Phèdre – Critique aisée n°193

Critique aisée n°193

Phèdre
Jean Racine
Mise en scène : Brigitte Jaques-Wajeman
Rôle titre : Raphaële Bouchard
Par le Théâtre de la Ville au Théâtre des Abbesses.

Cette fois-ci, nous n’avons marché qu’une heure et demi dans un Paris privé de Métro pour parvenir jusqu’au Théâtre des Abbesses, qui abrite le Théâtre de la Ville pour le temps de son interminable rénovation.

Quand même pas à la taille du Théâtre de la Ville (1000 places), celui des Abbesses (400 places) est cependant un vrai théâtre, d’architecture greco-moderne, moins confortable qu’il n’y parait au premier abord, mais avec une salle plutôt pentue qui permet de bien voir de partout. (Bien entendre de partout, c’est une autre histoire et on y reviendra.)

Avant ce soir là, je n’avais vu Phèdre qu’une seule fois. Maria Casarès tenait le rôle titre, Alain Cuny était Thésée et Jean Vilar était à la fois Théramène et metteur en scène. C’était au TNP. Nous y avions été traîné par notre école. Je n’avais pas seize ans. Je me souviens du décor minimaliste, juste un petit banc sur un grand fond noir. Je me souviens des comédiens qui portaient des cothurnes et qui parlaient très fort. Je me souviens que je n’avais rien compris au jeu extrêmement sensuel de Maria Casares et, par conséquent, rien compris à la pièce. Adolescent crétin, j’avais même dû ricaner.

Mais  soixante ans plus tard, l’autre soir aux Abbesses, ce fut différent. J’ai enfin compris le sens de cette pièce magnifique.
           — Eh bien, connais donc Phèdre et toute sa fureur !
Par le jeu très sensuel et très physique de Mademoiselle Bouchard dans ce rôle écrasant, j’ai pu ressentir toute la violence du désir, les affres de la passion, la torture de la jalousie, en un mot, la fureur de cette reine tragique.

Une formidable Phèdre, manipulée par une excellente Œnone, un Hippolyte trop fragile, un Thésée emporté à souhait et un bon Théramène bien pathétique.

Le décor des Abbesses pour Phèdre est à peu près aussi minimaliste que l’était celui du TNP et les costumes sont sans apprêt. La mise en scène ne se montre pas. Elle a visiblement demandé aux comédiens de scander les alexandrins, ce qui ne m’a personnellement jamais gêné – j’aime beaucoup les alexandrins – sauf quand on insiste un peu trop sur les terminaisons en « ion », comme malédiction, humiliation, etc…, en les hachant les syllabes de manière peu naturelle (ma-lé-dic-si-on, hu-mi-li-a-si-on).

Mais je ne peux terminer cette critique aisée sans adresser à nouveau ma vieille supplique à la corporation des metteurs en scène. Mais avant la supplique, une question : ces messieurs-dames, à qui j’accorde mon estime et reconnais beaucoup de droits en matière de création,  montent-ils de temps en temps dans les étages du théâtre, vers les corbeilles, les balcons, les loges du fond, les places d’orchestre enfouies sous les corbeilles ? Grimpent-ils parfois jusqu’au poulailler, jusqu’au Paradis ? S’assurent-ils que, de la dernière de ces places, on entendra la tirade murmurée d’Hippolyte ou la fin chuchotée du récit de Théramène ?

Je conçois très bien que l’on souhaite se distinguer des déclamations emphatiques à la Mounet-Sully, mais qu’on veuille bien se rappeler que les Enfants du Paradis (et les Vieillards de l’Orchestre) ont droit eux aussi à la totalité du texte. Faut-il rappeler à ces professionnels du spectacle que le naturel n’a pas vraiment sa place au théâtre, ce monde entièrement fait d’artifices et dans lequel il faut qu’une confidence faite à l’oreille d’un personnage sur scène soit entendue de la place la plus modeste de la salle ?

Alors, ma supplique : montez le son, sacré bonsoir !

Heureusement et Phèdre, et Oenone, et Thésée étaient parfaitement audibles. C’est l’essentiel non ?

 

Une réflexion sur « Phèdre – Critique aisée n°193 »

  1. Les théâtres parisiens sont mal foutus pour la plupart, en tout cas inadaptés à la façon intimiste de susurrer aujourd’hui la tragédie plutôt que la déclamer (on regrette le TNP). Il en va peut être mieux pour la comédie, les acteurs y sont moins complexés. En plus, les sièges des théâtres parisiens sont parfaitement inconfortables. Et pourtant, Paris s’est doté de salles de concert modernes et confortables. Moi qui fréquente un peu ces lieux de musique classique et d’opéra (comique ou bouffe…), je remarque qu’ils sont de plus en plus fréquentés par les jeunes générations et le prix des places plus abordables. La Comédie Française ferait bien d’en prendre de la graine.

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