La Maison Marie

Couleur café n°28

Maison Marie
222 rue Saint-Jacques 75005 Paris
Samedi 2 février

Je n’aime pas beaucoup le café brasserie qui porte ce nom de Maison Marie depuis deux ou trois ans à l’angle aigu des rues Saint-Jacques et Gay-Lussac. Pendant plus d’un siècle, sous cette même enseigne et à cet emplacement on trouvait un primeur, c’est-à-dire un commerce de fruits et de légumes. Les couleurs de ses bacs, rouge, vert, orange, brun égayaient un peu ce triste trottoir qui fait face au triste Institut Océanographique. Bon, mais voilà, le petit commerce de centre-ville se meure, notamment parce que vous n’y allez plus, et quand il ne s’appelle pas Monop’ ou Carrefour-Market, il a du mal à résister aux offres inespérées des nouveaux bougnats de Paris.

Je n’aime pas beaucoup ce café, mais c’est pratique quand je ne veux pas pousser jusqu’à La Crêperie de la rue Soufflot ou jusqu’à Chez Delmas de la Contrescarpe. (A propos, Delmas est fermé pour travaux depuis un bout de temps ; pourvu que… ) Je pourrais aller au Mauzac, c’est tout près, seulement voilà : je n’y vais plus depuis des mois ; je n’en ai plus envie et, même si j’en avais envie, je n’oserais plus. Je me suis demandé longtemps pourquoi et, ce matin, j’ai compris : à la gentille patronne Elica, je ne veux pas avoir à expliquer les raisons d’une si longue absence. D’ailleurs, ces raisons, je ne les connais pas ou je les ai oubliées.

Donc, ce matin, c’est chez Marie.

Je l’ai dit, je n’aime pas beaucoup ce café-restaurant, je n’aime pas vraiment y prendre un café et je n’aime pas du tout y déjeuner. Froid et sonore, incertain dans le style mais volontairement démodé, son décor me glace. Les murs sont couverts de photographies en noir et blanc d’artistes élégants ou débraillés, en couple ou en bande, souriants ou rigolards, levant des coupes ou plantant joyeusement leur fourchette dans un plat de spaghettis, mais on ne m’ôtera pas de l’idée qu’aucun de ces personnages n’est jamais venu ici prendre le moindre verre ni même acheter la moindre scarole.

Bon, je n’aime pas ce bistrot mais aujourd’hui, c’est chez Marie que ça se passe. J’attends mon café-tartines, et je prends un temps.

Il y a un couple.

Ils sont venus là parce que c’est samedi. Ils ont acheté tous les journaux qui ont une édition magazine pour le weekend, l’Équipe, Le Figaro, Le Monde, Libé, L’Obs… Installés de part et d’autre d’une table en bordure de la vitrine, pas vraiment face à face mais calés de biais dans leur fauteuil, jambes croisées, tête penchée, l’un examine rêveur la page golf de L’Équipe, tandis que l’autre traverse, nonchalante, les pages modes du Figaro Magazine pour s’arrêter finalement sur les pages voyages : « Cinq îles paradisiaques à découvrir avant qu’elles ne disparaissent« .
Ils ne se parlent pas : elle n’éprouve aucun intérêt pour le golf, il déteste les voyages.
Ils ont commandé la formule Petit-Déjeuner-Tradition à 8,50 € : grand café crème, thé ou chocolat ; orange, citron ou pamplemousse pressé ; pain, beurre, confiture ou viennoiserie. Huit euros cinquante, cinquante-cinq balles quand même, le prix d’un déjeuner très correct en 2001, dernière année de l’odyssée du Franc.  De temps en temps, sans quitter son magazine des yeux, l’un d’eux avance la main pour saisir à tâtons sa tasse et siroter une gorgée de thé Mariage frères ou de café équitable. A la place de l’orange pressée, elle a commandé avec supplément — 7 Euros —  un jus « Detox Malibu beach » (épinards, pomme, concombre) dont la couleur vert grenouille me donne des frissons. Elle n’a pas touché à son croissant. Tout indique chez eux qu’ils ne sont pas loin de la quarantaine en âge et de la douzaine en vie commune. Grands tous les deux, d’une élégance décontractée parfaitement adaptée à un samedi matin tranquille de la Rive Gauche, détachés des contingences matérielles, ouvertement sereins, on les verrait bien à la terrasse des Deux Magots — mais ils n’y vont plus depuis six ans, en fait depuis que les magots ont envahi la moitié de la place avec leurs enclos à touristes chics — ou Chez Sénéquier sous un soleil d’hiver — car en été, Saint Tropez n’est plus fréquentable.

Un de ces jours, je vous raconterai leur histoire. Mais pas aujourd’hui, pas devant eux !

5 réflexions sur « La Maison Marie »

  1. Le bistro Marie m a déçu deux fois de suite . Viande avariée.
    Je vais finir par croire que Philippe a toujours raison .

  2. Ah oui, je me souviens :  » je n’en ai plus envie et, même si j’en avais envie, je n’oserais plus. Je me suis demandé longtemps pourquoi et, ce matin, j’ai compris : à la gentille patronne Elica, je ne veux pas avoir à expliquer les raisons d’une si longue absence. D’ailleurs, ces raisons, je ne les connais pas ou je les ai oubliées. »

    On a tous plus ou moins vécu la même vie. De même pour moi, à « l’Aube Nouvelle », une petite pension perdue dans les garouilles. Je n’y étais plus revenu depuis une quarantaine d’années alors que j’y étais accueilli comme un fils. Mais le fils avait un peu bourlingué : il avait sa vie à faire. Et voilà que j’y reviens, à contre-coeur pour n’avoir pas à trouver de mauvaises excuses, à la demande d’une ancienne petite fiancée, qu’ils ont immédiatement reconnue tellement ils la trouvaient belle. En tout bien tout honneur car j’ai voulu la laisser seule se souvenir des bons moments et suis rentré chez moi. Elle avait, à Paris, épousé un colonel qui la battait. Elle trouvait, après quarante ans, que j’étais triste. Oui, pour elle. On pourrait l’être à moins. On s’était quittés parce que je voulais des enfants. Pas elle. Alors, adieu. Mais c’était bien quand même.

  3. Pour ce qui est de la descente, serait-ce Pâris ? Attention, il a causé la perte de sa ville.
    Pour ce qui est de l’histoire de ce couple, elle avance depuis 3 mois, mais pas vite. Publication peut-être à la fin de l’année.

  4. 8.50 euros = 55 balles. J’en suis moi aussi aux francs, mais je convertis sans cesse. Je déteste me faire plumer. Mon étalon, c’est toujours le franc, ainsi je me rends compte de l’inflation. Je crois que l’euro correspond aujourd’hui exactement au franc de 1974. Ca ne veut rien dire, mais quand même… Avec 8,50 Euros, mon épouse fait à bouffer pour la journée. Enfin je crois. Je ne lui ai pas demandé.
    Et par-dessus le marché, la dame se permet d’espinocher devant un croissant ! Peut-être qu’elle va l’emporter pour son petit quatre heures. Ca se nourrit de rien, ces gens-là ! Devraient trimer un peu plus, ils verraient combien la vie est belle avec un croissant ! Surtout si on est éthiopien. Mais bon, c’est le système qui veut ça, ça fait rentrer de la thune dans les caisses de l’Etat. La thune, c’est fait pour tourner.
    Oh oui, raconte vite : je suis curieux de la vie des gens. Souvent, les gens se la pètent sans raison. Comme s’ils étaient issus d’une jupitérienne cuisse. Eh ben moi, je descends d’un défenseur de Troie, aimé d’Aphrodite. Et ça, c’est pas de la cuisse, et de la belle ?

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