Journal de Campagne (32)

Journal de Campagne (32)
Jeudi 16 avril 2020 – 16h47

Bon, voilà ! J’ai un ami, un peu plus jeune que moi — mais aujourd’hui, c’est étrange, il y a de plus en plus de monde plus jeune que moi — qui a attrapé le COVID-19. Je ne l’ai appris qu’il y a deux jours, en même temps que j’apprenais la nouvelle de sa guérison et la gravité passée de son état. Je lui ai envoyé un petit mot auquel il a répondu ce matin, longuement.  Avec un humour qui confirme que la bestiole ne s’attaque pas au cerveau, il m’informait entre autres qu’on l’avait expulsé de l’hôpital parce que, se sentant rétabli, il exigeait un stéthoscope pour pouvoir aider les soignants dans leur sacerdoce et qu’il se trouvait maintenant dans une maison de convalescence. Je lui ai répondu ce qui suit, qui résume assez bien notre matinée.

Bonjour G…,

Nous avons pu lire ton message, Sophie et moi, vers 9heures ce matin au cours de notre promenade civique et matinale (civique assouplie, car je crois que nous avons dépassé le kilomètre  autorisé). Pourquoi à cet endroit ? Parce que nous traversions

alors la seule petite zone où les ondes Bouygues arrivent à passer et encore, quand il fait beau. Nous avions le soleil dans le dos et le petit hameau de Pontoise (5 maisons) en ligne de mire. Ça nous a bien fait plaisir de savoir que tout allait pour le mieux dans le 4 étoiles où tu vas maintenant prendre tes habitudes. La soupe est-elle bonne, soldat ? Les diaconesses ont elles le sens de l’humour ? Je le leur souhaite…

Nous sommes donc à Champ de Faye, une quinzaine de kilomètres au Sud de Château-Thierry, pays producteur de champagne — c’est bien le moment — traversé par presque toutes les guerres du passé et qui tourne aujourd’hui à la ville dortoir pour commuters de CSP moins.

Nous avons décidé de nous retirer là dès le 12 mars, mais déjà, depuis au moins une semaine, je n’allais plus dans mes endroits favoris : cinémas, restaurants, cafés, Bibliothèque Sainte Geneviève. Ici, bien que, depuis que j’ai arrêté la chasse je ne raffole pas de la campagne, c’est plutôt agréable : la télévision ne marche pas et internet est à un débit d’étiage, mais il y a de l’herbe, des arbres, des chiens — tout autour, mais plus chez nous — peu de voisins (mais de nouveaux qui aiment bien le reggae), et beaucoup-beaucoup de calme. Même les avions n’osent plus passer au-dessus de chez nous de peur de nous déranger. Sophie jardine, bricole et cuisine intensément. De mon côté, à part maintenir le feu sacré dans la cheminée, ramasser les mauvaises herbes que Sophie arrache, sortir les poubelles (tous les 15 jours), réparer l’abri à bois, ouvrir et fermer les volets, je ne fais rien d’autre qu’écrire. Mon blog qui publiait depuis 7 ans sans relâche un article par jour, en produit maintenant deux. Celui de l’après-midi est mon « Journal de Campagne » dans lequel je donne de nos nouvelles ainsi que diverses considérations sur comment va le Monde, où il va, et quand il y arrivera, comment nettoyer sa terrasse au karcher et autres choses fort utiles aux confinés en appartement.

Nos enfants sont dispersés à San Francisco, Boulevard Arago, à Saint-Tropez… Ils vont bien semble-t-il. 

Au point de vue social, nous allons à peu près une fois par semaine chez des voisins à 200 mètres où nous buvons un ou deux coups (un coup, une bouteille) de vin blanc — Sophie trouve que du champagne, ça ne ferait pas assez confiné  — en demeurant à distance de sécurité de part et d’autre d’une énorme table de jardin et de gobelets en carton (c’est vrai que pour du champagne, les gobelets en carton…) Nous parlons de choses et d’autres, c’est-à-dire du Coronavirus et du Covid-19.

Et ce matin, peu après avoir pu lire ton message, en traversant Pontoise, nous avons été attirés par un jeune — en fait une jeune — Labrador et nous sommes mis à parler « chiens » avec le propriétaire qui était occupé à préparer son attelage de chevaux. Des gens très bien. Plutôt émus par cette réplique exacte de notre dernière chienne, Sari, nous n’avons pas vu le temps passer et je crains que nous n’ayons aussi dépassé l’heure autorisée.

Bon, maintenant, je suis installé à la table de la cuisine, Sophie lave la salade, et il va falloir que je rédige l’article de cet après-midi.

Alors, je te souhaite une bonne journée.

A bientôt sur les ondes.

Mais ce n’est pas tout. Il se trouve qu’aujourd’hui était le jour choisi pour le verre hebdomadaire chez nos voisins, et ne voilà-t-il pas que sur le chemin du bout du bout du hameau, nous croisons à nouveau ces autres voisins de Pontoise, mais cette fois dans leur calèche à laquelle était attelés deux superbes chevaux noirs. A l’heure de publier, je me demande si on dit noir pour un cheval. Il y a tellement de termes techniques ! Pas le temps de vérifier, il est déjà 16h50, je suis déjà en retard de 3 minutes.

Je terminerai en disant qu’à ce niveau, ce ne sont plus des contacts sociaux, c’est une vie mondaine.

A demain, si vous le voulez bien, comme disait Lucien Jeunesse.

 

2 réflexions sur « Journal de Campagne (32) »

  1. Je me réjouis pour ton ami et que, comme on dit, tu « fais » avec cette horreur.
    Un retour à nos « fondamentaux » moyen-âge campagnard heureux, quand c’est possible, c’est pas mal.

    Oui, on dit bien un cheval « noir. »
    Cela me rappelle mon père vétérinaire à la campagne (20 km de Rouen), amoureux des chevaux, qu’il avait plaisir à soigner. A l’époque, c’était vital d’avoir des chevaux bien nourris, bien soignés. C’était la fierté du paysan, plus que la bagnole aujourd’hui, et il fallait toujours visiter les écuries.

    Ha, les coups de sang au moment des labours et les poulinages qui devaient être réussis car c’était l’avenir des enfants qui était en jeu.

    Les chevaux noirs étaient réservés aux pompes-funèbres.
    Je me souviens, ils étaient énormes, magnifiques, et monter à pied la cote du cimetière derrière ces bêtes, malgré la tristesse, cela avait une autre allure que rouler en bagnole derrière un fourgon.

    Je crois que ça existe encore pour les funérailles nationales.
    Les dernières, c’était Victor Hugo.

  2. Je me disais bien que Sophie aurait dû mal à rester confinée sans autre contact que son sécateur ou une salade bio : le voisin bas de plafond étant exclu , en route pour le bout du bout de Champ de Faye eT bién sur trinquer , masques, dans des gobelets en carton ne méritait pas mieux qu un vin blanc rustique…
    Quant à cette calèche de Pontoise,elle devrait laisser les pandores pantois en cas de contrôle….
    La lettre à un ami guéri : exercice difficile , reussi avec tact et élégance….

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