La Mule – Critique aisée n° 149

Critique aisée n° 149

La Mule
Clint Eastwood -2018
 Clint Eastwood, Michael Peña, Bradley Cooper 

Si vous avez eu l’occasion de lire quelques critiques du dernier film de Clint Eastwood, vous savez déjà que c’est un film testament. C’est une belle expression un film testament. C’est le genre de truc qu’un critique adore placer en sous-titre de son article. Et pour une fois, je ne vais pas me moquer de ce cliché, parce que je suis d’accord : La Mule, c’est un film testament.

Clint Eastwood est né en 1930 ; il a fait l’acteur dans plus de quatre-vingt films ; il en a réalisé trente-huit, dont beaucoup de succès commerciaux, quelques navets (Firefox, …), beaucoup de bons films (Impitoyable, Sully, …), quelques très bons (Mystic River, Mémoire de nos pères, J.Edgar, …) et un chef d’œuvre (Minuit dans le jardin du bien et du mal).

Beaucoup critiqué pour ses opinions conservatrices, son franc-parler et son franc-filmer, il n’a jamais tenu aucun compte de ces critiques. Il a continué à faire son chemin, son boulot, son œuvre comme si de rien n’était. Il y a des types comme ça, Woody Allen, Claude Lelouch, Stanley Kubrick, Claude Sautet, Robert Altman… Mais voilà, pour Eastwood, ce sera bientôt fini. Quatre-vingt-neuf ans aux cerises, il ne nous en fera plus beaucoup des comme ça. Alors, allez voir La Mule et vous pourrez dire plus tard à vos petits-enfants que vous l’aviez vu à sa sortie. Attention, ce n’est pas un chef-d’œuvre pour autant, mais c’est probablement, avec Chasseur blanc, cœur noir, son film le plus personnel.

Pour ce qui est du genre, La Mule, c’est un road-movie qui prend son temps, qui dédaigne les habituels grands paysages américains, qui se concentre sur les motels ordinaires et les garages louches. C’est un thriller sans violence. C’est un film-poursuite sans suspense. C’est un mélo familial et sentimental qui fait sourire. C’est une peinture critique de la société, amusée et sans aigreur. Cette litanie de « C’est ceci, sans être cela » est là pour vous faire comprendre que Eastwood ne tombe dans aucun des clichés que ne savent pas éviter tellement de films de violence, de drames familiaux, de road-movies, de critiques sociétales.

Pour ce qui est du style, le réalisateur utilise bien sûr la technique qu’il a acquise tout au long de sa longue carrière, mais il l’a épurée, il l’a débarrassée des tics, des modes et des effets qui ont parsemé son œuvre. Il n’y a plus que le minimum, l’essentiel, l’indispensable pour raconter simplement une histoire peu banale.

L’histoire, c’est celle d’un vieil homme mis au ban de sa famille pour l’avoir négligée au profit de son métier d’horticulteur, de ses concours, de ses fleurs, de ses amis. Menacé de saisie, il trouve un moyen de gagner beaucoup d’argent en faisant la « mule« , c’est-à-dire le transport de drogue pour le compte de trafiquants. On suivra tous ses parcours de mule, ses démêlées avec les hommes de main du cartel qui le surveillent, la police de la route qui le contrôle par hasard, ses vieux amis qui le sollicitent, sa famille qui l’accuse, la DEA (Drug Enforcement Administration) qui le cherche. Tout cela sera filmé au rythme lent d’un vieil homme ridé, vouté, obstiné, indépendant, indiscipliné, amusé. Il n’y aura pas d’effets spéciaux, pratiquement pas de violence ni de coups de feu, pas de poursuite automobile effrénée, pas même un accident de voiture. Par contre, il y aura beaucoup d’humour, de malice, de nostalgie, de tendresse et de bienveillance.

Vous l’avez sans doute deviné, le film est une allégorie de la vie d’Eastwood lui-même. L’homme qui regrette d’avoir négligé sa famille pour sa carrière, c’est lui. La mule qui ne tient aucun compte des instructions des trafiquants et fait ce qu’il a envie de faire au moment qui lui plait, c’est lui. L’homme qui se moque des travers la société actuelle (les smartphones, le politiquement correct), c’est lui. C’est en cela que La Mule est un film testament.

Vous aviez surement aimé Gran Torino . Eh bien, pour moi, La Mule lui est supérieur pour la raison que son héros n’est pas le vieil homme aigri et solitaire qui en prenait plein la gueule jusqu’à ce que, vraiment fâché, il se révélât être un justicier vengeur plus fort et plus malin que tous les méchants. Dix ans plus tard, le Clint Eastwood d’aujourd’hui m’a paru plus subtil. Plus réaliste aussi. Forcément, c’est une histoire vraie.

P.S. Pendant que j’écrivais cette critique et que j’évoquais cette façon amusée qu’a Eastwood d’observer notre société avec ironie et détachement, son talent pour décrire ses ridicules en deux répliques et trois images, sa liberté de ton, son absence de considération de ce qui peut ou ne peut pas être dit, son refus absolu du politiquement correct, tout cela me faisait penser à quelqu’un. Mais à qui ? Et puis, à la fin, j’ai trouvé : à Michel Houellebecq. Je vous en reparlerai bientôt.

  • POUR DEMAIN ET JOURS SUIVANTS, CE SERA ÇA :
  • Demain         Miami (2) : Lifeguard tower
  • 17 Fév,          Une intime conviction – Critique aisée n°150
  • 18 Fév,          Dieu existe-t-il ?
  • 19 Fév,          Tableau 242

4 réflexions sur « La Mule – Critique aisée n° 149 »

  1. Invité à méditer sur tout autre chose que Clint, véritable tête de ‘Mule’ (je sais, c’est trop facile et même bébête!) par Jean Antolinos, j’accepte l’invitation et y répondrai demain, le temps que mon esprit descende en enfer et remonte l’escalier!

    Néanmoins, l’internet favorisant le réflexe du dégaineur de ‘peacemaker’ ou d’ ‘equalizer’ (clin d’œil aux films de Sergio Leone, bande sonore d’Ennio Morricone, dans lesquels Clint Eastwood impressionnait les sous doués par sa dégaine) au détriment de la méditation socratique qui, partant de la maïeutique fondée sur la préséance du paradis à la vie (Ça aussi ça mérite grande méditation!), finit quand même par la cigüe, je répondrai du tac au tac qu’il est vrai qu’une pendule arrêtée et dont n’a pas arraché les aiguilles, dit deux fois par jour l’heure exacte (selon la façon que nos ancêtres ont retenu de raconter l’histoire du temps et qui varie de faisceaux en faisceaux fascistes où les trains arrivent à l’heure!). Et effectivement ces 2 exactitudes mises bout à bout ne font pas la vérité ni des trains ni du fascisme!

    J’ajouterai, toujours pour amortir le timbrage (l’obsession économe définit le petit capitaliste), que je crois fermement que la Vérité existe. Elle nous fait naître à un moment précis (définit par le non alignement des planètes!) dans un lieu et milieu précis… elle nous fera mourir dans un endroit et à un moment tout aussi précis, arrêtant définitivement notre pendule sur deux images: la vie donnant naissance à la mort! Nos parents n’auraient-ils pas mieux fait de nous laisser au paradis de Socrates surtout si cette condamnation à mort qu’est l’existence est, entre les deux, bourrée de souffrances!

    Pour la durée de la vie, elle existe, la Vérité, aussi sûrement que pour la naissance et la mort, mais le Dieu de la Genèse, même rajeuni par le protestantisme, ou transformé en nature darwinienne ou toute autre ‘narrative’ inventé par l’homme qui est super doué pour s’autoproclamer ventriloque de ses inventions… Pour la durée de la vie, disais-je, cette vérité dont l’existence est incontestable, ne peut être atteinte (‘reach’) et capturée (‘grasp’) par l’être humain, toute sa vie condamné à se raconter des histoires qu’il s’efforce en vain de partager avec ses semblables qui préfèrent se raconter les leur.

    Pour survivre de façon organisée sinon harmonieuse en société, il faut que certaines ‘narratives’ prévalent sur les autres. Il faut que les conservateurs (qui veillent au maintien du STATU QUO qui les favorise) les répètent AD NAUSEAM, nouveaux testaments après anciens testaments en partant de Moïse, jusqu’à Clint Eastwood en passant par Jésus et Mahomet!

    ITE MISSA EST! mais je ressusciterai demain! après méditation parmi les anges… « les anges du Paradis » que Chantale chantait en précisant que nous n’en sommes pas!

  2. Clint Eastwood
    Quel talent Philippe pour vos critiques cinématographiques en général mais j’adore, plus particulièrement, celle-ci
    Merci

  3. Mon épouse est fan de Clinty. Je l’aime bien aussi.
    Cette critique aisée me fait penser de façon inexplicable (c’est ceci, sans être cela) au paradoxe du menteur : « je mens ». Si c’est vrai, c’est faux et si c’est faux, c’est vrai, que je prolonge pour ma part de la façon suivante : « La vérité n’existe pas. Il n’existe que des exactitudes qui, mises bout à bout, ne font pas une vérité ». Et que je recommande à René-Jean de méditer.
    Bonne critique aisée en ce qu’elle encourage à prolonger la réflexion.
    C’est bien.

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