¿ TAVUSSA ? (56) : Le Rat de ville et le Rat des champs

La Fontaine, génial moraliste et acerbe critique des hommes et de la société, nous a donné cette fable : Le Rat de ville et le Rat des champs. Elle vous a probablement laissé le souvenir d’une comparaison entre la vie campagnarde et la vie citadine peu flatteuse pour cette dernière. Avec la libre interprétation qu’il en a donnée, Walt Disney a certainement implanté encore plus durablement dans nos souvenirs — ah ! la force des images — cette impression que la vie à la ville est, sinon dangereuse ou même seulement pénible, du moins vaine et superficielle, tandis que la vie à la campagne est, sinon indispensable ou même seulement seulement souhaitable, du moins vraie et remplie de sens.

Mais est-ce bien ce que le fabuliste avait en tête de nous dire ?
Commencez donc par relire sa toute petite histoire, et pour cela, veuillez bien cliquer sur son titre :

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS

Merci. Maintenant, notez la morale vers laquelle tend ce court récit :  » Fi du plaisir que la crainte peut corrompre.  » Avouez qu’on est loin du pamphlet anti-ville dont on nous a fabriqué le souvenir.

En plus, moi, ce que je vois d’abord dans cette fable, c’est que c’est le Rat de ville qui a pris l’initiative d’inviter son cousin des champs et non l’inverse. J’y vois ensuite que, malgré le traitement royal dont il a été l’objet et simplement pour avoir été dérangé pendant son repas, le Rat des champs est parti comme un dératé sans même remercier son hôte.
Donc, contrairement à l’interprétation courante que nous ont inculquée nos professeurs et Walt Disney, La Fontaine en son temps était déjà très critique à l’égard de la vie à la campagne.
Mais nous, pauvres pommes, toujours imbibés de Rousseauisme primaire et de Girondisme affecté, toujours prêts à nous flageller avec les idées reçues, béats devant tout ce qui peut célébrer la verdure et les gallinacés, oublieux des tiques, des moustiques, de la gadoue et des aoutas, nous marchons dans la pensée unique et le politiquement correct, croyant que, si c’est fait du pied gauche, ça peut porter bonheur. Et nous répétons ad libitum l’aphorisme d’Alphonse Allais selon lequel pour être heureux, il aurait fallu construire les villes à la campagne. (C’est bien ce que l’on fait depuis quelques décennies et on voit bien que ça n’arrange rien.)

C’est vrai qu’à Paris, les cathédrales brûlent soudainement et que les gilets jaunes déferlent régulièrement comme de petits cumulus de sauterelles. C’est vrai qu’à Paris nous avons Anne Hidalgo pour nous  défoncer les chaussées, boucher nos tunnels, et amuser la galerie bobo avec ses espaces festifs. C’est vrai qu’à Paris, les motards d’outre-murs font hurler leur mécanique trafiquée pour impressionner le motard d’à côté tandis que les trottinettes chassent du trottoir le vieillard qui cherche vainement refuge sous les portes cochères. C’est vrai qu’à Paris les hordes d’outre-mer ont annexé la « plus belle avenue du monde » et congestionnent l’Ile Saint-Louis et ses environs par leurs attroupements de Panurge devant les innombrables boutiques des glaces Berthillon. C’est vrai.

Mais qui, de la passerelle des Arts, n’a pas vu un soleil d’hiver (en été, c’est beaucoup trop tôt) se lever derrière le Vert-Galant n’a rien vu. Pareil pour qui n’a pas vu, du même endroit (mais de l’autre côté du pont et de la journée), la Seine scintiller sous les arches jusqu’au pied du Grand Palais rutilant en contre-jour. Encore pareil pour la rue de Rivoli au crépuscule sous la pluie ou pour la Place Colette une heure avant le lever de rideau à la Comédie Française…Sans parler bien sûr de la Cour du Louvre illuminée pour deux passants à deux heures du matin, des cafés de la Place Sainte-Catherine, du carrefour de la Rue Tournefort et de la rue Lhomond, de la place Furstemberg ni de la rue Soufflot. Avoir tout cela à disposition, chaque jour, ça se paie. Et le prix, c’est Hildalgo, les motoconnards, les trottinettes…

Un dernier point pour la ville et contre la campagne : Si La Fontaine a pu constater que le Rat des champs d’autrefois n’était ni ni reconnaissant ni même seulement poli envers son cousin de la ville, nous pouvons constater, nous, que le Rat des champs d’aujourd’hui, qu’il soit français, britannique ou américain, a une fâcheuse et majoritaire tendance à voter extrême droite, voire populiste — mais y a-t-il encore une différence ? Tout royaliste qu’il était, l’esprit éclairé du poète aurait sans doute aimé la ville encore davantage — n’oublions pas qu’à peine entamée sa trentaine, il vint s’établir à Paris — s’il avait constaté comme nous que plus la ville est grande, plus son Rat vote démocrate. Les analyses des élections européennes en ont fourni la preuve. Mais s’il vous en fallait d’autres, de plus récents par exemple, prenez donc les élections municipales turques : la gigantesque ville d’Istanbul a voté majoritairement pour le candidat opposé au dictateur maintenant assumé, Erdogan. Et je ne parle pas des millions de petits Rats Hong-Kongais.

Note de l’imprimeur : Pour des raisons techniques, cet article sera réservée à l’édition parisienne du Journal des Coutheillas. A la place, les éditions régionales bénéficieront d’un bulletin météorologique en patois.

6 réflexions sur « ¿ TAVUSSA ? (56) : Le Rat de ville et le Rat des champs »

  1. Comme le désespoir de mon beau-frère, qui voit la larme à l’oeil sa récolte d’abricots ruinée sous ses yeux par une seule grêle. Mais ça ne fait rien, il reprend aussitôt le collier, il ne manifeste pas. Il se rattrapera peut-être sur le chasselas.
    Je le console en lui disant qu’il mériterait d’être le fournisseur de l’Elysée, ce dont il se fout car l’Elysée ne peut pas tout bouffer. D’ailleurs nous avons des petites gâteries princières que nous réservons à ceux qui viennent nous visiter. Nos terroirs sont des gisements culturels à eux seuls. Pourvu que ça dure aussi. Et sinon, on fera autrement.

  2. Paris est une belle ville, chargée d’histoire et de culture, bien sûr. Rome, New York, Chicago et d’autres aussi, Londres, Lyon, Madrid, Buesnos Aires, Vienne, etc, le sont aussi. Ces qualités font-elles de leurs citadins – rats des villes – des êtres supérieurs aux provinciaux , Non! Les Rustiques de la fable ont-ils d’autres compensations, oui, – leurs couchers du soleil sont beaux et naturels, pas embellis et rougeoyant par la pollution de l’air -, des raisons de se plaindre, oui! Leurs plaisirs, leurs modes de vie, sont effectivement corrompus par les décisions prisent dans les capitales administratives par des technocrates totalement ignorants et pas intéressés par les conséquences de leurs décisions. Ils n’ont plus que leur bulletin de vote, quand ils restent attachés à la démocratie, pour manifester leur indignation et leur désespoir.

  3. Les citadins sont plus démocrates sans doute parce qu’ils sont plus habitués au cosmopolitisme. Et plus enclins à partager un espace public. Les provinciaux le sont moins, sans doute parce qu’ils n’aiment pas qu’on leur salisse – altère -leur espace culturel. Entre les deux, mon coeur balance. Je comprends les basques, qui se voient comme un peuple différent et qui n’aiment pas qu’un type venu d’ailleurs et qui n’y connaît rien leur impose les ours. Qu’il leur suffit d’ailleurs de repousser de l’autre côté de la frontière, moins occupé par l »homme. Les bonnes raisons ne manquent pas pour que citadins et provinciaux ne partagent pas tout à fait la même culture, même si un consensus est nécessaire pour faire peuple.
    Les citadins me semblent toutefois mieux disposés à subir les frustrations. Et donc plus à même d’entrer dans le monde qui nous vient.

  4. Hidalgo est un accident de l’histoire. Élue par surprise dans la foulée d’un Delanoë qui n’était pas si mauvais que ça, sa tentation totalitaire, comme disait Revel, n’est apparue qu’après, avec l’exercice du pouvoir qui rend folle (voir Les disparus de la rue de Rennes).
    Quoiqu’il en soit, ce n’est pas le maire qui est démocrate, mais la ville, en majorité, les villes, en général, pas toutes les villes, mais les villes en général, et plus elle sont grandes plus elles votent pour les partis démocrates ou contre ceux qui ne les sont pas. L’électorat du Brexit, de Trump, d’Erdogan, du RN en sont des exemples.
    Pour ce qui est des beautés de la ville, j’aurais pu en dire autant en d’autres termes sur Rome, New-York et même Chicago…

  5. Ouais, j’ai lu ça! Très beau plaidoyer de bobo parisien, démocrate? ah oui, c’est vrai, la Mairesse élue Hidalgo est très démocrate! Et puis, le soleil quand il se couche n’est-il beau qu’à Paris? Plus sérieusement, j’ai relu la fable, j’y trouve un rat des villes couard qui « détale au moindre bruit » alors que celui des champs , le Rustique, « keeps cool ».

  6. C’est ce que j’ai toujours dit : Paris est plein de merveilles et de gens intéressants, mais vivre à Paris se paie de certaines contrariétés. Vivre à la campagne se paie d’un certain ennui (pour des jeunes gens). Où que l’on vive, il faut prendre son mal en patience, profiter de son bien, et assumer ses choix. Les citadins vont en vacances à la campagne, les provinciaux montent à Paris pour les leurs (ou pour trouver du travail). Jusque là, tout va bien. Pourvu que ça dure et que Notre Dame soit restaurée dans cinq ans ( y a pas de raison, et pas de difficulté majeure).

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