La vie est pleine de petits trucs qui agacent : la voix perçante de cette femme qui téléphone dans ce wagon de chemin de fer, ce garçon de café qui refuse de vous voir, cet homme devant vous qui a le bras trop court pour saisir son ticket de péage. La vie n’est pas faite que de cela, mais elle en est remplie. Entre amis, on en parle, on s’en plaint, on en rit. Les rappeler, les mettre en scène, les caricaturer, et ainsi les désamorcer, c’est le rôle de l’humoriste, mais aujourd’hui, pas le mien.
Car la vie est aussi remplie de petites choses bonnes, choses agréables, drôles, charmantes, émouvantes… Elle n’est pas faite que de ça, mais aussi de ça. Je me demande d’ailleurs pourquoi, entre amis, on parle moins de ces petites bonnes choses que de ces petits trucs agaçants. Peut-être parce qu’en les évoquant, on craint de paraitre stupidement sentimental, niaisement nostalgique, fichtrement fleur bleue, irrémédiablement idiot ou juste bêtement naïf. Alors, on n’en parle pas. Mais parfois, quand on est devant sa fenêtre, songeur, à regarder la rue, sans le vouloir vraiment on évoque une de ces petites bonnes choses. Moi, je vous dis que c’est à ce moment là qu’il faut tirer sur le fil, délicatement pour ne pas le déformer, doucement pour ne pas le rompre et jouir du souvenir de chacun de ces petits instants, de chacune de ces petites bonnes choses, jusqu’à ce que le téléphone sonne et vous ramène à la réalité : « C’est moi ! T’es où ? »
Dans les lignes qui suivent, sans honte, je vais évoquer devant vous celles des petites bonnes choses de la vie dont je me souviens. Il est grand temps, car ma mémoire a de plus en plus tendance à ne plus en tenir compte.
Vous avez certainement vous aussi quelques petites bonnes choses de la vie dont vous voudriez vous souvenir pour plus tard et que vous accepteriez de partager. La case commentaire ci-dessous est là pour que vous puissiez en faire part. En tout cas, voici les miennes :
Les (petites bonnes) choses de la vie
Recevoir en marchant une grosse pluie verticale et bruyante sur un large chapeau sonore
Lire quelques pages de la Recherche du Temps Perdu en évitant de tacher les draps avec son café
En plein midi, conduire de deux doigts une puissante et silencieuse voiture sur la chaussée noire et déserte d’une large courbe descendante qui sera suivie d’une large courbe montante puis d’une large courbe descendante qui sera suivie…
En pleine nuit, conduire de deux doigts une puissante et silencieuse voiture sur la chaussée noire et déserte d’une large courbe descendante qui sera suivie…
Écouter un podcast du Masque et la Plume en traversant les jardins du Luxembourg sous un soleil frais de dix heures du matin
Se poser sur une terrasse de café encore à l’ombre par un jour de chaleur
Marcher silencieux et pensif dans une allée forestière infinie et bruissante derrière la croupe ondulante d’un labrador jaune
Lire quelques pages de Sagan en fumant une Gitane sans filtre
Descendre, dos au soleil, pieds nus dans le sable encore froid vers l’océan qui monte à sa rencontre
Se retourner rue de la Montagne Sainte-Geneviève au bruit du moteur d’une deux-chevaux Citroën
Cliquer sur le petit triangle noir qui va vous ouvrir le générique de « Certains l’aiment chaud » et s’installer sur ses coussins tandis qu’il pleut dehors.
Cliquer sur le petit triangle noir qui va vous ouvrir le générique de « Drôle de drame », de « Rio Bravo », de « Fenêtre sur cour », de « La règle du jeu », de « Beaucoup de bruit pour rien », de « Frankie et Johnny », de …
Sortir brusquement de l’ombre sur une balancelle de télésiège et recevoir en pleine poitrine le soleil qui vient de bondir par-dessus la crête de Tovière
Trouver la chute de l’histoire qu’on tentait de boucler depuis deux mois
Retrouver ses lunettes
En fermant les yeux, revivre par la mémoire chaque instant, chaque bosse, chaque virage d’une descente de la Daille
Sentir monter l’odeur du bitume chaud après une pluie d’orage
Remplir son réservoir sous le soleil crépusculaire et chaud d’une station-service, et tenir pour certain que dans trois heures, au bout de la route, la maison sera encore allumée
Être séduit par la première page du roman inconnu que l’on vient d’ouvrir
Boire un verre de champagne avec deux amis
Ranger sur un bûcher, avec lenteur et précision, la montagne de bois qui vient d’être livrée
S’installer le matin pour un café-croissant à la terrasse de Di Rienzo sur la Piazza della Rotonda et découvrir qu’elle est encore déserte
Affronter la vague de marée montante en tenant par la main un enfant qu’on aime
Seul et debout devant la chaine stéréo, écouter trois minutes trente d’Oscar Peterson au piano
Rester planté devant une photo de vacances, examiner tous ses détails, se souvenir des instants qui l’ont précédée et de ceux qui l’ont suivie
Retrouver ses lunettes
…
et vous ?
Non aux SUV de Paris
Oui aux SUVON de Marseille
Trouver la rime parfaite, qui mènera le poème à des hauteurs insoupçonnées.
Caresser le chat posé sur mes genoux, hypnotisée par le ronron régulier et doux, livre à la main, thé fumant à côté…
Avoir la satisfaction d’un travail bien fait.
Mettre le point final à un texte auquel on travaillait.
Ecouter les oiseaux, tout en humant l’odeur d’humus et d’après pluie en forêt.
Faire l’amour.
Cliquer chaque matin avec une délicieuse impatience sur le lien qui vous mènera jusqu’au blog des Coutheillas
Me rendre compte que ma mémoire n’est pas encore totalement morte…