Une journée à la campagne (2)

La première partie de ce texte a été publiée hier, 27 Février

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La revue étant terminée, Grand-mère s’efface de la porte et dans la pénombre de la grande salle, nous apercevons les autres membres de la famille ; ils sont nombreux.

img031Les cousines affectueuses, curieuses de nos vêtements, nous prennent par la main. Les cousins, goguenards et intimidés, ne font aucun geste pour nous accueillir, raides dans leurs habits de dimanche, les sabots bien noirs, ils nous examinent longuement…

L’Oncle tourne son chapeau dans ses mains rugueuses. Une moustache humide s’approche de nos joues. Mille odeurs se superposent autour de lui : lait aigri, fromage, mêlées à celles du gilet à manches de grosse laine du pays et, surtout, relents de gros vin rouge.

Sur la longue table brune, de grands bols épais remplis de lait crémeux, accompagnés de mince tartines de pain bis, beurrées, nous attendent. Grand-mère n’admet pas que le lait pris à l’auberge nous empêche de déguster celui-ci tout recouvert de belle mousse, encore tiède. Elle tourne autour de la table, veille à notre confort, à nos désirs, tout en mettant mon père au courant des travaux de la ferme. Femme de tête avisée, elle dirige les travaux des labours, des semailles, la fenaison.

L’Oncle ajoute un mot, souvent embrouillé. Le travail, le chagrin de la mort de sa femme, noyé dans de nombreuses libations, ont diminué cet être fort. J’ai un peu peur de lui.

Nous laissons les grandes personnes à leur conversation, et entrainés par cousins et cousines, nos mais dans leurs mains brunes, nous allons à l’écurie chaude et odorante. Nous parcourons l’allée centrale sur un lit de paille fraiche. Les majestueuses vaches rouges tournent vers nous leur mufle où pendent des brindilles de foin. Leur queue se balance sur leurs flancs arrondis, pour chasser les mouches. Les cousins se glissent près d’elles, les caressent, leur donnent du sel sur leur main nue. Nous admirons muets leur courage, eux fiers, renouvellent l’exploit, appellent par leur nom ces lourdes vaches paisibles malgré les cormes.

Mais le lieu de prédilection pour les jeux est la vaste grange où s’accumule le foin, au-dessus de l’écurie. Par une raide échelle, nous montons l’un après l’autre les barreaux branlants. Sitôt arrivés au plancher, c’est l’escalade jusqu’au faite de cette herbe fine, séchée au soleil et au vent des plateaux.

L’odeur pénétrante nous excite : ce sont des bons vertigineux, des descentes en glissades, des enfouissements étouffants et piquants.

A bout de souffle, haletants, nous nous reposons. Les cousines, avec précaution, nous conduisent au plus bas du toit, d’où l’on aperçoit, en bas, les têtes encornées devant leur mangeoire bien garnie. Je serre la main de Mélanie craignant qu’un cousin renouvelle la facétie presque habituelle de me pousser et de me retrouver près d’un mufle beuglant ; cette idée me fait frissonner de peur. Mélanie, rieuse, aux dents éclatantes dans sa bouche humide, me serre la main pour me rassurer. Tous mes cousins accusent ce type brun descendant des envahisseurs du Midi, tandis que mon père et Grand-Mère ont le type blond des Celtes.

Nous retrouvons la cour de la ferme pavée de galets ronds, le soleil exalte l’odeur du fumier rangé à l’angle de l’écurie.

Un petit mur aux pierres moussues borde les prés en pente, devant la maison. Tout proche luit un « pisquier » bien attirant pour les enfants, mais cause d’inquiétude pour les parents. Nous n’avons pas le droit de jouer près de cette eau claire qui reflète le ciel, d’enfoncer nos pieds dans cette terre spongieuse et gonflée d’eau qui entoure ce minuscule étang.

Des herbes hautes et humides s’envolent des oiseaux revenant sans cesse dans leurs nids bien cachés.

Après un confortable et lourd repas, c’est une longue après-midi remplie de jeux divers. Mais le soleil descend ; la vallée est déjà dans l’ombre.

Il faut penser au retour. Maman rassemble les paniers aussi remplis qu’à l’arrivée, mais de denrées différentes : beurre encore tout humide, une belle tourte à la croute brune, rugueuse et craquante, des noisettes « rousselles » et sonores.

C’est à nouveau des rires et des bousculades affectueuses, promesses de proche retour pour de longues vacances.

La petite caravane quitte le haut plateau à l’air si léger, l’horizon bleu des montagnes proches, pour dévaler dans le petit chemin étroit et caillouteux, où Baptiste nous attend déjà près de la voiture. Bichette toujours impatiente, piaffe. Nous reprenons chacun nos places. Harassés, ivres de fatigue, de grand air, de jeux libres, nous ne tardons pas, mon frère et moi, à nous endormir, bercés par le bruit régulier des sabots de la fringante jument, sur le sol dur de la route.

Cette journée de joie se continuera dans nos rêves.

Bichette s’arrête, nous sommes arrivés. A moitié titubants, nous montons l’escalier qui conduit aux chambres ; nous n’avons pas la force de nous disputer le fauteuil, où le premier arrivant s’installe pour se déshabiller.

Souvenirs émus, rêves éveillés, désirs de nouvelles vacances dans la chère vieille maison, tout sombre dans le sommeil qui nous accable.

4 réflexions sur « Une journée à la campagne (2) »

  1. De nouveau le même plaisir de lire ce texte, découvert avec surprise quelques années en arrière.
    Surprise par la fraîcheur de l’écriture, de la part de ma Tante Tanie ( je ne connaissais pas son joli prénom) , personnage de mon enfance, distante et intimidante comme l’étaient avec les enfants les adultes de cette génération.
    Plaisir du témoignage sensible et affectueux de la petite fille de la ville, consciente, dans les moindres détails, de sa différence avec ses cousins, et heureuse de partager avec sa famille de la campagne une journée de grâce. Tout y est, dans les lignes et entre les lignes, un regard lucide et bon.
    Rare.
    Merci aux passeurs de mémoire ( moi qui ai une mémoire de poisson rouge)

  2. Que dire apres ces textes , tellement juste?
    Qu’on aimerait vivre ou revivre des dimanches identique!
    La nature nous a dotée de mémoires aussi diffèrentes que complémentaires!
    La mémoire olfactive, auditive, gustative,photographique , même si cette dernière n’est pas toujours fiable, les souvenirs d’enfant sont souvent surdimentionnés!
    Qui n’a pas dit : « j’voyais ça plus grand »
    Quelle plaisir cette lecture!
    Phillipe fait perdurer la tradition de la bonne ,voir excellente tradition!(pour une piece rapportée!!!)
    En lisant j’étais bien, et j’ai moi aussi passé un bon dimanche.
    Vivement dimanche prochain!!!
    (Mais sans Drucker)

  3. La campagne et ses fermes d’antan qu’évoque Marie Clémentine aura déclenchée chez des enfants qui auront vécu ces mêmes expériences des vocations à devenir des ingénieurs agronomes. J’en connais! Mais aujourd’hui je n’approuve pas tout ce que ces érudits ont fait à la campagne au nom de la productivité. Les intentions étaient louables mais les résultats mesurables aujourd’hui sont en grande partie déplorables. Heureusement il y a un retour en arrière et l’agriculture devient « raisonnée ». Pourvu qu’elle devienne aussi « raisonnable », et ses consommateurs aussi, et pas qu’au salon de l’agriculture une fois par an. En plus de l’agrément nostalgique procuré par la lecture du texte de Marie, j’approuve la réflexion de bon sens exprimée par Martine et Gilles. Si le modernisme dicterait aujourd’hui de sauver la campagne, l’agriculture, et même la planète, alors soyons modernes.

  4. Très joli texte, on est avec elle, on vit le texte, on est replongé dans l’ancien temps. Les gens à cette époque n’étaient-ils pas plus heureux que maintenant, les joies simples de la vie.
    Maintenant on entend que le mot consommation, nous sommes une société de consommation, capitaliste, et à quoi sert cette course effrénée à la consommation, à rien qu’à soit disant nous faire croire que l’on serra plus heureux si on a plus de pouvoir d’achat!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
    Ils ont raison les jeunes, il faut revenir en arrière, arrêter de polluer la terre, que laisserons nous à nos enfants? N’acheter que du bio, du local, arrêter de jeter au lieu de réparer, ne rien jeter, vendre sur le bon coin, faire du troc, faire des échanges, ne plus acheter ses produits d’entretien qui polluent tout et nous intoxiquent, utiliser du vinaigre, on peut tout nettoyer avec, utiliser du savon noir de Marseille, comme autrefois, on peut tout faire avec, laver le linge avec des paillettes de savon de Marseille, ça marche dans le lave linge et la liste est infinie…………………………….
    Tout le monde a son niveau peut faire quelque chose pour la planète, le tout c’est de s’y mettre!

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