Écrire comme tout le monde

Morceau choisi

(…) Il en va de lui (Simenon) comme, en peinture, de Dubuffet, qui dit : « Il faut peindre comme tout le monde », et qui répond, quand on lui objecte qu’il peint justement comme personne ne le fait : « C’est parce que je suis le seul à peindre comme tout le monde. » Simenon est le seul à écrire comme tout le monde. Mais, avec sa phrase de tout le monde, il se bâtit un monde à lui, qui ne ressemble à celui de personne. C’est le propre du grand artiste.
(…)
Quant à sa phrase, si elle est neutre, elle n’est pas plate. Elle se méfie simplement de l’éloquence, du pittoresque personnel. « Prend l’éloquence et tord lui son cou », disait Verlaine. « Pas de pittoresque », dit Chardonne. Et Stendhal prenait son modèle dans la froideur du Code civil, qui n’a jamais visé à la littérature. « Pour dire : il pleut, dites donc : il pleut », dit La Bruyère, Simenon se méfie tellement de tout ce qui peut orner, ajouter, ou diéser, qu’il ne veut même pas se relire, de peur de déformer le premier jet, l’intuition ;  au point de laisser subsister les fautes, même dans les choses rééditées. En revanche, il ne tombe jamais dans le lieu commun. Il ne note que du vrai, de l’utile, du nécessaire. En somme, il suit la règle d’or de l’écrivain qui veut faire vrai tout en restant intéressant.

Alexandre Vialatte -Chroniques

 

2 réflexions sur « Écrire comme tout le monde »

  1. Je préfère : « Ecrivez juste ». Le mot juste, et non un synonyme approximatif.

  2. Alexandre a (toujours) raison, Simenon et les autres créateurs aussi. J’essaierai d’en prendre de la graine. Et pourtant, je fais de la prose comme tout le monde.

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