Une douche froide (1/5)

PRÉFACE

 A défaut d’être Proust, Vialatte ou Chandler, on peut toujours essayer d’être Asimov. Non pas que cela soit plus facile mais, mise à part une brève tentative avec « Une photo de la planète« , je n’avais jamais donné dans la Science-fiction. A court d’inspiration dans mes domaines habituels, j’ai voulu tenter le coup dans celui-là.

Quand on aborde un nouveau genre, on souhaite souvent se donner un maître et, quitte à prendre un maître, autant le choisir parmi les meilleurs, et j’ai choisi Isaac Asimov.
Je n’ai certainement pas tout lu de ce qu’a écrit Asimov, car sa production a été immense, mais j’ai dû lire quand même une bonne partie de ses œuvres de fiction.
Ce que je préférais, c’était ses nouvelles. Elles étaient très souvent pleines d’humour, de paradoxes et, par conséquent, d’humour paradoxal. Dans ses nouvelles, deux choses me plaisaient particulièrement : elles comportaient toujours une chute, un dénouement, un retournement inattendu, car le genre fin ouverte en points de suspension vers le silence des espaces infinis et effrayants n’était pas le sien. La deuxième chose qui me plaisait bien, c’était les quelques lignes qu’il plaçait en tête de la nouvelle, quelques lignes qui expliquaient pourquoi et comment il avait écrit ce qui allait suivre et aussi combien la nouvelle lui avait été achetée par une obscure officine du Lower East Side, en général une dizaine de dollars. Alors, pour faire comme Isaac, j’ai décidé d’écrire une préface. Et maintenant, si vous ne vous êtes pas encore endormi dessus, passons au texte que vous allez lire : ‘’Une douche froide’’

Je vous préviens : je ne l’aime pas ce texte. Je le traîne depuis trois ans dans les divers coins de mon MacBook. Partie sur une idée volontariste et contraignante de douche sans eau, la première page m’est venue d’elle-même en quelques minutes. Mais une fois la douche ratée, une fois le personnage principal sec et frigorifié, je n’ai plus su que faire de ce héros nu et lamentable. Je l’ai fait successivement et dans le désordre espion, révolutionnaire, soumis, héroïque, amoureux, stupide… sans pouvoir me décider. Aux premiers cinq cents mots qui étaient venus si facilement, trop facilement, j’en ai ajouté un millier, puis deux, puis six. J’ai créé des personnages supplémentaires. Je les ai fait disparaître dans des cages d’ascenseur ou d’horribles souffrances, et puis je les ai dé-créés pour en inventer d’autres tout aussi inutiles. J’ai coupé, taillé, collé du texte, j’ai changé le point de vue et les temps de narration, j’ai tout essayé. Rien n’y a fait.

Épuisé, découragé, je suis revenu au premier jet, trois mille cinq cents mots. Je vous en livre une première partie dès aujourd’hui.
Mais je vous l’ai dit : je n’aime pas ce texte.
Bon, tant pis ! Allons-y.

Ah ! Une dernière précision que je dois à mon maître Asimov : cette « Douche froide » ne m’a pas rapporté un seul dollar.

 1- Le réveil de Ptlamn

Le jour était levé depuis plusieurs minutes mais la pièce baignait encore dans la lumière laiteuse et bleuâtre qui émanait du plafond. L’enceinte secondaire diffusait toujours le fond sonore apaisant du mélange « vent du sud sur plage tropicale » que le dormeur avait choisi la veille au soir et qu’il avait réglé hier sur « modéré ». Rien ne bougeait ni ne bruissait donc et, par dessus le léger souffle des alizés à travers les palmes, on n’entendait que la respiration sereine du dormeur sur sa couchette.

— Bonjour Ptlamn1!  hurla l’écran principal après avoir cligné deux fois dans chaque couleur primaire.

— Il est exactement six heures vingt-trois, l’heure de se lever, précisa-t-il sur le même ton.

L’homme à qui s’adressait cette information se redressa en sursaut et se cogna la tête au plafond de la couchette.

— Aïe ! Moins fort, l’ÉCU2 ! Moins fort, bon sang de bois ! grogna Ptlamn qui avait toujours le réveil brumeux.

Baissant le ton, l’écran répéta, docile :

— Bonjour Ptlamn, il est exactement six heures vingt-trois, l’heure de se lever.

« Ce vieux machin est encore déréglé », pensa Ptlamn en lui jetant un regard chargé de haine. Imperturbable, le vieux machin effaça de son écran le paysage de plage tropicale qu’il affichait chaque matin pour passer aux informations régionales. Un homme à la combinaison chromatique rutilante donnait les nouvelles d’un ton enjoué : la météo était mauvaise, le réseau de transport pneumatique aérien atteindrait son niveau de saturation à sept heures et douze minutes, l’atelier de contrôle de l’U.U.F. (Usine Universelle de Fabrication) entamait son sixième mois de grève et le procès du Maire de la ville avait débouché sur un troisième non-lieu. La routine… La séquence suivante était entièrement consacrée à l’immeuble et à ses huit mille habitants. Sous forme de textes défilants et sur un fond musical de six notes répétées en boucles exaspérantes, elle lui apprit que la réunion mensuelle de l’A.U.R.R.E. (Amicale Universelle des Résidents de la Résidence E) se tiendrait après-demain à vingt et une heures précises dans la salle Aldous Huxley avec présence obligatoire — Ah non ! Merde alors, pensa Ptlamn —, que l’élévateur E-34 serait immobilisé aujourd’hui de sept heures trente à vingt heures pour visite décennale — Ah non ! Merde alors, repensa Ptlamn — et que six résidents devaient encore un total de quatre-vingt-trois heures cinquante de travail d’intérêt collectif à la Résidence. Sous peine d’expulsion, les personnes dont les noms allaient suivre étaient priés de se présenter à la C.G. (Conciergerie Générale) demain avant 7 heures 30, munis de leur équipement personnel. Ptlamn fit un réel effort de concentration pour arriver à lire les noms qui filaient vers bas de l’écran, car il ne s’agissait pas de rater une telle convocation : Poïutl, Vramour7w, Haw@lbumpil, Gmahf , Klapouchnereva et Roger.

— Ouf, pensa Ptlamn. Pour une fois, je ne suis pas dedans !

L’écran retourna à sa plage paradisiaque, y ajoutant un léger bruit de ressac. Ptlamn laissa sa tête retomber sur l’oreiller et s’accorda quelques secondes de sommeil supplémentaires, puis il rouvrit les yeux : « Six heures trente-huit », annonçaient les chiffres incrustés dans le cumulus qui flottait au-dessus des cocotiers.

— Six heures trente-huit ! Merde, merde, merde, je vais être encore en retard ! s’affola Ptlamn.

 A SUIVRE

NOTE 1 — On sait que dans la L.U.N.E. (Langue Universelle du Nord Évoluée), les lettres t et n ne se prononcent que lorsqu’elles précèdent un chiffre ou un q. En conséquence, ceux qui ne sont pas des familiers de cette règle prononceront simplement le nom du héros de cette manière : Plam ou Plame, au choix.

 NOTE 2 — Dans la strate sociale à laquelle Ptlamn appartient, c’est une tradition d’appeler « ÉCU » l’Écran Universel de Communication (E.U.C.) dont la présence et le maintien en service sont obligatoires dans chaque foyer depuis les évènements de 2068. C’est plus facile à prononcer que E.U.C. et cette distorsion donne à ceux qui l’utilise une  impression flatteuse de liberté de pensée. Le M.U.S.C., Ministère Universel de la Surveillance du Comportement, est parfaitement au courant de cette déviation, mais il laisse faire.

 A SUIVRE ÉGALEMENT

Une réflexion sur « Une douche froide (1/5) »

  1. Organisation urbaine rêvée pour l’administration du V.I.R.U.S. (V pour vaccin et U pour Universel, les autres lettres sont sans importance).

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