Le Porteur d’Histoire – Critique aisée n°199

Critique aisée n°199

Le Porteur d’Histoire
Alexis Michalik
Théâtre des Béliers, Paris 18°

Pour commencer, le théâtre était à perpette, rue Sainte-Isaure, sur le flanc nord de la butte Montmartre, mais plus près du périphérique que du Sacré-Coeur, c’est tout dire.
Ensuite, depuis un mois c’était la grève. Une dizaine de pour cents des employés de la RATP bloquait Paris dans de gigantesques embouteillages. Alors, il fallait prendre ses précautions parce que le spectacle commençait à 19 heures, la pointe de l’heure de pointe. Être précautionneux, cela voulait dire prévoir deux heures de transports là où en temps normal, quarante-cinq minutes auraient largement suffi. Bref, après avoir oscillé entre le boulevard Saint-Michel, le quai de l’Horloge, la rue du Louvre, l’avenue de l’Opera, la rue de Rome, après avoir enfilé d’un coup cinq cents mètres de  voies pour bus, brûlé au pas un ou deux feux rouges, essuyé les coups sur le capot de quelques passants jaloux, procédé à deux demi tours interdits, après avoir abandonné notre voiture sous la place Clichy et marché pendant une demi heure comme des dahuts le long des pentes de Montmartre, nous sommes arrivés au théâtre des Béliers à l’heure mais fraîchement accueillis par un mince jeune homme arrogant au fin visage de Pierrot. Mais ceci est une autre histoire.

Bon, j’ai déjà dit ce que je pensais d’Alexis Michalik dans deux critiques aisées précédentes (Edmond, Intra-Muros). Et ce n’est pas le Porteur d’Histoire, sa vraie première pièce à succès, qui va me faire changer d’avis.

Alexis Michalik est un jeune homme très doué, équipé d’une bonne culture, d’une plume agréable et sans doute, vue l’abondance de ses productions, d’une énorme capacité de travail. Mais ce qu’il a surtout, c’est un système qu’il applique avec assurance et succès depuis qu’il s’est mis à écrire pour le théâtre. Le système Michalik comporte deux volets. Le premier que j’ai pu identifier consiste à prendre une œuvre célèbre (La Mégère apprivoisée, Roméo et Juliette, Cyrano de Bergerac), à la découper en petits morceaux et à la raconter dans le désordre en la paraphrasant et en la saupoudrant de noms célèbres. C’est fait habilement, le public est ravi et ça le dispense de voir les œuvres originales. Le deuxième volet consiste à inventer une histoire mélodramatique et linéaire assez simple (pour ce qui est du Porteur,  il s’agit d’une légende à moitié véridique) mais à la raconter par petits morceaux dans le désordre en la parsemant de noms célèbres. C’est fait habilement, le public est perdu dans l’histoire et ravi quand il reconnaît quelques repères (Ah oui ! Delacroix ! Ah bon, Dumas !…)

On voit bien les constantes du système : la méthode et le succès.

Alexis Michalik écrit beaucoup, il écrit bien, mais ses ficelles sont grosses et je ne peux m’empêcher de penser que tout ça, et en particulier le Porteur d’Histoire, n’est pas du théâtre. C’est du truquage.
Un texte écrit comme un récit du point de vue du narrateur omniscient, comme on dit quand on a fréquenté un atelier d’écriture, ça n’est pas du théâtre.
Quand ça occupe les deux tiers de la pièce, un texte dit face au public par un récitant, ce n’est pas du théâtre (à moins que comme chez Sophocle, le récitant n’apparaisse qu’épisodiquement pour placer l’action dans son cadre. Shakespeare l’a fait aussi).
Ce n’est pas en hachant ce texte pour en faire dire les morceaux par cinq récitants différents tous en scène à côté les uns des autres et face au public que ça devient du théâtre.
Ce n’est pas en compliquant l’histoire par des artifices de flash back et forward  que ça en fait une pièce haletante.
Ce n’est pas une mise en scène virevoltante, que l’on retrouve d’ailleurs dans Edmond et Intra-Muros, qui fait de ce récit une pièce de théâtre.

Mais que manque-t-il donc à cette pièce pour en faire du théâtre ? Il manque des dialogues, des échanges, des répliques, une évolution des personnages, des crises, de la passion, de l’humour, et un minimum de sincérité.

C’est cela : il faudrait un peu moins de truquage, un peu plus de sincérité.

3 réflexions sur « Le Porteur d’Histoire – Critique aisée n°199 »

  1. Elle est bien cette citation de je ne sais plus qui: si le public seul aime une pièce, c’est le but non, c’est lui qui paie pour se divertir, et tant pis pour les autres, les critiques quoi.

  2. Merci, ça me réconforte dans ma solitude. Toutes les pièces de Michalik ont un grand succès.
    Et comme disait je ne sais plus qui à propos de je ne sais plus quoi : « Le public aime la pièce. Il est bien le seul !« 

  3. Je suis entièrement d’accord
    J’ai vu toutes les pièces et son système est très répétitif et on s’en lasse
    Et je déconseille également son premier roman « Loin » qui part d’une idée très originale mais qui devient épuisant , qui se disperse , qui ne témoigne pas d’une belle écriture

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