Maestro (Critique aisée 38)

Ça fait snob, c’est certain. Mais je dois à la vérité de dire que je viens de voir Maestro depuis le siège 24F du vol AF 0012. Ce ne sont assurément pas les meilleures conditions pour voir un film. Mais sans cela, sans ces sept heures de vol à ne rien faire d’autre qu’à se demander quand ils vont servir le champagne, lire les articles de tourisme chic de la revue Air France, essayer de me protéger le crâne du soufflement inextinguible de l’air conditionné, regarder du coin de l’œil les écrans des autres passagers et surveiller le bruit des réacteurs, hé bien sans cela, je ne l’aurais jamais vu, ce film.
Non pas que le sujet me rebute, non pas que je n’aime pas Michael Lonsdale ou Eric Rohmer, non pas que je n’aime plus les films français. Non, rien de tout ça. Mais tout simplement parce que je ne vais plus au cinéma, pas plus d’ailleurs que je ne regarde la télévision, trop occupé que je suis à écrire pour le Journal des Coutheillas et pour le Monde de l’Écriture.
Bon, là, de ma place 24 F, je ne pouvais pas faire grand chose d’autre. Donc, j’ai regardé Maestro. Et je l’ai même regardé deux fois de suite.
Maestro, l’histoire.
Henri est un beau jeune homme, mais c’est un petit con. Pas méchant, mais petit con quand même. C’est un jouisseur, irresponsable, inconscient, égoïste, léger et inculte. Il ne parle jamais qu’au deuxième degré et sa conversation n’est qu’une longue suite de plaisanteries.
Une amie d’Henri le branche sur une audition avec Cédric Rouvère, avatar d’Eric Rohmer. Il cherche des acteurs pour son prochain film. Cédric est  un vieux barbu, doux, charmant, exigeant, cultivé. Il a une longue carrière de réalisateur de films intellectuels et presque confidentiels derrière lui. Mais tous les comédiens ne rêvent que de tourner avec lui, malgré des cachets de misère et des conditions de tournage étriquées. On sent que son prochain film pourrait bien être le dernier, tant le bonhomme à l’air fragile. Ce prochain film, totalement hors du temps, complètement épuré, ce sera  » Les Amours d’Astrée et de Céladon », une histoire tirée d’un roman du 17ème siècle.
Tout cela est à mille lieux des préoccupations, du style, des capacités d’Henri. Pourtant, il sera engagé pour y tenir un rôle. Petit, le rôle, vingt-trois répliques, mais un rôle quand même.
Inutile d’aller ici plus loin dans l’histoire. Oh ! ce n’est pas une histoire bien haletante ! Il n’y a pas de suspense, pas de rebondissement et très peu d’action. La seule péripétie notable est une chute de chaise, réalisée totalement sans effets spéciaux.
Cependant, dès l’entrée en scène de Michael Lonsdale, qui correspond à la découverte de Cédric par Henri, on tombe immédiatement sous le charme de ce film, et on y reste jusqu’au bout.
Ce type de rencontre de deux hommes est très classique. Le contraste entre le jeune idiot arrogant mais gentil et le vieil homme plein d’expérience, de sagesse et de tolérance a été utilisé mille fois, notamment dans le western. Mais ici, on est dans la délicatesse et la douceur. Il n’y a jamais d’opposition entre Cédric et Henri, mais une douce découverte du premier par le deuxième. Tandis que le vieil homme finit par obtenir du jeune acteur ce qu’il veut, c’est à dire un jeu totalement épuré, ne reposant que sur le texte, toujours le texte, précisément le texte, tandis que Henri se dépouille progressivement de ses habitudes de jeune crétin, une amitié mêlée d’admiration mutuelle se noue entre les deux hommes.
Pendant un moment, j’ai voulu le comparer à un autre film magnifique sur le cinéma, celui de Truffaut, « La Nuit Américaine ». Mais, finalement, j’ai conclu que ces deux là n’étaient pas vraiment comparables. L’un est une réflexion assez démonstrative, quoique très réussie, sur le cinéma et ses métiers, réalisateur, comédiens, producteur, techniciens. L’autre est l’histoire d’une découverte très sensible d’un vieil homme et de son art raffiné par un jeune acteur ignare.
Le film est émouvant, mais il n’est pas que cela, il est continuellement drôle.
Je sais que j’arrive bien tard pour vous recommander ce film qui a dû disparaître des salles depuis déjà pas mal de temps.
Alors, louez-le et regardez-le. Et pendant que vous y êtes, louez donc aussi La Nuit Américaine, juste pour comparer. Vous ne perdrez pas votre temps.
Michael Lonsdale y est extraordinaire, et quant à Pio Marmaï, qui est Henri, on dirait bien qu’on a retrouvé Patrick Dewaere.

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