(très) cher cinéma français – Critique aisée n°186

Critique aisée n°186

(très) cher cinéma français
Éric Neuhoff
Albin Michel – 2019 – 131 pages – 14 euros

Moi, je l’aime bien, Éric Neuhoff. Bien qu’il se soit un peu empâté, à 63 ans, il a toujours une gueule de lycéen redoublant une terminale. Il y a longtemps que je ne lis plus Le Figaro (non, je n’ai pas changé, mais le temps est trop court), mais je l’entends souvent au Masque et la Plume. Je l’aime bien, Neuhoff, au Masque et la plume. Je ne suis pas comme l’autre là, vous savez, Le Herpeur. On dit qu’au Masque, Neuhoff est critique de cinéma et que Le Herpeur est critique de Neuhoff. Il n’est pas que critique de cinéma, Neuhoff, il est aussi romancier. Il y a quelques années, j’avais lu de lui un de ses romans de jeunesse. J’en ai oublié le titre, mais c’était léger, agréable. Il est aussi essayiste et son petit bouquin Lettre ouverte à François Truffaut valait le coup. J’en avais donné ici un extrait il y a un peu plus d’un an. Cliquez là, si vous voulez :

https://www.leblogdescoutheillas.com/?p=13096

Il vient de sortir un petit bouquin (131 pages qui, avec une mise en page normale, auraient bien tenu en 60) « (très) cher cinéma français » (les parenthèses sont de lui) et qui lui a valu le prix Renaudot dans la catégorie des essais.

Donc, Éric Neuhoff est critique, romancier, essayiste, mais surtout, nostalgique. Nostalgique du Paris d’avant , nostalgique du cinéma d’avant, nostalgique. Son livre commence ainsi :
« HS. Kaputt. Finito. Arrêtons les frais. Le cinéma français agonise sous nos yeux. Il ne faut plus se voiler la face. Notre cinéma se meurt, notre cinéma est mort. Les Inrocks et Télérama tiennent les cordons du poêle. »

Ça vous met dans l’ambiance. Un peu plus loin :
« Le cinéma français s’oublie, dans tous les sens du terme. Il nous parle une langue étrangère, déborde d’humanisme, se gave d’audaces factices. Ses prestiges sont passés. Incapables de considérer le fracas du monde, il ne se souvient pas qu’il a été grand. Il ressemble à Anne Hidalgo : sectaire, revêche, sans grâce, empestant l’arrogance et la mauvaise foi. La paresse exerce des ravages. Le favoritisme règne en maître. Mélodrames bâclés, remakes malingres, biopic plâtreux, le choix est vaste. Les acteurs sont payés des fortunes : ils ne font pas une entrée (exception Luchini). »
(J’aime bien le passage sur Hidalgo.)

Neuhoff fulmine contre l’avance sur recette et l’absence de risques financiers qu’elle permet et qui permet à tous de faire n’importe quoi. Il rage contre les Césars où le grand jeu consiste à se moquer de Delon, où ni Belmondo ni Marielle n’ont jamais mis les pieds — Marielle disait « je ne suis pas un acteur de tombola » — et qui n’a jamais accordé la moindre récompense à Bardot. Il proteste contre les dialogues construits  » à grand renfort de borborygmes. Les ouïes les moins fines auront remarqué que les films français souffrent généralement d’un problème de son. Les comédiens, même quand ils n’habitent pas le 9.3., n’articulent pas. On tend l’oreille : une phrase sur deux est incompréhensible » (content de ne plus être tout seul à le dire… j’avais l’impression de devenir sourd).

Neuhoff fulmine, et Neuhoff regrette, dans une longue évocation du cinéma disparu. Bien sûr, tout cela est exagéré, parfois injuste, souvent facile, tout n’était pas bon et tout n’est pas mauvais, surtout quand on sort de voir Hors normes et qu’on a vu cette année, J’accuseAlice et le Maire, Deux moi, Une intime conviction, L’homme fidèle, Le chant du loup. Il suffira d’oublier Frankie, Chien stupide et Happy End...

Mais quand même, Ventura, Blier Bernard et Bertrand, Mireille Darc, Granier-Deferre, Truffaut, Françoise Fabian, Audiard, Malle, Lelouch, Romy Schneider…

Pour ceux qui sont de sa génération ou d’avant, c’est parfois émouvant de se rappeler avec lui ces films, ces acteurs et ces actrices, surtout ces actrices.

(Très) cher cinéma français est un grand coup de gueule, mais c’est aussi un grand coup d’épée dans l’eau. Il n’est d’ailleurs que de voir la réaction de la profession à ce pamphlet pour comprendre que rien ne changera. Il suffit d’entendre Yvan Attal, qui vient quand même de nous donner une belle leçon de je-m’en-foutisme avec son Chien stupide, répondre à Neuhoff que s’il trouve que le cinéma français se meurt, il n’a qu’à aller voir l’état du cinéma américain.

Je rêve.

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