Journal de Campagne (9)

Journal de Campagne (9)
Mardi 24 mars 2020 — 16h47

Puis-je vous parler aujourd’hui d’écriture ? Oui ? Vous êtes sûrs ? C’est vrai que vous étiez prévenus. Parfait, alors c’est parti.

Récemment, je me suis souvent plaint de mon manque d’inspiration, de ma difficulté à trouver de nouveaux sujets, de ma tendance à me répéter, notamment en me lançant dans des descriptions d’ambiances de cafés sans parvenir à les boucler avec une chute originale, ce qui me venait encore assez facilement il n’y a que quelques mois.

Souvent, je vous ai dit ma prédilection pour les cafés et leurs terrasses comme lieu d’écriture. Compte tenu de la situation actuelle, ces endroits ne me sont plus accessibles. On imagine les conséquences sur ma production : elle est en chute libre.

Exilé à Champ de Faye par le Coronavirus comme Victor Hugo à Jersey par Napoléon III, j’y cherche des coins propices à l’écriture pour y rédiger mes Châtiments.

J’ai essayé notre terrasse, mais son orientation est telle qu’elle n’est fréquentable que l’après-midi, à partir de l’heure de la sieste. Elle s’est donc exclue d’elle-même. De plus, la présence de nos nouveaux voisins, au-delà des thuyas, n’est pas propice à la création.

Il y a quelques jours, à l’occasion d’un furtif redoux, j’ai cru trouver l’endroit, the spot. A l’opposé de notre voisinage, mais à l’intérieur du terrain quand même, il y a quelques années, j’ai construit un abri de jardin à l’aide de quelques planches, de l’une de mes petites filles et d’une notice détaillée. Je l’ai peint d’une jolie lasure verte et, le long de sa façade Est, j’ai placé un banc et une lourde table basse faite maison et de madriers. Ce matin-là, un peu avant dix heures, le soleil chauffait le banc tandis que la face exposée de l’abri qui me protégeait d’un léger vent d’Ouest me réverbérait sa chaleur. Je me suis assis sur le banc, j’ai posé les pieds sur la table basse, j’ai ouvert le Mac qui ne me quitte jamais et, tel le Sous-Préfet de Daudet dans le petit bois de chênes verts, je me suis dit que c’était là l’endroit idéal pour reprendre la rédaction de mon histoire de longue haleine, ébauche de roman que j’ai intitulé de façon provisoire et originale Un couple. J’ai tapé sur mon clavier  « Un couple – Chapitre 2 – La Prétentaine ».  Après quelques instants de réflexion, je réussis à écrire « Ce n’est qu’en fin d’après-midi que Pierre et Jeanne arrivèrent en vue de La Prétentaine. » et à partir de là, tout comme le Sous-Préfet à qui la suite de son discours ne venait pas, la suite de mon chapitre ne vint pas non plus. J’abandonnai donc le banc et la table basse.

Le matin suivant, je tentai d’écrire depuis ma chambre. Bien installé contre deux oreillers, la position est favorable à une écriture calme et sereine. La vue sur le jardin, si elle n’est pas une source d’inspiration, n’est pas non plus une cause de distraction. Et, Ô joie, l’inspiration vint. En quatre-vingt-dix minutes, j’écrivis en un millier de mots un pastiche de Proust que j’intitulai finement et aussitôt Longtemps, je me suis levé de bonheur. Dans le même mouvement, je le programmai pour le JdC du 23 avril prochain.

Le lendemain, dès l’aurore, je renouvelai la tentative, mais il faut croire que j’avais épuisé la muse du lieu, car après avoir écrit : « Quittant la départementale, Pierre engagea la voiture dans la longue allée de peupliers qui menait à la propriété. Encore sous le coup de la dispute de la veille au soir, Jeanne se demandait si... », je m’endormis jusqu’à l’heure du déjeuner.

Plus tard le même jour — il était dix-neuf heures — alors que le vent frappait aux volets qui étaient clos depuis plus d’une heure, je m’installai à la grand-table de la cuisine qui venait d’être débarrassée des derniers vestiges de notre diner. Bien calé dans la coque en plastique blanc de ma chaise IKEA, le dos tourné aux bûches qui craquait discrètement dans la cheminée, j’avais devant moi non pas mon ordinateur Apple, mais un bloc-notes ordinaire car, ce soir-là,  je voulais réorganiser mon roman en gestation, Le Cujas. En effet, j’avais remarqué que depuis quelques temps Le Cujas partait dans tous les sens sans que je sache vraiment où il voulait aller. (Je vous parlerai du Cujas plus amplement un de ces jours car, comme je le dis beaucoup ces temps-ci, il y a le temps.) Après avoir posé sur une feuille les noms de mes personnages, quelques évènements charnière ainsi que quelques dates, je les entourais d’ovales et les reliai les uns aux autres par de belles flèches volontaristes. J’obtins un schéma assez dense et plutôt confus, qui rappelait plus une oeuvre de Jean Tinguely que de Jackson Pollock. Pourtant, curieusement, des idées pour un développement possible de mon Cujas arrivèrent en se bousculant. Après en avoir couché quelques-unes sur une autre feuille, je montai me coucher car ma montre connectée Apple me rappelait qu’il était plus de neuf heures et quart. Les derniers lieu et heure choisis paraissaient donc les plus propices au travail d’écriture. Malheureusement, ils s’avérèrent  préjudiciables à mon repos. En effet, l’agitation de toutes ces idées nouvelles à une heure aussi tardive troubla mon sommeil pour le reste de la nuit. Je renonçai donc au travail du soir à la table de la cuisine.

Ah ! Je vous le dis ! On n’est pas sorti de l’auberge !

À demain.

 

5 réflexions sur « Journal de Campagne (9) »

  1. Ou la la petite baisse de moral aupres de sa jolie cabane au fond du jardin : pour quelqu un qui m a déclaré d emblée: » je déteste la campagne » le purgatoire risque d être un peu long…
    À PAris , des fantômes masques hantent les trottoirs , seules les croix vertes des pharmacies animent les façades austères des immeubles haussmaniens , les pigeons ont disparu privés de la mane touristique du Trocadéro,; laplace du même nom est déserte et finie la joyeuse animation bordélique des vendeurs à la sauvette…
    La sortie autorisée d un kilomètre autour de chez soi, a eu le mérite de me réconcilier avec PI , pas le chinois mais le chiffre : sur qu au bout de 3 semaines je bouclerai 6 km en 1 heure!
    Sinon les vieilles brunes qui ne comptent pas pour des prunes vont bientôt ressembler à des mères maquerelle pour cause d abscence de teinture chez le coiffeur.

  2. Et moi, en recherche d’inspiration créative, Helmut m’inspire plus qu’Isaac.

  3. Quand je suis à la campagne et que je pense à Newton, ça me donne envie de manger des pommes.

  4. Pense à Newton, exilé dans son domaine lors de la Grande Peste de Londres, en 1665-66, pose les bases de toutes ses théories concernant les maths (fonctions dérivables, basées sur le travail de Fermat) et la gravitation, théories qu’il peaufinera le reste de sa vie durant.
    On peut être confiné et être créatif, que diable!

  5. Ton histoire commence bien et le Cujas me rappelle de vieux souvenirs.
    J’espere en apprendre plus ,car mes souvenirs ne vont pas plus loin

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