L’attente la nuit

Le jour va s’achever, j’allume les lampes un peu partout dans chaque pièce. C’est mon refus de la nuit qui pointe, toujours la même comédie, la hantise de ne pas trouver le sommeil quand le moment viendra. Là, il reste encore un peu de temps avant que je ne parte à sa recherche. J’ai consacré une bonne heure au dîner pour deux, souvent plus. La maison rangée, j’ai à effectuer les rites de chaque soir, des rites qui sont censés m’aider : volets fermés, fenêtre entr’ouverte, bouteille d’eau, journaux, au moins un livre. Après ça, la fête peut commencer !
J’ai posé un comprimé de somnifère coupé en deux sur la table de chevet : d’abord la moitié puis le reste pour plus tard… Je m’allonge, ma nuit d’attente est installée.
Les premiers moments ne sont pas inutiles, je pense à la journée écoulée, à ce qui se prépare pour le lendemain. A ce stade, je peux encore chasser les pensées négatives, c’est un sport auquel je suis devenue très adroite avec le temps. Mais au bout d’un moment, je flanche, il me faut d’autres armes.
Il est temps de me lever puisque le sommeil ne vient pas. Je saisis un livre au passage et me dirige silencieusement dans le noir jusqu’au salon. Pas question de réveiller quelqu’un.
Maintenant, le monde est à moi. Pas le monde de la journée qui va m’attendre, le temps qu’il faudra, embusqué quelque part. Le monde de la nuit est différent, plus libre, plus imaginatif. L’esprit s’y envole jusqu’à des coins secrets que l’on ne croyait pas pouvoir atteindre. Tout est facile, réalisable. Je tords le cou à mes angoisses et m’invente des destinées qui comblent mes ambitions, flattent mon ego, bercent mon cœur. La seule façon de m’échapper est là, puisque je ne vais pas le faire ailleurs…
Lorsque je n’y arrive plus, quand je ne peux plus décoller du réel, j’ai recours aux récits des autres : je prends un livre. Je lis un bon moment mais la fatigue arrive. Peut-être alors devrais-je retourner me coucher. Je ne peux pas, j’ai des mots plein la tête, ils tournent et s’agencent si bien… Mais le temps que je trouve de quoi écrire, ils s’effaceront comme les dessins tracés sur le sable lorsque la marée arrive. Ma tête fatiguée n’imprime plus rien, elle somnole mais ne cède pas. Alors, à quoi bon essayer de dormir.
Les soucis sont revenus, en rangs serrés, un véritable bataillon ! Mais j’ai encore une arme : tout doucement pour ne pas crever la bulle où je flotte, je mets un disque. Une voix féminine m’enveloppe. S’il y a encore quelque chose qui émeuve mon cœur, qui le blesse délicieusement, c’est la voix de cette femme. Je ne sais pas pourquoi particulièrement elle, alors que des chanteuses de blues, il y en a tant. Je ferme la partie de mon cerveau qui pourrait comprendre les paroles, seule l’envoûtante mélodie compte. Je me laisse aller…
Il est maintenant aux environs de quatre heures le moment où la nuit bascule. Le ciel est moins foncé, les bruits de la ville changent, bientôt la vie va recommencer. Il faut que j’arrête le processus. C’est bien joli de se créer un monde à soi, au milieu de la nuit, au milieu de nulle part, mais demain ? En fait demain est déjà là, qui réclamera un minimum d’efficacité !
Et puis, j’ai froid, la douceur du lit me tente, le combat est terminé. Arrivée à ce stade, je ne sais plus si j’ai lutté pour dormir ou pour rester éveillée ! Le dormeur près de moi se retourne. Je m’immobilise mais non, tout est calme. Dans le noir, j’arrange mes deux oreillers, je passe la main sur la table de chevet et y trouve les morceaux de somnifère que j’avale. Enfin, je m’installe confortablement et dans mon lit, j’attends…

9 réflexions sur « L’attente la nuit »

  1. Et écouter les bruits de la nuit avec mon chat c’est merveilleux!

  2. Ce texte a été écrit il y a quelques années par ma sœur, Marie Claire. Joli, non ?

  3. J’ai oublié une chose c’est ce silence si agréable, l’observation de la pleine lune, des étoiles avec mon chat en ouvrant la baie vitrée de la logia de la cuisine et l’observation du jour qui se lève, un sentiment de plénitude, une nouvelle journée qui commence !

  4. Je retrouve pleins de points communs avec mes insomnies, mais moi c’est un peu différent, c’est à dire que je m’endors très facilement le soir, je ne peux ni lire en ce moment le soir, ni regarder un film ou une émission je m’endors très vite, comme une masse, mais c’est le après! Au bout de 3 h de sommeil très profond je me réveille et là impossible de me rendormir, alors je fais la cuisine, je rêve, je pense, un tel sentiment de liberté seule dans le salon à refaire le monde dans sa tête et je vais sur internet beaucoup d’internet!!!!!!!!

  5. Ce texte de Marie Claire,qui m’émeut profondément une nouvelle fois ,porte en réalité le titre:
    L’attente
    La Nuit
    G C

  6. Texte prenant, dont l’introspection est attachante

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