Journal de Campagne (25)

Journal de Campagne (25)
Jeudi 9 avril 2020 – 16h47

A force de vouloir écrire un texte par jour, à force de puiser dans les grands scandales de la semaine et dans les sombres prévisions sur l’avenir proche, à force de chanter les derniers exploits du taureau au front stupide, de tenter des parodies de poésie et des pastiches de pensées profondes, les idées viennent à manquer.

On m’avait averti. On m’avait dit qu’un texte par jour, sur la durée, ce n’était pas possible, qu’il valait mieux annoncer tout de suite un abandon volontaire et honorable que de disparaitre inopinément et honteusement dans quelques jours sous l’effet d’un manque d’inspiration pourtant prévisible. J’étais prévenu.

Hier, vers 15 heures, aux confins de la sérénité et de l’angoisse, je me suis allongé sur une chaise longue sous un parasol qui me tendait les bras (!) depuis la fin de la matinée. La tête à l’ombre et le bas du corps au soleil, le MacBook au frais dans le salon, je me suis laissé gagner par une torpeur qui n’était pas sans rappeler celle qui me gagnait quand, autrefois, allongé sur une plage méridionale, je tombais dans la somnolence, doucement bercé par le bruit rythmé du ressac et les rires d’enfants blonds batifolant parmi les mamans bronzées et topless.

Bien sûr, ici pas de ressac, mais des chants d’oiseaux, pas d’enfants blonds batifolants, mais quelques chiens jappant sans raison. Environnement somme toute acceptable.

Mais tout à coup, de la musique Reggae s’est mise à franchir la barrière de thuyas qui nous sépare du voisin. Elle le faisait sans peine, car bien que le thuya ait pour surnom « béton vert », il est loin d’avoir les qualités isophoniques de ce mélange d’eau, de ciment et de granulats  que nous connaissons bien. Je fus transporté illico de la plage de Ramatuelle à celle de Saint-Aygulf. Certes, me disais-je, l’illusion a changé de classe, mais c’est encore la plage et l’été. C’est alors que l’amateur de musique jamaïcaine décida de raccourcir son herbe. Il faut dire que depuis une semaine, elle avait bien dû prendre 4 centimètres, son herbe. 4 centimètres, c’est peu, mais ça énerve le rurbain. Donc la tondeuse Wolf A80PROK ( Autoportée, 80 centimètres de coupe, type professionnel, modèle K) démarra joyeusement à quelques mètres de mon oreille, pas plus de six à mon avis. Tout d’abord contrarié puis très vite excédé, je parvins cependant à me calmer en me disant qu’il n’y avait rien de plus normal qu’une tondeuse à la campagne et que son bruit avait au moins l’avantage de couvrir le Reggae obsessionnel. Je fus totalement rasséréné quand je remarquai que le bruit du moteur de la Wolf A80PROK me rappelait celui des bateaux offshores qui traversaient furieusement la baie de Pampelonne au beau temps de ma jeunesse. Et je me rendormis sur la plage de Ramatuelle, heureux… jusqu’à ce que l’homme ait fini de tondre et que ne resurgisse la musique voisine. Ce n’était plus du Reggae, mais de la Techno, je crois. Peu importe, j’étais de retour sur la plage. Il faisait beau à Saint-Aygulf.

 

8 réflexions sur « Journal de Campagne (25) »

  1. A part dans cette période très particulière d’absence lecture (dont je suis en train de sortir (devinez grâce à qui (non, pas au petit Marcel))), il m’arrive de lire, et en général, tout le monde est au courant, parce que j’en fais aussitôt une Critique aisée.
    Mais moi, au contraire de Lorenzo, je ne lis que des romans. Les dernières fois que j’ai lu avec plaisir et intérêt des bouquins sur la vie des vrais gens, ce devait être « Commentaires sur la Guerre des Gaules » et les « Mes jeunes années » de Winston Churchill. J’avais bien aimé aussi la biographie de Dean Martin « Dino« . Mais c’était il y a longtemps. Je ne parviens plus à m’intéresser aux récits d’aventures véridiques ni aux mises à jour des biographies, auto ou non, et malgré tout le bien que l’on me dit de la Panthère des neiges, je ne parviens pas à me décider à lire un bouquin de Sylvain Tesson.
    Comment expliquer ça ? Aucune idée. Et comme disait l’autre : « Tous les gnous sont dans la pâture »

  2. Désolé, mais moi, vos divagations littéraires post-soixante-huitardes ne me rajeunissent pas et surtout ne me donnent pas de nouvelles de Corinne qui avait soulevé un problème fondamental de notre âge : pourquoi la majorité d’entre nous, dont moi, n’arrive plus à s’intéresser aux ouvrages de fiction ? Je sais, j’ai été un peu dur avec ceux qui se complaisent dans les vies des autres, mais la provocation est d’habitude un excellent levier …
    Lorenzo

  3. A nos âges, on peut commencer par A l’ombre des jeunes filles en fleurs. La plage, les bicyclettes, le Grand Hôtel, ça peut rappeler des souvenirs à certains. Un amour de Swann peut être lu indépendamment. cette partie est la seule de la Recherche a ne pas être écrite au JE. Logique, car à cette époque, le narrateur du reste du roman n’est pas encore né. Mais ce n’est pas ma partie préférée parce que Charles Swann, homme si raffiné, s’y fait malmener de bout en bout.
    On peut aussi commencer par lire Contre Sainte-Beuve, où dans la première partie on aura un échantillon de la Recherche.
    Les parties que je préfère dans la Recherche sont celles où apparait Charlus et celles où ily a des soirées mondaines chez le Duc de Guerlantes ou chez Mme Verdurin, mais ces parties se retrouvent dans presque tous les volumes de la Recherche.

  4. Je me demandais justement si je n’allais pas faire une petite cure de Boris Vian.
    Il y aussi Faulkner, qui me (re)tente.
    Et, pour te faire plaisir, Proust (dont je n’ai jamais lu que 30 pages) mais on me recommande de sauter l’obstacle en commençant par « un amour de Swann ».
    Si quelqu’un a un conseil à me donner…

  5. J’suis snob,
    encore plus snob que tout à l’heure
    Ça demande des mois d’turbin
    C’est un boulot de galérien
    Mais quand j’sors avec Hildegarde
    C’est toujours moi qu’on r’garde

  6. Ne serais tu pas contaminé par ce journal du 16, et devenu un tout petit peu snob : Saint Aigulf est donc le 93 de la côte d Azur.
    Pour ce qui est de ton voisinage actuel , l avenir ne devrait pas être favorable : il va pleuvoir eT l herbe va repousser ; le temps orageux va faire aboyer les chiens , et peu à parier que la musique s orienté sur Mozart…
    Mais qu allons nous devenir si notre Maître se fâche , provoque un duel ;
    Pense à Ratinet , très fort , et imagine ce qu il ferait en pareille situation …. mais le reggae c est vrai c est dur à sublimer.
    Pour ce qui est de ma place dans ces commentaires de plus en plus philosophiques qui fleurissent chaque jour , je me fais l effet de la petite souris de Plantu , insignifiante mais vaillante qui revient chaque jour illustrer ce journal.

  7. Très belle citation que je ne connaissais pas. Et pourtant, Pierre Dac…

  8. Ça va bien se passer, Philippe. Encore un peu de patience.
    De toutes façons, comme disait Pierre Dac, « il est encore trop tôt pour savoir s’il est trop tard ».
    Merci à ce voisin qui t’inspire !

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