Nighthawks, huit fois revisité

Nighthawks est probablement le tableau de plus célèbre d’Edward Hopper (1882-1967). Voici l’œuvre en question :

Les commentateurs s’accordent en général pour dire que Nighthawks est une représentation de la solitude et de l’aliénation de l’individu dans la société américaine.

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NIGHTHAWKS 1

Pourtant cette interprétation est loin de faire l’unanimité chez les spécialistes et plus particulièrement chez les gardiens de musée, surtout depuis qu’un jeune chercheur de l’Université d’Hawal-Bumpil-On-The-Gange a retrouvé dans l’un des containers qui renfermaient les documents en instance de classement du Whitney Museum de New York une série d’études du maître qui mettent en évidence ses hésitations quant à la signification de son œuvre majeure. Voici la première d’entre elle qui exprime le désarroi pathétique de la femme devant l’absurdité du temps qui passe en même temps que l’assurance insolente de l’homme devant l’absurdité de la femme.
Nota bene : Avant d’envoyer des insultes à la Rédaction, rappelez vous que c’est Hopper qui pense et que nous sommes en 1942.

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NIGHTHAWKS 2

Voici maintenant le deuxième croquis préparatoire à l’œuvre majeure d’Edward Hopper. Dans cette version, ce n’est plus la femme que l’artiste cherche à accabler pour mieux mettre l’homme en valeur. C’est toute la vie de couple qu’il questionne de façon magistrale. On peut légitimement se demander si l’artiste s’est introduit dans son tableau à travers le barman ou à travers l’homme de dos. Le plus simple est de considérer que c’est à travers les deux.

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NIGHTHAWKS 3

Dans sa troisième esquisse, le peintre aborde de front et de façon prémonitoire le problème récurrent de notre époque : boire ou conduire, faut-il vraiment choisir ?

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NIGHTHAWKS 4

Dans ce quatrième projet pour Nighthawks, Hopper se souvient de son séjour à Paris en septembre 1906, au cours duquel, au cinéma Champollion, il avait assisté  d’affilée à quatre projections successives d’un film français dont le titre s’est malheureusement perdu.

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NIGHTHAWKS 5

Après avoir évoqué successivement l’instabilité féminine et la permanence masculine, les difficultés de la vie en couple, le dilemme angoissant des automobilistes et les joies du touriste américain à Paris,  dans cette antépénultième version, l’artiste a voulu exprimer son désespoir et sa colère devant l’impossibilité dans laquelle se trouve l’homme de sortir de son enfermement. Y a-t-il réussi ? Là est la question. On notera avec amusement que, par le truchement du personnage de dos, l’artiste s’interpelle lui-même en tant que Créateur de toutes choses et, en particulier, de ce bar sans issue.

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NIGHTHAWKS 6

C’est au cours d’une soirée plutôt arrosée qu’Hopper a pondu cette incompréhensible version. Certains y voient une terrible mise en abime :

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NIGHTHAWKS 7

Cette ultime version révèle le coté autoritaire d’Edward Hopper. On raconte que pour tirer le meilleur de ses modèles, il aimait les mettre dans des situations inconfortables ou gênantes. C’est ainsi que faute de tabourets de bar, le couple de face simule la position assise, position très pénible à la longue, on en conviendra. De même, le modèle qui tient le rôle de barman ne porte pas de pantalon, ce qui est gênant et pour lui et pour la femme en rouge. C’est dans les p’tits détails comme ça que l’on est snob ou pas. On remarquera aussi que Hopper, l’homme de dos, est le seul à être véritablement assis et complètement vêtu.

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NIGHTHAWKS 8

Et voilà ! C’est tout pour aujourd’hui.

10 réflexions sur « Nighthawks, huit fois revisité »

  1. Ce que tu dis sur l’art est juste et je suis d’accord avec toi. Par contre, pour ce qui est de l’art américain, je ne le suis pas. Le XX ème siècle (européen) a donné Proust, Picasso, Ravel, Giacometti, Aragon, Matisse, Céline, Christo, Cartier-Bresson, Apollinaire (etc) dont je ne vois aucun équivalent dans la « culture » américaine. Mais, comme l’a démontré Hector Obalk, Andy Warhol n’est pas un grand artiste !
    PS) aucun chauvinisme de ma part, un constat.

  2. En voilà une conception de l’art bien figée . Ça rappelle l’éternelle querelle des anciens et des modernes.
    Je ne parlerai pas de peinture, je n’y connais pas grand chose, mais il se trouve par hasard que j’aime bien Marquet.

    Par contre, dire que tout avait été écrit avant l’arrivée en culture des US ne tient pas debout. On pourrait tout aussi bien dire, et beaucoup le disaient, que tout avait été écrit avec les classiques, puis avec les romantiques, puis avec les réalistes, puis avec le nouveau roman, etc… Par ailleurs, si tout avait été déjà écrit quand les américains sont entrés en culture, que restait-il de plus aux auteurs français que tu aimes (Modiano, Chardonne…) et que j’aime (Aymé, Houellebecq, Gary…).
    La littérature US ne comprend pas qu’Hemingway (que d’ailleurs j’ai mis bien longtemps a aimer, tant j’étais obnubilé et agacé par le coté poseur du personnage). Qu’on les aime ou pas, certains auteurs US ont changé la littérature (Twain, Steinbeck, Salinger, Ellis, Thompson, Chandler, Roth, ceux-là je les aime tous).

    A mon avis, ton aphorisme porte plutôt un jugement sur une époque que sur un pays. Sans souhaiter remonter au calendes grecques ni à la Renaissance italienne, l’art a été français (et même parisien) de Napoleon III jusqu’à la fin de la belle époque. Il est devenu américain de cette date jusqu’à quand ? les années soixante ? quatre-vingt ? Aujourd’hui, de quel endroit est-il ? il est mondialisé, apatride (ce n’est peut-être pas totalement vrai de la littérature).C’est l’époque qui veut ça.

    On n’écrit pas de la musique ou de la littérature, on ne peint pas, on ne sculpte pas, on ne fait pas de films, on ne joue pas la comédie à une date donnée comme on le faisait cinquante ans auparavant. C’est en partie grâce à cela que l’on peut constater que le temps passe, et à la rigueur, que l’on vieillit.
    La chaire est triste, hélas, et j’ai lu tous les livres.

  3. Les américains n’ont pas eu de chance : quand ils sont « entrés » en culture, tout ou presque avait déjà été dit ou fait ou écrit. Replacé au beau milieu de la peinture française ou italienne, Hopper, que j’aime bien, n’est qu’un petit Maître dont les œuvres sont quasi-anecdotiques, comme Albert Marquet chez nous, et encore … Pareil en littérature, en musique etc …. Reste aux américains le septième art, c’est vrai, mais c’est le dernier.
    PS) mes connaissances fort limitées font cependant une exception : Hemingway.

  4. Avant de démontrer pourquoi on n’est pas d’accord avec cet aphorisme sur la culture US, il faudrait démontrer l’aphorisme lui-même.

  5. @ Lorenzo, heureusement qu’on a le droit de ne pas être d’accord et de pouvoir le dire. Mais je n’ai pas bien compris ton explication à propos de la culture américaine, alors je ne sais pas si je dois être d’accord ou pas.

  6. La culture américaine, c’est une boîte de Coca vide, une sorte de pléonasme négatif,
    contrairement à ce que dit notre ami.
    PS) on a le droit de ne pas être d’accord, mais faudra le démontrer.

  7. Que ceux qui veulent décliner des dialogues sur Nighthawks ne se gênent pas. Il y a surement encore des choses à faire.De même pour le Déjeuner sur l’herbe, idem pour le Déjeuner des Canotiers, pareil pour la Ronde de Nuit, itou pour l’Enlèvement des Sabines (mais là, ça commence à faire du monde).

  8. Juste une suggestion : et si on jouait à Cadavres exquis avec Nighthawks ?
    Revisitons Hopper !

  9. On attend maintenant la revisite de La Ronde de Nuit de Rembrandt.

  10. Une piqûre de rappel ne peut pas faire du mal, surtout quand c’est pour du Hopper, une personnalité typiquement américaine, aussi américaine qu’ Hopalong Cassidi, hopefully!

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