1917 – Critique aisée n°200

Critique aisée n°200

 1917
Sam Mendes – 2020

Voilà : j’ai mis du temps à aller voir 1917. Alors peut-être l’avez-vous déjà vu sans connaitre mon avis. De toute façon, je vous aurais dit d’y aller. Mais si vous ne l’avez pas encore fait, dépêchez-vous, car 1917 ne se joue plus que dans les plus petites des salles des complexes. Le film devrait donc disparaitre bientôt, car il parait qu’il y a un « Ducobu chez les Tuche » qui arrive.

Pour 1917, les critiques ont été généralement très bonnes à l’exception essentielle de Libération. Pour ce journal, le film « manque de point de vue ». Venant de Libération, cela veut probablement dire qu’on n’y trouve ni déclaration pacifiste ni pamphlet anti-capitaliste. Peut-être le journal regrette-t-il aussi que les officiers n’y soient pas montrés comme de sombres brutes alcooliques, aveuglés par la discipline, insensibles au sort des hommes. Libération aime bien les choses simples, claires, manichéennes pour tout dire où, quand on a une bonne conscience et de bonnes pantoufles intellectuelles, on peut s’y retrouver facilement. Bon ! Laissons tomber Libération — c’est ça, laissons tomber Libération — ce n’est pas le sujet.

Tout le monde sait à présent, film vu ou pas vu, que les deux heures environ de 1917 se présentent comme un seul plan-séquence, c’est à dire une prise de vue unique où l’on suit sans interruption les personnages dans leurs déplacements. Pas mal de mes confrères (mes confrères ! Ah !) ont salué une performance technique là où, selon moi, il n’y a qu’une volonté stylistique utile au scénario. Dire d’un plan séquence de deux heures qu’il constitue une performance, c’est non seulement tomber dans le cliché absolu, mais aussi oublier les moyens techniques qui permettent aujourd’hui de suivre partout et tout le temps le moindre personnage et de transformer une succession de plans séparés en un seul plan-séquence. Quand Hitchcock avait tourné « La Corde », son plan-séquence unique (qui en fait n’en était pas un à cause de la durée maximale d’une bobine), avec ses grosses caméras, ses projecteurs imposants et ses forêts de câbles, c’était une performance. Mais pour 1917, les matériels ont radicalement changé et ce n’est pas là que Sam Mendes a cherché la performance.

Dans un scénario assez improbable, dont on nous dit cependant qu’il a été tiré de l’autobiographie du grand-père de Sam Mendes, deux soldats britanniques doivent traverser le no man’s land pour rejoindre un régiment anglais. Ils sont porteurs d’un ordre annulant l’attaque prévue qui conduirait le régiment dans un piège mortel monté par les Allemands. Y parviendront-ils ? Vous savez bien que je ne vous le dirai pas.

Vous savez aussi que je suis à l’affût des clichés. Ils ont le don de me hérisser le poil. Mais ici, je n’en ai vu qu’un et c’est la gentille petite française cachée dans une cave de village en ruine avec un nouveau-né sur les bras. Passé ce poncif, et malgré l’improbable maladresse des tireurs Allemands, j’ai trouvé le film très réaliste et très prenant. Je sais, c’est un peu ridicule quand quelqu’un, né comme moi pendant la deuxième guerre mondiale, qualifie de réaliste un film sur la première. Disons seulement que c’est l’idée que l’on peut s’en faire.

Par son plan-séquence unique, Sam Mendes a choisi de nous faire suivre de tout près les deux soldats dans leur progression à travers une terre dévastée par les bombardements et la succession des assauts et des contre-attaques, puis à travers une campagne étrangement calme et préservée pour une scène (presque) finale époustouflante. On les suit, les deux soldats, et on devient eux, on rampe avec eux, on a peur avec eux, on franchit une crête, on souffle et on repart avec eux. Les décors sont d’une simplicité inhabituelle pour un film de ce genre, mais ils sont hallucinants. Je ne peux pas en dire davantage parce que, littérairement parlant, la description en serait trop difficile.

Il ne me parait pas utile de donner les noms des deux acteurs principaux ; vous ne les connaissez surement pas. Leur banalité donne beaucoup de crédibilité à leur personnage. En plus, ils sont excellents. Par contre, si vous êtes attentif et cinéphile, vous reconnaitrez dans deux rôles éclairs, au début, Colin Firth et, à la fin, Benedict Cumberbatch.

Je ne peux pas clore cette critique sans souligner une vraie performance de réalisation. Je veux parler d’une scène grandiose qui se situe un peu avant la fin du film. Une séquence de travelling de plusieurs minutes, centrée sur un soldat anglais désarmé qui court désespérément en croisant les centaines de soldat d’un régiment qui bondit à la charge hors de la tranchée.
Superbe réalisation technique, scène époustouflante.

 

5 réflexions sur « 1917 – Critique aisée n°200 »

  1. Attention : dans deux jours, la critique du dernier Clint Eastwood.

  2. Impossible effectivement d’argumenter plus avant sans raconter le film. Nous continuerons sur un autre terrain (mais pas sur le pré pour autant !).

  3. Jim et Bruno
    D’abord merci à vous deux pour vos commentaires élaborés.
    Tout film a le droit d’avoir un point de vue, plus ou moins directif, plus ou moins engagé, imposant de façon plus ou moins subtile la façon qu’a l’auteur de voir ou de comprendre les choses. Si l’on reste dans le domaine du film de guerre, nous avons tous vu d’excellents films dont le point de vue était très marqué, films engagés, et en particulier, c’est vrai, « Les Sentiers de la Gloire ». Kubrick y avait adopté un point de vue clairement antimilitariste. Grand film engagé, grand acteur. Film anti-guerre d’abord (mais depuis vingt ou trente ans, y a-t-il eu beaucoup de films pro-guerre ?) et antimilitariste ensuite. On pourrait citer aussi « Pour l’exemple » (King and Country) de Losey. Formidable film antimilitariste lui aussi.

    Mais d’autres films, moins explicitement engagés, sont des films tout aussi puissamment anti-guerre, peut-être même davantage car moins démonstratifs, ou plus subtilement démonstratifs. Qui, n’ayant pas connu la guerre, n’est pas saisi par ses horreurs et son absurdité à l’issue du « Soldat Ryan » de Spielberg. Je me souviens aussi d’avoir vu vers mes 18 ans « Le Pont » de Bernard Wicki, film sobre et simple (et allemand) qui m’avait fait une très forte impression dans le même sens.

    Et puis, il y a les films de guerre « spectacle », auxquels se rattachent souvent les mauvais films historiques, du genre Midway, Dunkerque, Pearl Harbour, Stalingrad, qui n’utilisent le cadre de la guerre que pour en faire, du spectacle, sans grand intérêt.

    Je crains de ne pas être d’accord avec Bruno quand il dit que le sujet du film est l’amitié qui lie les deux soldats. Beaucoup de films de guerre comportent des relations amicales et fortes (et souvent éphémères) entre hommes sans que pour celà elles en soient le sujet. En fait, nos deux soldats ne sont pas particulièrement amis, et leur amitié évolue à peine au cours du film. Ce n’est pas par amitié qu’ils se sauvent l’un l’autre, mais presque par réflexe, par simple commisération humaine. (Ah, que c’est dur de ne pas spoiler !). Alors, qu’est-ce que c’est que le sujet du film ? Peut-être la naissance de l’héroïsme chez des soldats ordinaires, cet héroïsme croissant avec tous les actes de courage qu’ils laissent derrière eux au fur et à mesure de leur progression, progression qu’ils accomplissent d’abord par pure discipline, puis, finalement, pour atteindre à tout prix l’objectif qui leur avait été fixé : sauver un régiment du massacre.
    A mon avis, Libération a utilisé à tort la locution Point de Vue. Pour moi, la bonne acception du terme, c’est le « point de vue narratif », c’est-à-dire de quel endroit on voit le tableau, à partir de qui on raconte l’histoire, le point de perception grâce auquel le spectateur prend connaissance de l’histoire. Beaucoup de films, de guerre ou pas, ont un point de vue omniscient (la caméra sait tout, voit tout.) Pour 1917, ce sont clairement les deux soldats qui constituent le point de vue, ce qui donne toute sa forme et sa force au film. Ce n’est pas encore de la « caméra subjective » mais presque.
    L’histoire est belle bien sûr, mais surtout elle est magnifiquement filmée. Imaginons la même chose tournée par Yves Boisset par exemple.

    P.S. Pas d’accord non plus sur la qualification de film de guerre pour « La Grande illusion » . Mais celui-là, c’est bien un film sur l’amitié. Mais pour moi, c’est surtout un film sur la cohabitation des diverses classes sociales ouvriers, professeurs, artisans, bourgeois juif, aristocrate, et leur découverte mutuelle.

  4. Bon, je me lance.
    1917 est-il avant tout un film sur la guerre en général, et celle de 14/18 en particulier, vue de manière plus ou moins originale ?
    C’est ce que semblent penser le chroniqueur et son premier commentateur, que je respecte infiniment l’un et l’autre, et aussi Libération, qui ne m’est pas aussi sympathique, mais ce n’est pas le film que j’ai vu. Heureusement, d’ailleurs, car j’aurais sans doute été déçu : tant de choses ont déjà été si magnifiquement filmées pour raconter cette guerre, à commencer par La grande illusion pour la magnifier sur le mode héroïque et Les sentiers de la gloire pour en dénoncer la sauvagerie et l’absurdité, que la simple modification de point de vue par un artifice de scénario doublé d’une technique peu usitée n’eût suffi à me combler.
    Or, c’est précisément la technique du plan unique qui confirme ce que je pense être le véritable sujet du film : non pas la guerre, mais dans son cadre, une fort belle histoire d’amitié vécue par le grand-père de Mendes qui met tout son art à la raconter. C’est parce que ce lien entre deux potes perdus dans la guerre est la seule chose qui l’intéresse que Mendes ne laisse pas sa caméra les quitter.
    Aller trop loin dans ce qui fait la beauté de cette histoire serait se risquer à un divulgâchis à la Télérama, mais tout de même : la manipulation cynique par le haut commandement de l’amour fraternel menant à l’acceptation par le principal intéressé d’une mission héroïque parce que désespérée qui ne sera accomplie dans l’indifférence quasi générale que par un comparse hésitant, ce n’est pas banal, même dans les westerns (mais j’en connais moins que vous sur ce dernier point).
    Reste que je n’ai pas demandé l’avis de l’auteur et que je peux me tromper, mais peu importe l’auteur lorsque l’histoire est belle !

  5. « Une idée ne vaut que par la forme et donner la forme à une vieille idée, c’est tout l’art. »
    Cette citation d’Anatole France, je l’ai apprise récemment dans le JDC. En ce qui me concerne, elle s’applique parfaitement à 1917. J’ai vu le film par curiosité suite aux critiques dithyrambiques. La guerre et ses horreurs – dans 1917 elle est crue et on ne peut y être insensible – est une très vieille idée, maintes et maintes fois cinématographiéé, une fois de plus dans 1917. Dans une nouvelle forme artistique, une seul plan séquence, d’accord. Le prochain film sur l’horreur de la guerre 14-18 trouvera peut-être une nouvelle forme, j’irai pas le voir! Je suis d’accord avec la critique de Libé.

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