir d’été, dont certaines images sont saisissantes, telles « la chaleur se vertèbre » ou encore « il fleuve des ivresses ». On la voit, cette chaleur qui monte de la terre, on la ressent dans ses mots! on se sent submergé par ses désirs, par ses ivresses!

  18. Brel a écrit une chanson que je n’ai découverte que récemment. Le texte est un magnifique poème mais c’est aussi une peinture de Brueghel.
    « Il neige sur Liège ».
    Mon sentiment est que la poésie de notre temps se trouve dans les textes des chansons.

  19. Bon sang, ce qu’il nous manque ! Lui, et Brassens, et Ventura…

  20. Brel a écrit des trucs formidables, que j’ai écouté en boucle pendant des années (ah, l’adolescence!) et encore beaucoup maintenant.
    Mais peut-être que la chose la plus belle ne fut pas écrite… il s’agit de ses voeux, le 1er janvier 1968, sur Europe 1:
    “Je vous souhaite de souhaiter. Je vous souhaite de désirer. Le bonheur, c’est déjà vouloir. Comme en droit pénal, l’intention vaut l’action. Le seul fait de rêver est déjà très important.
    Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir, et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns.
    Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer, et d’oublier ce qu’il faut oublier.
    Je vous souhaite des passions.
    Je vous souhaite des silences.
    Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil, et des rires d’enfants.
    Je vous souhaite de respecter les différences des autres parce que le mérite et la valeur de chacun sont souvent à découvrir
    Je vous souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence et aux vertus négatives de notre époque.
    Je vous souhaite enfin de ne jamais renoncer à la recherche, à l’aventure, à la vie, à l’amour, car la vie est une magnifique aventure et nul de raisonnable ne doit y renoncer sans livrer une rude bataille.
    Je vous souhaite surtout d’être vous, fier de l’être et heureux, car le bonheur est notre destin véritable.”

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