Guillaume n’aime pas l’avion – 2

Fin de la première partie publiée hier :

—Doung !

—Mesdames, Messieurs, nous rencontrons actuellement un incident sans gravité qui retarde notre atterrissage. Ce problème technique devrait être résolu dans les minutes qui viennent. En attendant, nous vous prions de rester à vos places, ceinture attachée. Nous vous tiendrons au courant

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Deuxième partie

« Tu parles, pense Guillaume. Ils nous racontent des blagues ! » L’avion continue à évoluer doucement dans le ciel. Le silence règne maintenant dans la cabine. Des minutes passent, et puis :

—Doung !

—Mesdames et Messieurs, ici votre commandant de bord. Nous rencontrons actuellement un problème technique qui nous impose d’atterrir en procédure d’urgence. Je vous demande de rester assis calmement à vos places et de conserver votre ceinture de sécurité attachée. Le personnel de cabine va vous instruire de la procédure à suivre.

« Merde ! Je le savais ! », pense Guillaume. Aux premiers mots du pilote, après quelques légers cris de surprise ici ou là, c’est un brouhaha général qui se fait entendre. Des bras se lèvent pour appeler les hôtesses. Un homme au visage cramoisi s’est dressé dans l’allée centrale. Du fond de l’avion, il marche à grands pas vers l’avant. Deux hôtesses l’arrêtent dans le couloir. Guillaume devine une discussion en anglais. L’homme retourne à regret à sa place. Il regarde droit devant lui, le regard fixe, les yeux écarquillés.  Dans la rangée de sièges qui est devant Guillaume, la femme qui est assise côté hublot s’est mise à pleurer doucement. L’homme à côté d’elle lui parle gentiment en italien. D’une voix douce et monotone, il tente de la calmer.

Catherine a écouté avec attention la dernière annonce du pilote, puis elle a jeté un coup d’œil à Guillaume.

—Ça va ?

Pour toute réponse, Guillaume tousse. Il est incapable de prononcer un mot. Elle détourne le regard et se replonge ostensiblement dans son magazine.

Nouveaux bruits de micro. C’est maintenant une hôtesse qui parle.

—Doung !

—Nous demandons aux passagers assis aux issues de secours et qui ne seraient pas de langue anglaise de se signaler aux hôtesses.

L’avion continue ses cercles au-dessus d’une forêt rayée de longues allées jaunes et rectilignes en étoile. « On dirait Fontainebleau », pense Guillaume. Plusieurs personnes se sont levées dans l’avion et commencent à s’agiter dans tous les sens, vers l’avant, l’arrière, les toilettes. Les hôtesses n’arrivent plus à les contenir ni à les faire se rasseoir. Le niveau sonore a nettement monté et, vers l’arrière, on entend même un début d’altercation. Le pilote sort à nouveau de sa cabine. Il a remis sa veste et, tout petit bonhomme brun qu’il est, il rétablit l’ordre en quelques paroles fermes et polies. De plus en plus mal à l’aise, Guillaume observe trois hôtesses qui feuillettent fébrilement des cahiers à spirale. « Ce doit être leur manuel de procédure, se dit-il. On dirait qu’elles cherchent la bonne page ! Bon sang, est-ce qu’elles n’ont jamais fait ça avant ?  Ça va mal, ça va vraiment mal ! » Le petit groupe semble se disputer un moment, puis, l’une d’elles prend le micro :

—Doung !

—Mesdames et messieurs, notre appareil atterrira sur l’aéroport de Paris-Orly dans trente minutes environ. Nous allons nous poser en procédure d’urgence. Nous vous prions d’écouter attentivement les instructions« 

Dans l’avion, tout le monde s’est tu et attend anxieusement l’énoncé des instructions dans la langue qu’il pourra comprendre.

—Les personnes qui portent des lunettes, des prothèses dentaires ou autres types de prothèses doivent les enlever. Tout le monde est prié d’enlever ses chaussures. Nous allons distribuer des oreillers que vous poserez sur vos genoux. Au moment de l’alarme sonore juste avant l’atterrissage, vous devrez passer vos bras sous vos genoux, poser votre tête sur le coussin et ne pas vous redresser avant l’arrêt de l’appareil. L’ordre d’évacuation sera éventuellement donné après cet arrêt. Si vous suivez à la lettre ces instructions, tout se passera bien. Merci pour votre attention. »

 Pour Guillaume, cette annonce vient de balayer le dernier espoir qu’il gardait d’une éventuelle fausse alerte. Il formule clairement dans sa tête l’inéluctable diagnostic : « Nous allons nous poser en catastrophe, nous allons vraiment nous poser en catastrophe « . Il ruisselle de transpiration, il est tendu comme un arc, les muscles de son dos lui font mal, ceux des fesses et des cuisses aussi, il est aux aguets du moindre bruit. Quelques petits cris, quelques protestations se font entendre, quelques sanglots aussi, mais il est surpris de voir qu’il n’y a pas vraiment de panique. Une hôtesse passe avec un chariot rempli d’oreillers. Guillaume ose enfin tourner la tête vers Catherine. Elle finit d’enlever ses lentilles de contact, lui sourit gentiment et pose sa main gauche sur la main droite de Guillaume. Un grand silence règne à présent dans la cabine. De temps en temps, par le hublot, les passagers du New York – Paris peuvent voir un avion lointain descendre lentement en droite ligne vers le sol, tandis que le leur amorce un nouveau virage.

Les passagers ont tous posé leur coussin sur leurs genoux. Dix fois, vingt fois, ils refont le geste de croiser les bras sous les genoux.  Guillaume regarde le dossier du fauteuil qui est devant lui. Il lit et relit en boucle : « Your lifebelt is under your seat. Your lifebelt is under your seat…« . Il ne veut pas regarder Catherine. Il ne veut pas lui communiquer la panique qui commence à prendre possession de lui. Il ne veut pas qu’elle s’en aperçoive. Il ne veut pas qu’elle le juge.

Le Boeing sort d’un virage et amorce une longue ligne droite. Il commence à descendre. Il s’aligne. Deux minutes encore et puis le Klaxon retentit.  Reuh-reuh-reuh… Il faut croiser les bras sous les genoux. Par le hublot, Guillaume reconnait les vilaines tours de Créteil. Le Klaxon mugit toujours. Reuh-reuh-reuh… Il pose sa tête sur son coussin en la tournant vers Catherine. « Elle est si belle », pense Guillaume, et puis il se tourne de l’autre côté, car il sent qu’un gémissement incontrôlable est en train de naitre dans sa gorge. Il tente de déglutir puis, se tournant avec effort à nouveau vers sa voisine, d’une voix rauque il lui dit :

—Catherine, quoiqu’il arrive maintenant, je voulais vous dire…, je voulais vous dire que…Catherine…

Incapable d’aller plus loin, il se tait sur un sanglot. L’avion n’est plus qu’à dix mètres du sol. Catherine regarde Guillaume en souriant doucement. Il se retourne et plonge son nez dans l’oreiller.

Reuh-reuh-reuh…

Catherine a levé la tête. Par le hublot, elle voit passer sous l’aile des camions de pompiers, des ambulances, des voitures de toutes sortes qui roulent à toute vitesse dans la même direction que l’avion qui les dépasse. Elle replonge la tête dans l’oreiller.

Reuh-reuh-reuh…

L’avion touche le sol sans heurt, comme une plume. A présent, il roule. Le pilote a inversé les réacteurs. Il roule interminablement dans un bruit d’enfer. Les réacteurs soufflent tout ce qu’ils peuvent. Secouée sur son siège, Catherine se redresse encore. Elle regarde s’envoler la mousse répandue sur la piste. L’avion ralentit, ralentit encore.

Lorsqu’il est presque à l’arrêt, il vire brutalement sur sa droite et s’immobilise sur l’herbe où les voitures des secours le rejoignent.

L’avion ne bouge plus, les réacteurs finissent d’expirer, le Klaxon se tait, les passagers restent silencieux. Catherine expire profondément.

—C’est fini, dit-elle.

Guillaume ne bouge pas.

—Guillaume, c’est fini. Tout va bien.

Guillaume ne bouge toujours pas, la tête sur le coussin. Ses épaules sont secouées de soubresauts. Il pleure. Enfin, il se redresse et regarde Catherine.

—Je suis désolé… je ne voulais pas… je suis lamentable…

—Pourquoi ? dit doucement Catherine en se penchant vers lui. Parce que vous avez peur en avion ? Et alors ? Ce n’est pas de votre faute. Vous savez, mon père est comme vous, il tremble à chaque voyage. S’il avait été avec nous dans cet avion, il aurait complètement craqué. Il aurait peut-être même fait un malaise. Et alors ? C’est quand même mon père, et je l’aime.

—Bien sûr, mais…

—Écoutez, Guillaume, il y a seulement une heure, je vous trouvais parfait. Beau mec, impeccable, drôle, intelligent… parfait ! Mais un peu trop parfait pour être honnête, pour être fréquentable ! Maintenant, j’ai vu autre chose chez vous. Et j’aime bien ça.

Elle penche un peu plus son visage vers le sien et l’embrasse, doucement.

Un peu plus tard, tandis qu’ils attendent leurs bagages, la main dans la main, elle pense que, bientôt, quand elle présentera Guillaume à ses parents, il faudra qu’elle prévienne son père :  « À propos, Papa, Guillaume arrive demain. Alors n’oublie-pas : tu as toujours eu une frousse bleue en avion. Tu te rappelleras ? ». Elle est certaine que son père comprendra.

Fin

 

Bientôt publié

21 Juin, 7 h 47 min Parasite – Critique aisée 162
22 Juin, 7 h 47 min Philharmonie de Paris
23 Juin, 7 h 47 min RETOUR A MANILLE
24 Juin, 7 h 47 min Medina

4 réflexions sur « Guillaume n’aime pas l’avion – 2 »

  1. Ah l’Amour! L’Amour toujours! L’amour est enfant de bohème, il n’a jamais connu de loi, chante Carmen.

  2. Il faut quand même que je la raconte, celle-là, elle vaut son pesant de quetsches :
    Je l’avais remarquée, mais nous avions à peine échangé une danse et moins de dix mots. Après huit jours de coma, en me réveillant, elle était là, assise à côté de mon lit, et tout ce que je trouvai à lui dire (je n’avais pas encore toute ma tête) c’est : « Kess tu fous là, toi ? »
    Elle fondit en larmes…
    Après son boulot, elle arrivait au volant de sa Deuch, pour passer la nuit à mon chevet. Inutile de préciser que je faisais peur à voir.
    Nous avons consommé alors que je ne tenais pas debout et qu’elle était vierge. Elle avait dix neuf ans et moi vingt six.
    Depuis elle est toujours là, et j’ai bien de la chance.

  3. Ca c’est vrai, ça ! J’ai connu mon épouse alors que j’étais sur un lit d’hôpital !
    Tellement que je me doutais du dénouement !

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