Aux terrasses ensoleillées de sa jeunesse (2/2)

Aux terrasses ensoleillées de sa jeunesse

Par Lorenzo dell’Acqua

Deuxième partie

Quelques mois passèrent et Michèle Laguiole revint à l’agence. Elle s’étonnait des derniers agissements de son héros. D’abord, il partait de plus en plus tôt de leur domicile et y revenait le soir de plus en plus tard. Ce qui avait éveillé à nouveau, non pas ses soupçons (elle avait une confiance absolue, voire aveugle, dans son jeune premier) mais ses inquiétudes, c’était qu’il n’était plus bronzé. Ce détail curieux remettait en cause les conclusions de ma précédente enquête. Elle me révéla sa récente déconvenue. A la suite d’un accident de ski et d’une immobilisation prolongée, André était enfin parvenu à rédiger une dizaine de nouvelles qu’il avait soumises à plusieurs maisons d’Edition. La réponse d’une lectrice de Gallimard l’avait profondément affecté. Sa critique concernait non pas son style, qu’elle jugeait élégant et racé, mais le fond, c’est à dire l’extravagance de ses aventures dans un Paris plus exotique que la jungle africaine. Elle l’avait même qualifié de « Sylvain Tesson du Boul’Mich » ! Il n’en fallait pas tant pour blesser l’écrivain et humilier l’homme, même s’il n’avait jamais rien lu de l’auteur respectable auquel la lectrice le comparait. Selon son épouse, il existait une relation de cause à effet entre sa désillusion et sa transformation. Pour Charles et moi, il ne s’agissait que d’une hypothèse parmi d’autres. Mais cette fois, nous n’avions aucune piste pour le retrouver.

Comme je m’y attendais, Laguiole ne réapparut jamais à la terrasse du Cyrano. Je finis par me décider à interroger le patron, un bougnat au cheveu rare et à la moustache fournie. Cela faisait une éternité qu’il n’avait pas vu l’habitué de la table au soleil qui commandait des demis pression dès huit heures du matin. « C’était de loin mon meilleur client, dommage qu’il ait disparu », m’avait-il confié. Mort ? Non, un vieux médecin de ses amis, photographe mondain à ses heures, disait qu’il avait une santé insolente pour son âge. Avait-il mis fin à ses jours après la remarque désobligeante de la lectrice de Gallimard ? Son épouse n’y croyait pas non plus, son jeune premier ne sachant pas se servir d’un couteau suisse et encore moins d’un revolver. Enfui à Aden comme Rimbaud ? Impossible, sa peau délicate ne pouvant supporter l’ensoleillement de ces régions désertiques. Parti aux Marquises comme Gauguin ? Improbable, Michèle nous confirmant qu’il n’avait jamais tenu un pinceau de sa vie. Le mystère restait entier.

Quelques temps plus tard, j’eus l’occasion de l’apercevoir une dernière fois. Descendu à la station Concorde, je remontais la rue Royale pour rejoindre non loin de là un ancien camarade d’école communale. André Laguiole était installé à la terrasse d’un café. De sa place, il pouvait observer le porche de l’Ecole d’Infirmières Sainte Cécile d’où entraient et sortaient sans discontinuer de jeunes et jolies jeunes femmes. Sur sa table, où s’accumulaient comme au Cyrano plusieurs demis pression vides et des mégots fumant, il n’y avait pas le moindre ordinateur portable. L’orientation défavorable de la terrasse expliquait son teint blafard. Assis en permanence à l’ombre où la chaleur des derniers rayons du soleil ne risquait pas de favoriser son assoupissement, il souriait à cette charmante noria d’étudiantes. C’eut été indécent de le déranger tant sa béatitude faisait plaisir à voir. Je me demandai ce qui avait bien pu le faire changer de café. Levant les yeux, je découvris le nom de l’établissement où André Laguiole travaillait désormais : c’était le Marcel Proust, place de la Madeleine.

FIN

 

4 réflexions sur « Aux terrasses ensoleillées de sa jeunesse (2/2) »

  1. Jolie et plaisante histoire, narrée avec brio.
    Les talents convergent !
    Si je pouvais me permettre, j’avancerais une une hypothèse pour répondre à la question fondamentale que se pose l’auteur: « Je me demandais ce qui avait bien pu le faire changer de café ». Certes, le Marcel Proust est une réponse possible, parfaitement ciselée pour faire rosir de plaisir le propriétaire du blog qui nous accueille, mais ne serait-ce pas plutôt, en cette période où elles sont tant sollicitées, pour rendre un hommage appuyé (et de proximité) aux infirmières ?

  2. L affection est récente elledate d hier.je devrais pouvoir l enrayer en appliquant procédure conseillée.

  3. Pour ce qui est des photos, je n’ai aucune idée de la raison de leur absence. Il ne semble pas que le problème se rencontre chez d’autres. En informatique, il est fréquent que les problèmes se résolvent par deux manières :
    1- faire la mise à jour de ton iPhone
    et/ou
    2-éteindre puis rallumer ton iPhone

    Tu pourrais aussi voir tout ça sur ordinateur, c’est quand même plus confoirtable.
    Tiens moi au courant. Il serait dommage que tu sois obligée de commenter « à l’aveugle » comme pour un vulgaire test microbiologique.

  4. Réclamation : mon journal du matin me parvient certes à l heure, mais privé d illustration .
    J imagine que c est une délicatesse de l éditeur, ne voulant pas infliger une détresse supplémentaire à ses lecteurs en illustrant  » les terrasses ensoleillées  » épisode 2
    Aucun espoir de les revoir le 11 Mai….
    À propos de cet épisode : Donc nos deux auteurs ont une prédilection pour les terrasses;
    Intéressant…. pour être publiée je vais donc creuser ce que m inspiré,le bistrot , pas du coin , intitulé chez Jose ; pas bougnat non plus.
    Je note cependant une différence notable entre nos deux auteurs : l un nous fait croire qu il n ecoute que les conversations d éditeur, l autre, plus honnête, évoque les jolies , jeunes passantes étudiantes , infirmières, pas masquées…
    Certes on nous a prévenus,les Terrasses, n est pas une auto fiction.

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