5 réflexions sur « La musique adoucit les moeurs »

  1. On saura que Woody a toujours été nul en géographie … quod erat demonstrandum… ^^

  2. LA MUSIQUE ADOUCIT LA MORT

    Vers l’âge de sept ou huit ans, mes parents ont décidé de me faire jouer de la musique. C’était normal et c’était facile. Nous habitions une ville de province. Pour me rendre au conservatoire, il me suffisait de traverser la rue. En rentrant de l’école, l’été, j’entendais par les fenêtres ouvertes s’échiner les cuivres et les percussions, en face de chez moi, sous les combles du grand bâtiment. Ma famille connaissait bien le directeur. J’ai donc été reçu par lui dans un immense bureau où trônait un piano de concert. Il s’est assis au piano et a joué seulement deux notes. Puis il m’a dit : « Peux-tu me dire quelle est la différence entre ces deux notes ?

    – La seconde est plus aigüe que la première, lui ai-je répondu sans hésitation.
    – Tu as une bonne oreille a-t-il dit en refermant le piano. Ce serait bien que tu joues du violon.

    Le Directeur était lui-même violoniste. J’ai donc appris le violon. Mes parents écoutaient beaucoup de musique classique. Ils possédaient les disques de toute une série de concertos de Vivaldi, dont certains assez faciles à jouer. Il y avait aussi dans la discothèque familiale le premier enregistrement de Yehudi Menuhin enfant. Le violoniste devait avoir douze ou treize ans et interprétait, accompagné par sa sœur Hepsilah au piano, les variations de Corelli sur le thème de la Folia. On disait à l’époque « les Folies Espagnoles ». Plus personne ne jouerait ce morceau de cette façon, mais son interprétation reste somptueuse, empreinte d’une spontanéité parfois proche de celle des violonistes tziganes. La quantité de double notes, d’accords fugués, d’ornementations compliquées rendait le morceau beaucoup trop difficile pour mon jeu débutant et pourtant je savais que Yehudi n’avait que deux ou trois années de plus que moi lorsqu’il l’avait enregistré.

    À l’adolescence, alors que tous mes copains achetaient des disques des Stones, des Beatles ou des Doors, je collectionnais les interprétations de mon mentor. Ce n’était pas forcément anachronique. Dans les années soixante-dix, le virtuose souffrant en effet de graves problèmes d’articulation dans les bras, il se soignait par une pratique assidue du Yoga. De fil en aiguille, Yehudi s’était passionné pour les Indes et il jouait avec le grand sitariste Ravi Shankar, le même qui avait initié Les Beatles aux subtilités de la musique indienne.

    Devenu adulte, je suis parti vivre quelques années, au Moyen-Orient, puis en Afrique. J’ai emporté mes disques et mon violon. Je travaillais dans les ambassades où il n’y a jamais eu grand chose à faire. Représenter la France m’a rapidement ennuyé. En revanche, la découverte des cultures locales n’a eu de cesse de me passionner. Je me suis familiarisé à l’écoute des musiques du monde populaires ou savantes. Je recevais des artistes français en tournée, souvent des violonistes. Ils me donnaient des cours, je leur faisais rencontrer des musiciens locaux.

    De passage en France, j’ai eu deux fois l’occasion d’entendre Yehudi Menuhin en récital à la Salle Pleyel à cinq ou six ans d’intervalle. La première, il interprétait les sonates de Beethoven en duo avec le pianiste allemand Wilhem Kempf. La ressemblance physique entre les deux hommes était frappante : trapus et voutés ils avaient tous les deux une soixantaine d’années et jouaient de manière extrêmement attentive l’un à l’autre. On aurait dit deux vieux enfants bien élevés, chacun ayant le plus grand respect et presque un peu le trac devant le talent et la réputation de son partenaire. La deuxième fois, Yehudi jouait des œuvres de Bach accompagné d’un claveciniste dont je ne me souviens pas du nom. Il jouait également en solo et interpréta la grande partita avec la célèbre Chaconne. J’étais au dernier balcon. Il paraissait si petit sur la scène tout là bas et le premier mouvement fut un peu laborieux. Pour tout dire, c’est comme si le grand artiste était soudain paralysé par la peur ou par la douleur de son bras gauche. Les notes s’enchaînaient mal dans ce premier mouvement pourtant d’une facilité relative. Il s’agit pratiquement d’une succession de gammes, sans aucune double ou triple note, sauf pour le dernier accord. Le public était lui aussi douloureusement paralysé. La difficulté parfois pathétique à laquelle se heurtent les plus grands alimente le sadisme qui circule dès lors qu’une foule se rassemble. Le pianiste Glenn Gould disait que cette angoisse inconsciente était même le seul intérêt du concert qu’il comparait à une « arène sanglante ». En bref, les gens ne viennent que pour voir l’artiste risquer sa peau. Cette fois là, la méchanceté de la foule avait presque fondu et l’on sentait davantage une attente compacte, un espoir qu’il s’en sorte, une réelle compassion. Les meilleurs critiques musicaux s’accordent pour dire qu’un enfant prodige est toujours confronté à son don initial. Il s’agit moins pour lui de progresser tout au long de sa carrière, comme un musicien normal, que de rester à la hauteur de ce don, de ne pas régresser en quelque sorte. Il n’a d’autre choix que de transformer sa sonorité d’enfant en sonorité d’adulte, sachant que c’est moins une question de virtuosité que de vécu. S’il y réussit, le miracle se prolonge de manière plus pure, plus éthérée. Menuhin y est parvenu, mais rien n’est jamais acquis et ce soir-là, c’est la musique qui se dérobait cruelle.

    Je l’ai revu une fois, au Théâtre des champs Elysées. Il ne jouait plus mais dirigeait son orchestre et accompagnait une jeune violoniste prodige chinoise dans le concerto de Schumann. J’aurais aimé l’avoir pour père ou comme grand frère. Cette figure virile du soliste me plait. L’orchestre est comme une matrice dans laquelle il se déplace et le coup d’archet du soliste n’est qu’une succession d’habiles va et vient. J’ai pensé une fois ou deux lui écrire pour lui demander de le rencontrer, mais pour quoi lui demander, au juste ? Je connaissais sa musique, j’avais lu sa vie, c’était là l’essentiel. Un de mes amis, l’agronome Pierre R. a pris contact avec lui. Ils sont devenus amis. Il a préfacé un de ses livres et Pierre l’a reçu pendant toute une semaine dans sa ferme en Ardèche, mais cela, je ne l’ai su que bien plus tard.

    Les années ont encore passé. C’était en 1999, une belle soirée de début d’été à Paris, peut-être même le soir même de la fête de la musique. J’habitais alors chez un ami mélomane et pianiste amateur et j’avais avec moi mon violon. Les fenêtres étaient grandes ouvertes, nous avions fini de dîner et je consultais sa collection de vinyles 33 tours classiques. Je m’arrêtais sur un enregistrement de la sonate à Kreutzer et de la sonate du Printemps de Beethoven par Menuhin et Kempf. Un disque datant exactement de l’époque du concert auquel j’avais assisté jadis. Nous écoutâmes la première sonate religieusement et quand débuta la seconde, celle du Printemps, plus facile à jouer, j’avais sorti mon violon. Je me réglais tant bien que mal sur le tempo et la sonorité de Menuhin. Jouer sur un disque donne l’impression de jouer bien. Les fenêtres étaient ouvertes, quelques voisins d’en face s’était mis aux leurs pour m’écouter et quand le morceau fut achevé, j’ai même eu droit à des applaudissements. Il était environ dix heures du soir. Pour ne pas être accusé de tapage nocturne, j’ai rangé mon violon. Le lendemain, en écoutant la radio, j’ai appris que le grand violoniste était mort la veille vers dix heures du soir. L’ai-je accompagné ou bien au contraire l’ai-je achevé par la piètre qualité de mon jeu ? Je crois savoir qu’il s’est éteint doucement et cela me rassure un peu.

  3. La Pologne ou le VietNam avec Robert Duval (who loves the smell of napalm early in the morning!) dans Apocalypse Now!

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