Nevada – Critique aisée n°164

Critique aisée n°164

Nevada
Laure de Clermont-Tonnerre — 2019
Matthias Schoenaerts, Bruce Dern

Depuis qu’après Sergio Leone Tarentino a entrepris de le détruire, il n’y a plus que des français pour faire du vrai cinéma américain tout en le revisitant. En 2009, Bertrand Tavernier s’était chargé du polar avec Dans la brume électrique ; l’année dernière, Jacques Audiard avait renouvelé le western avec Les frères Sisters (1) et cette année c’est Laure de Clermont-Tonnerre qui s’y colle avec son film carcéral Nevada(2).

Roman Coleman a tué sa femme dans un geste de colère. Après douze années passées dans une prison du Nevada, il lui en reste encore pas mal à purger. La captivité et sans doute aussi l’obsession de son acte ont refermé hermétiquement l’homme sur lui-même, résigné, docile, avec pourtant, de temps en temps, une explosion de puissance animale. Presque contre son gré, il est intégré dans un programme de réinsertion sociale par le dressage de mustangs (3). Pendant douze semaines, le temps accordé pour le dressage, Roman va se heurter à une autre puissance animale, celle de Marquis, le mustang qu’il a lui-même choisi, jusqu’à ce qu’une amitié se noue entre le cheval et lui. Ce lien, bien que fragile et éphémère, lui permettra de retrouver un équilibre, sans doute de quoi supporter le temps qui lui reste à accomplir en prison.

Le pitch tel que je viens de le décrire peut prêter à sourire, et j’entends déjà les commentateurs blasés gloser sur les bons sentiments et le presque happy-ending.  Que ceux-là aille revoir un Tarentino, les Huit Salopards(4)par exemple .

Nevada est traité avec naturel et aborde sans complexe et sans insistance les clichés propres à l’univers carcéral, au Grand Ouest, à l’amitié homme/cheval : la drogue et le meurtre en prison, la sagesse bourrue du vieux cow-boy buriné, l’homme qui sauve le cheval qui sauve l’homme… Cette simplicité de traitement et le refus du violent spectaculaire font qu’on a l’impression de se retrouver dans un film du début des années 60, et on se dit que c’est bien agréable de ne pas tomber dans les poncifs habituels de  noirceur et de pessimisme.

Les décors sont soignés et surprenants ; Si les premières images du film montrent quelques grands espaces — on s’attend à des montagnes rouges et des canyons et l’on a de grandes plaines ondulées à l’herbe jaunie — la plus grande partie du film se déroule soit dans une prison soit dans un centre de dressage. On s’attend alors un ranch avec baraques en planches et barrières en bois et on a un corral en ferraille et des étables métalliques.

Une seule très forte séquence est celle de la tornade qui oblige à rassembler les chevaux dans les cuisines de la prison et qui renoue les liens entre Roman et Marquis. Cette scène est totalement originale, tellement originale qu’elle a semé la confusion dans l’esprit du critique du magazine Première (5).

On dit que la plupart des acteurs sont de véritables détenus d’un véritable centre de réinsertion. On peut espérer que ce film leur fera gagner quelques années de moins en prison.
C’est Matthias Schoenaerts qui interprète Roman Coleman. On avait déjà vu ce dont il est capable dans le genre puissance contenue (et parfois libérée) dans Bullhead, un surprenant film belge de 2011. Il est ici tout aussi bon. En plus il parle bien anglais et, pour autant que je puisse en juger, il monte bien à cheval.
Bruce Dern, dans le rôle du vieux sage vétéran des rodéos, cabotine pas mal, mais c’est plutôt sympathique.

Bref, vous pouvez y aller, mais choisissez un cinéma à air conditionné, parce qu’il n’y a pas qu’au Nevada qu’il fait chaud.

Notes 

Note 1 : Critique aisée n°134

Note 2 : Télérama, qui en manque rarement une, a classé Nevada dans la catégorie « film de guerre ».

Note 3 : Comme chacun sait, les mustangs sont des chevaux sauvages qui vivent en pleine liberté dans certains territoires de l’Ouest américain. Ils font partie intégrante de la légende de la Conquête de l’Ouest et des Indiens, dont ils étaient la monture.

Note 4 : Critique aisée n°64

Note 5 : Voici un extrait de la critique de  Christophe Narbonne de Première : « L’élément déclencheur de la catharsis du héros prend par exemple la forme d’un incendie spectaculaire auquel Laure de Clermont-Tonnerre confère une dimension mythologique par la seule force de sa mise en scène au plus proche des flammes destructrices, et des chevaux et des hommes, indissociables forces de vie. »
En réalité, il s’agit d’une tornade. Prendre une tempête pour un incendie, c’est à croire que M.Narbonne, n’ayant pas vu le film, a lu trop vite le dossier de presse qui lui a été remis.

Bientôt publié
Aujourd’hui, 18 h 30 min Dernière heure : La sécurité par l’ortograffe
Demain, 7 h 47 min ¿ TAVUSSA ? (56) : Le Rat de ville et le Rat des champs
30 Juin, 7 h 47 min  UN DINER A O.K. CORRAL
1 Juil, 7 h 47 min Meilleurs voeux
2 Juil, 7 h 47 min Expressions toutes fêtes

Une réflexion sur « Nevada – Critique aisée n°164 »

  1. Un film comme je les aime : avec des chevaux. Encore un goût atavique : mon grand-père andalou était mi-« camionneur », mi- maquignon. Il achetait des chevaux mal en point et les retapait. Sur ses vieux jours, il a encore fait mon admiration en se suspendant au mors d’un cheval emballé qui traversait la foule et l’a calmé aussitôt.

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