Une douche froide (3/5)

3- Marantza sur la couchette

Pendant ce temps, la machine à B.U.R. (Boisson Universelle Revigorante) avait délivré son breuvage bleuâtre et fumant et la P.U.E. (Pilule Universelle Énergisante) matinale l’attendait dans sa petite coupelle de verre devant le distributeur. Il but le B.U.R. et avala la P.U.E. Les deux substances ne tardèrent pas à produire l’effet recherché.
Il commençait à se sentir un peu mieux quand une pensée encore confuse lui fit relever la tête : Marantza ! Marantza était là, sur la couchette ! Le drap qui révélait les formes splendides de son corps allongé ne laissait à découvert que son beau visage qui lui souriait doucement. Avec cette toile qui lui couvrait la tête, on aurait dit une madone des anciens temps. Le sourire de Marantza acheva de dissiper l’épais brouillard qui chaque matin baignait le réveil de Ptlamn. Il se sentit fondre : les muscles de son dos se détendaient et sa mauvaise humeur avait déjà fait place à une immense tendresse suivie d’un désir qui allait croissant.

Cela faisait maintenant trois jours qu’il avait amené Marantza chez lui. Au matin de leur première nuit, incapable de se séparer d’elle, il avait déposé par pneumatique un arrêt maladie en raison de douleurs subites d’origine inconnue ressenties dans une région qu’il souhaitait garder confidentielle. La Municipalité de Bmacylaric où Ptlamn travaillait n’était pas très regardante sur les congés ou les arrêts maladie de ses employés et sa demande avait été enregistrée et acceptée dans le quart d’heure. On lui accordait trois jours pleins, en attendant mieux si son état devait s’aggraver.

Pendant les trois jours qui suivirent, Ptlamn ne sortit plus de chez lui et connut avec Marantza les moments les plus intenses qu’il ait jamais vécus. À vrai dire, le moment plus intense qu’il ait jamais vécu avant Marantza, c’était la finale du tournoi régional de fléchettes d’il y a quatre ans.

Trois jours seulement s’étaient écoulés depuis qu’elle était entrée chez lui pour la première fois et il avait déjà oublié comment c’était, la vie avant elle. Quand remontait à sa mémoire qu’elle ne devait rester qu’un mois, un terrible froid le prenait au ventre. Un mois, c’est ce qui était prévu. Plus que vingt-sept jours ! Vingt-sept ou vingt-six jours ? Il ne savait plus. Il n’osait même pas vérifier. Bien sûr, il y avait toujours la possibilité de prolonger le contrat ; six mois, un an, davantage encore ! Pourquoi pas ?  C’était une option possible, c’était prévu, en toutes lettres ! Un an ! Mais jamais le petit capital que Ptlamn avait déjà joyeusement entamé ni son salaire ne lui permettraient une telle folie ! Ou alors, il faudrait gagner plus, travailler plus, beaucoup plus…
Il rêvait : l’avoir tous les jours chez lui, à lui, pour lui ; pouvoir la regarder, l’embrasser, la caresser, tous les jours, une année, toute la vie… Cette pensée fit monter dans ses reins une nouvelle poussée de désir. Il fit un pas vers la couchette. Son visage était tout près maintenant, à la hauteur des yeux de Marantza. Il ébaucha un geste vers le drap qui recouvrait son corps.

— Non, non, tu vas être en retard, dit-elle d’un ton rieur tout en se tournant vers le mur. De cette rebuffade, il ressentit aussitôt un pincement au cœur. Elle dût s’en apercevoir car, bientôt, il entendit sa voix à demi étouffée par l’oreiller qui disait d’un ton plein de promesses  : « Je serai encore là ce soir, tu sais ! » Il n’insista pas. Il fallait être raisonnable : après trois jours d’arrêt maladie sans justificatif, arriver en retard, ça la ficherait vraiment mal.

— Tu as raison, Marantza, il faut que j’y aille, mais j’ai besoin d’un petit acompte, dit-il et d’un rapide basculement du buste, il vint lui mordre doucement la fesse à travers le drap. Le petit cri surpris et joyeux qu’elle poussa en réponse le mit au comble du bonheur : cette jeune femme si belle était à lui, bien à lui. « À ce soir », lui dit-il en lui donnant une petite tape à l’endroit où il l’avait mordue. « A ce soir, Ô mon seigneur et maître ! » répondit-elle avec emphase. Il entra dans le sas, régla son vêtement sur « extérieur » et sortit. La journée commençait bien, la vie était belle, il était heureux.

Il n’était que six heures quarante-huit, mais la porte de l’ascenseur E-34 arborait déjà le panneau d’immobilisation pour entretien. Ptlamn devrait prendre le corridor qui menait tout droit à l’ascenseur E-33 — deux cent cinquante-cinq mètres à parcourir dans un couloir venteux et mal éclairé — mais qu’importe ? Il était heureux ! Il se dit que l’ascenseur E-33, qui était en panne la semaine dernière, n’était certainement pas déjà réparé. Aucune importance, puisqu’il était amoureux ! Il prendrait l’escalier de secours. Il était à l’air libre, cet escalier, mais il ne devait pleuvoir qu’à partir de onze heures cinq ou six et l’indice de pollution était encore très acceptable. Et puis, on n’était qu’au dix-huitième étage. Tout lui souriait puisqu’il était amoureux d’elle et qu’elle l’aimait aussi. C’était évident qu’elle l’aimait, tout le démontrait. Il ouvrit la porte qui donnait sur l’escalier de secours et se retrouva dans le froid. Sa combinaison s’adapta aussitôt en envoyant les calories nécessaires au maintien de la température de son corps. Il avait beau être déjà en retard, dix-huit étages, trois cents quatre-vingt-dix marches, ça ne se descend pas à la volée, ou alors c’est la chute presque assurée. Il en avait déjà fait l’expérience : durs les escaliers, dure la chute. Il aborda les premières marches avec prudence, chercha son rythme, l’adopta et se mit à penser à autre chose, c’est-à-dire à cette fantastique nouveauté qui bouleversait sa vie, Marantza.

A SUIVRE

2 réflexions sur « Une douche froide (3/5) »

  1. Bonjour Rebecca,
    personnellement, je considère pas Huxley comme un auteur de S.F. Bien sûr, j’avais beaucoup aimé son Brave New World et il m’a surement influencé , mais probablement plus dans la façon de voir la société que dans celle d’écrire. Mes favoris en matière de S.F. sont bien sûr Ray Bradbury, Clifford Simak (Je recommande « Demain les chiens »), mais surtout Isaac Asimov. Ce que je n’aime pas vraiment dans mon texte, ce n’est pas le style, mais plutôt la chute à venir et aussi le fait que j’aurais aimé pouvoir faire connaitre un peu plus de la vie de Ptlamn. Mais comme expliqué dans la préface, j’ai essayé mais j’ai fini par me décourager.

  2. Je suis le texte depuis le premier épisode et dois dire que cette incursion dans un nouveau genre semble inhabituelle de ta part.
    plutôt que du Aldous Huxley, dont tu te réclamais l’autre jour, j’y verrais bien une influence Barjavelienne ou Bradburyesque… Je penche plutôt pour Barjavel.
    C’est intéressant, notamment la façon dont tu intègres le vocabulaire sociétal spécifique (le B.U.R , la notion de langue en note dans l’épisode 1, etc)
    Néanmoins, je comprends que tu n’en sois pas satisfait, car le style, notamment dans l’épisode d’aujourd’hui, a de grosses lourdeurs et des besoins évidents de reformulation.

    Voyons la suite…

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