¿ TAVUSSA ? (59) : Les listes noires

Pour les réseaux sociaux, et jusqu’à ce que l’hydre revienne à ses
anciennes obsessions, l’homme à abattre n’est plus Roman Polanski, c’est Woody Allen. Son dernier film, dont j’ai parlé il y a quelques jours (Critique aisée n°173) et qui est l’une des meilleures comédies sophistiquées new-yorkaise depuis Breakfast at Tiffany’s — je place « Blue Jasmine » très haut, mais pas dans les comédies sophistiquées new yorkaises — n’est pas distribué aux USA parce qu’un tsunami social s’est déversé sur son réalisateur et sur son producteur Amazon dès que l’on a su qu’un film de W.A. allait sortir et que, outrage suprême, il mettrait en scène deux ou trois quadra ou quinquagénaire draguant, d’ailleurs fort gentiment, une jeune femme de 20 ans. Du coup, Amazon cède et ne distribue pas le film et les trois acteurs principaux reversent leur cachet à MeToo & Company. On est au comble du ridicule et de l’hypocrisie. Amazon et ces trois acteurs ignoraient-ils vraiment les accusations portées contre Allen quand ils ont décidé de produire ou de paraitre dans le film ? A défaut de les excuser, on comprendra quand même la position des trois acteurs, très jeunes comédiens qui, au seuil d’une carrière très prometteuse, ne veulent pas compromettre définitivement leur carrière juste pour une question d’honneur. Par contre, on aurait espéré un peu mieux de ce type surpuissant qu’est Jeff Bezos.

Dans les années cinquante du gentil siècle dernier, les listes noires qui empêchèrent certains artistes américains de travailler au joyeux temps du maccarthysme eurent au moins un avantage : dues à l’activisme du sénateur du Wisconsin, elles ne durèrent que le temps de l’influence de ce paranoïaque exalté, pas plus de quelques années.

Les listes qui se créent aujourd’hui sont bien plus dangereuses : elles sont le fait de monstres aux millions de têtes, les réseaux sociaux. Sans enquête, sans procès, sans jugement, sur la base de calomnies ou de témoignages sincères, peu leur importe, ces nouveaux inquisiteurs guettent, harcèlent, condamnent, bannissent les présumés innocents comme les présumés coupables. Pour ces juges de la bienséance, pas d’avocat ni de preuve qui tiennent, pas de circonstances atténuantes, pas d’appel, pas de cassation, pas de prescription, pas de rémission ni de réduction de peine, pas de dette payée à la société, juste des exclusions, des excommunications, des exécutions.

Plus grave encore : dans leur toute puissance jamais satisfaite, non contents de faire disparaitre les artistes, ils voudraient aussi faire disparaitre leurs œuvres. Et vous verrez qu’un jour, il faudra brûler Céline pour antisémitisme, écarteler Sade pour sadisme aggravé, pendre Villon pour vol à la tire et empoisonner Platon pour esclavagisme et misogynie.

Ce que Facebook, Twitter & Company sont en train de faire, eux seuls pourront le défaire. C’est dire si on est bien parti.

Et maintenant, passons aux choses sérieuses :

De Santiago du Chili :
En raison de l’évidente mauvaise volonté manifestée violemment par le patron de l’officine et de l’état de fureur dans lequel il se trouve, c’est par arrêté municipal et sous la contrainte de la garde civile que la pharmacie Lopez sera de garde dimanche prochain.

9 réflexions sur « ¿ TAVUSSA ? (59) : Les listes noires »

  1. Maurice Carême, qui est con comme la lune. Essayez donc d’en lire un brin ….

  2. ——–« Plus grave encore : dans leur toute puissance jamais satisfaite, non contents de faire disparaitre les artistes, ils voudraient aussi faire disparaitre leurs œuvres. Et vous verrez qu’un jour, il faudra brûler Céline pour antisémitisme, écarteler Sade pour sadisme aggravé, pendre Villon pour vol à la tire et empoisonner Platon pour esclavagisme et misogynie. »——-

    On a bien fait disparaître Les fables de La Fontaine de l’éducation nationale ! Sans doute pour cynisme aggravé. Remplacé par le monde bisounours de Maurice Carême. Ca, c’est moral !

  3. Non, je n’avais pas envie de revoir le film. Ce n’est pas qu’il soit déplaisant ou mauvais, c’est tout simplement que je n’y ai rien trouvé de bien nouveau. C’est du Woody Allen! Bien sûr c’est bien fait techniquement, les images sont belles, les cadrages parfaits, la musique est belle, etc, et les acteurs sont bons. Le problème c’est le scénario, et pour cause puisque c’est WA lui-même qui les écrit. Quant aux raisons qui font que New York sous la Pluie soit interdit de distribution aux USA, sans vraiment connaître ces raisons, dont je m’en fous de toute façon, je pense qu’elles peuvent s’expliquer autrement que par la pudibonderie ou le maccartisme.

  4. Pivot et les petites suédoises : Au moins, Bernard Pivot bénéficie-t-il d’un énorme et incontestable capital sympathie. Il ne manquera donc pas de présentateurs pour l’inviter à s’expliquer à la télévision. La question lui sera posée de façon plaisante et civile, il répondra jovialement avec humour et tout sera oublié. Mais tout le monde n’est pas Pivot.

  5. Plutôt normal que tu n’aies pas changé d’avis sur le film depuis lundi, car, probablement, tu ne l’as pas revu.
    C’est une vision bien optimiste que de considérer que la vague de pudibonderie qui balaie l’Amérique est le résultat de l’action d’une frange de la population, les jeunes en l’occurrence, à la recherche d’une Amérique sans violence ni corruption ni pouvoir des forts sur les faibles.
    J’ai une vue plus cynique de la chose :
    Dans ce déferlement d’excommunications, je vois plutôt l’effet d’une combinaison de puritanisme, de frustration et d’envie provoquant un désir de vengeance envers les personnes un tant soit peu publiques. Ce sentiment, très humain, n’est propre ni à notre époque ni à l’Amérique. Mais son déferlement, lui, est bien propre à notre époque, qui voit naître et grandir le monstre Facebook, nouvelle bombe atomique dont on n’a pas fini de voir les retombées. Il est propre aussi à l’Amérique, ou du moins plus important et donc plus nuisible encore dans ce pays, à cause de sa vieille tradition puritaine et de l’importance qu’ont les réseaux sociaux dans leur pays natal.

    Le maccarthysme n’avait pas comme origine ce désir de vengeance à la Procuste que je viens d’évoquer, mais la crainte paranoïaque du communisme. Par contre, comme le maccarthysme, le mouvement dont nous parlons a bien pour effet la création de listes noires, certes non écrites — pas encore devrais-je dire — mais tout aussi gravées dans les têtes que si elles étaient publiées au Journal Officiel.

  6. J’ai dit ce que je pensais du dernier film de Woody Allen Lundi dernier et je n’ai pas changé d’avis. C’est du Woody Allen tout craché, dans sa catégorie ni le pire loin de là ni le meilleur. Cette catégorie est d’ailleurs très restreinte car elle se résume à Allenien et New-Yorkais, dans un univers beaucoup plus vaste qui est l’Amérique entière elle-même sous l’influence prépondérante d’Hollywood. Ceci-dit, il y a (ou il y a eu) d’autres écoles dans le registre de la comédie, par exemple « Second City » à Chicago, un genre type Le Spendide à Paris, une troupe d’acteurs avec Don Bellushi, Dan Akroyd, Don Murray, etc. Je ne connais pas tous les tenants et aboutissants qui font que ce dernier film de WA n’est pas distribué en Amérique. Ce n’est pas nouveau d’ailleurs. Il y a certainement des règlements de compte venant cette fois d’Hollywood. L’affaire Weinstein a laissé des traces indélébiles sur la perversité narcissique qui existe dans le milieu du cinéma et dont celui-ci tente désespérément de le faire oublier, notamment par les prises de positions d’actrices très en vue qui dénoncent les abus sexuels à l’égard des jeunes actrices qui cherchent à obtenir des rôles. J’ai noté tout de suite que WA y faisait référence dans le film: une jeune gamine, fleur bleue, naïve, subjuguée par le milieu cynique du cinéma, ivre et prête à s’offrir sexuellement à un acteur en vogue, sauvée au moment fatidique où il ne lui reste plus que sa petite culotte à retirer par l’arrivée de la compagne de l’acteur, elle-même une actrice en vogue. Les détracteurs de WA ne lui pardonnent pas ce genre de scène alors que lui-même a été longtemps sous les feux de la rampe d’une longue bataille juridique alors que sa fille adoptive l’accusait de l’avoir violée quand elle était jeune (WA a finalement été blanchi je crois). L’affaire Polanski est a peu près du même acabit. Non, je ne pense pas que ce soit du maccarthysme, ni même un excès de puritanisme par les réseaux sociaux. J’y vois plutôt une frange de l’amérique en recherche d’une « make America clean » (sans ajouter again) débarrassée de la corruption (elle est partout, politique, affaires, etc), des abus de pouvoir et le chantage qui va avec, de l’égalité des chances basés sur le mérite, etc., une vague portée notamment par les jeunes (tout le contraire du maccarthysme et du puritanisme).

  7. Et hier, c’est un tweet de Bernard Pivot qui a déclenché la polémique, et qui va peut-être le placer également sur les listes noires :
    « Dans ma génération, les garçons recherchaient les petites Suédoises qui avaient la réputation d’être moins coincées que les petites Françaises. J’imagine notre étonnement, notre trouille, si nous avions approché une Greta Thunberg… ».
    Alors qu’il voulait montrer son admiration pour la personnalité de la jeune suédoise. Les réactions que vous pourrez lire sur internet montrent le côté primaire de certains, qui décrédibilisent totalement la cause qu’ils prétendent défendre.

  8. Hé oui ! J’ai eu plusieurs fois ce genre d’échange désespérant avec des interlocuteurs du Monde de l’Écriture que tu as fréquenté un temps. Je fréquente toujours, mais je n’échange plus.

  9. Tout à fait ce que je pense aussi.
    Je m’appuierai seulement sur un phénomène assez curieux et que je m’explique assez mal – je ne suis pas psychiatre : dès que l’on entame une conversation avec un militant, un syndicaliste, ou que sais-je, une victime de lavage de cerveau, l’échange devient très vite d’un ennui mortel. Et ce qui m’épate le plus, car je ne sais pas faire ça, c’est cette bizarre agilité mentale qui leur permet de recycler et mettre en interaction des éléments de langage (toujours les mêmes en réalité mais formulés avec un luxe de diversités) qui les rend aptes à bavasser sans désemparer et surtout sans que la moindre de leurs certitudes ne vacille à aucun moment.
    C’est là qu’il faut savoir partir. « Va mourir plus loin » est le dernier mot que je leur adresse en silence, car je suis sûr qu’un jour, il vont mourir, avec ou sans leurs convictions. J’en ai même connu un, un communiste plein pot, qui pleurait le jour de la mort de Marchais et qui, revenu par on ne sait quel effet miraculeux de son collectivisme forcené, mourut en Témoin de Jéhovah. Je vais mourir aussi, bien entendu, (quoique… j’aime bien quoiquer) mais avec un sentiment profond de n’être sûr de rien, ce qui ne m’a en rien empêché de traverser la vie et de la réfléchir un peu.
    Je te raconterai un jour de morte-saison l’histoire de mon con de voisin qui, dans un registre à peine différent, administre la preuve de l’existence d’une rigidité mentale et psychique insensible à toute forme d’altération.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *