Les Buddenbrook – Critique aisée n°163

Critique aisée n°163

Les Buddenbrook

Thomas Mann… Je ne sais pas pourquoi, mais je n’avais jamais osé aborder cet auteur. Sans doute inconsciemment impressionné par le titre de son roman le plus célèbre, j’assimilais son œuvre à une montagne gigantesque et n’osais pas l’affronter. Beckett, James Joyce m’avaient fait le même effet mais au moins, avec eux, j’avais tenté l’escalade. Mais avec Mann, non.

Jusqu’à ce qu’un jour, une amie, jeune et charmante, qui, me connaissant, m’avait aimablement lancé sur le sujet de Proust et patiemment écouté faire mon numéro habituel sur le petit Marcel, m’avoua qu’elle n’osait pas entreprendre la lecture de la Recherche du Temps Perdu. Œuvre trop impressionnante, trop difficile, trop longue… Je me récriai et poursuivis ma démonstration selon laquelle au moins une lecture de la Recherche est indispensable à l’honnête homme. (En l’occurrence, j’aurais dû dire l’honnête femme, mais je trouve que ça ne sonne pas pareil.)

Elle me promit de tenter l’expérience — je ne sais pas encore si elle a tenu parole — et en retour, puisque j’aimais tant Marcel Proust et sa Recherche, elle me fit promettre de lire Les Buddenbrook, car elle ne doutait pas que j’aimerai Thomas Mann et son premier roman.

Je promis et je tins parole.

Donc, les Buddenbrook :
764 pages – Livre de Poche. 10,90€

Paru en 1901, alors que son auteur avait 26 ans, c’est effectivement le premier roman de Thomas Mann, qui lui valut le Prix Nobel de Littérature vingt-huit ans plus tard. Il raconte l’histoire d’une riche famille de commerçants de Lübeck, ville hanséatique du Nord de l’Allemagne, entre 1835 et 1877. Tous les analystes et tous les critiques de ce roman reconnu comme un chef d’œuvre absolu vous diront qu’il retrace l’effondrement progressif des Buddenbrook à travers les personnalités et le sort de quelques-uns de ses membres. Selon les mêmes, c’est un roman naturaliste qui se distingue par « l’extrême acuité du tableau social qu’il dresse. »

En fait de naturalisme et de tableau social, il faut dire qu’il se pose un peu là, le premier roman de Mann.

Chaque personnage, de premier plan, secondaire ou même éphémère, a droit dès qu’il entre en scène à plusieurs paragraphes successifs de descriptions très précises de son physique, de ses vêtements et de son attitude.
Chaque nouveau salon, chambre, mezzanine, couloir dans lequel on passe au cours de l’histoire fait aussi l’objet d’une description exhaustive.
Est-ce un effet de la traduction, mais la description des actions m’a paru parfois confuse, au point que je doive la relire plusieurs fois pour être certain de la comprendre ou bien que, fatigué, je doive conclure que le personnage agissait de façon illogique ou stupide.
L’évolution psychologique des personnages principaux est souvent constatée, mais rarement expliquée ni même amenée.

Quand je parle d’un morceau de littérature de plus de cent ans, j’hésite toujours à dire qu’il fourmille de situations attendues ou de clichés. J’hésite parce que je me dis que ce sont peut-être ces œuvres-là qui ont créé ces clichés qui, à l’époque, n’en étaient pas.

Est-ce encore un effet de la traduction, j’y ai trouvé un style plutôt lourd qui jamais ne s’allège et des phrases chaotiques qui favorisent le contre-sens.
Mais le pire, le plus artificiel, du moins tel que je l’ai ressenti, moi, lecteur de Mann tardif mais débutant du XXIème siècle, ce sont les dialogues. Si j’ai pu me dire que, dans la Hanse du milieu du XIXème siècle, il était possible que les adultes se soient exprimés d’une façon aussi empesée, je n’ai absolument pas pu y croire quand il s’agissait d’enfants.
Ainsi d’Antonie, petite fille de huit ans, tout en lisant un article de son catéchisme : « Tiens ! pensait-elle. Une fois lancé, on se croirait en hiver, entrain de dévaler avec mes frères dans notre petite luge la pente du mont Jérusalem. C’est à en perdre la tête ! Et puis, impossible de s’arrêter, quand bien même on le voudrait. »

N’ayant pas réussi un seul instant à m’intéresser à quelque personnage que ce soit, je ne retiendrai de positif que pratiquement ceci :

— une réflexion que j’ai trouvée très subtile à propos de la même Antonie, à l’approche de la cinquantaine :
 » Elle savait qu’elle avait eu une vie malheureuse et pleine de déboires, mais n’en ressentait ni mélancolie ni lassitude, et au fond elle n’y croyait pas. »

— l’impressionnante description de la terrible agonie de la vieille Madame Buddenbrook.

En revanche, j’oublierai très vite l’interminable réflexion de Thomas Buddenbrook sur le sens de la vie, dont voici un court extrait caractéristique :

« Tout dans cet homme n’était-il pas une erreur et une faute ? Ne se trouvait-il pas entraîné dans un tourbillon de douleur dès le jour de sa naissance ? Une prison, une prison ! Limites et chaines de toute part. À travers les fenêtres grillagées de son individualité, l’homme fixe un regard désespéré sur les enceintes concentriques des circonstances extérieures, jusqu’au jour où la mort vient le rendre à sa patrie, à la liberté. »

On fait plus fluide, non ?

 

Une réflexion sur « Les Buddenbrook – Critique aisée n°163 »

  1. Pour habiter intimement la langue espagnole je sais que les traductions ne rendent pas toujours justice au style. Il doit en aller de même avec les langues teutonnes.
    Reste la saga familiale – une de plus – qui conforte l’idée d’une génération à qui sourit la fortune, la suivante vivant dessus, et la troisième qui la dilapide, le tout bercé dans les houles d’une implacable destinée, quoique l’on puisse faire pour y résister.
    On se dit toujours qu’avec les miettes de cette famille on eut fait mieux mais c’est une erreur : il faut compter avec l’inéluctable et leur sens du dédain devenu atavique.
    En écho à ta critique, Philippe, les clichés sont des trouvailles qui ont réussi et il vaut mieux les lire sans trop pratiquer l’anachronisme, penchant pourtant inévitable tout comme l’est l’anthropocentrisme et on retiendra peut-être l’ironie – sans doute facile pour nous – que l’on décèlera dans le regard de Mann. C’est ce qui signalera son style, souvent empesé des grandes sagas, et qu’il faut supporter comme on s’habitue aux atmosphères chargées.

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