L’histoire de Noël – 3/5

(…) Pendant qu’on y transportait les tombes de l’ancien cimetière, on avait construit une église plus grande et plus belle. Et depuis cette époque, entourée des tombeaux des habitants, protégée par son mur d’enceinte, la nouvelle église dominait la petite ville comme un château seigneurial.

Chapitre 3

Quand la grand-route qui vient de St-Géraud approche de St-Martin, elle commence par longer le mur du cimetière, puis elle descend du plateau pour contourner la butte de l’église. Elle passe entre la rivière et la petite falaise pour entrer dans le bourg, le traverser et rejoindre enfin le pont qui lui permet de filer vers La Claux et au-delà.

Noël avait à peine entrepris la descente vers le bourg qu’il comprit que cette route aussi était coupée. La Petite Sandre en crue avait envahi tout l’espace entre son lit habituel et le pied de la butte de l’église. L’épuisement et le désespoir le saisirent d’un coup. Il faisait nuit et seul le bon vouloir d’une lune incertaine lui permettait d’avancer sans chuter tous les dix pas. L’angoisse d’avoir peut-être à attendre le jour sans toit ni murs pour le protéger des créatures de la nuit l’avait étreint depuis la traversée du bois de l’Hautil. Maintenant que rejoindre la Prétentaine était devenu chose impossible, elle se transforma en panique. Il se mit à gémir, à se frapper le front, à tourner sur lui-même. Il pleurait, criait vers le ciel, insultait la nuit, implorait la lune, maudissait sa jambe. Étourdi par ses pirouettes, essoufflé par ses cris, il finit par se laisser tomber au sol, où il resta prostré, assis sur ses talons, le front posé sur ses genoux. Les nuages revinrent en nombre et l’obscurité et la pluie avec eux.

Tout à coup, Noël se rappela l’église. Il redressa la tête, cherchant autour de lui. Il ne pouvait pas en apercevoir le mur, mais il savait qu’elle était tout près. Il pourrait certainement y trouver un abri pour la nuit. Le meilleur endroit serait la sacristie. Il y trouverait des cierges et de quoi les allumer. Au sec, avec de la lumière et le bon Dieu, la Sainte Vierge et Saint Martin pour le protéger des démons, il pourrait attendre en sécurité que le jour revienne. Il se releva, choisit une direction au hasard et commença à avancer, les mains tendues devant lui. Ses pirouettes lui avaient fait perdre le sens de l’orientation, mais il eut de la chance car ses paumes rencontrèrent tout de suite les pierres rugueuses du mur. Il lui suffisait maintenant de le longer à tâtons pour parvenir inévitablement à la grille qui ouvrait sur l’allée de graviers menant à la porte de l’église. Lorsque ses mains rencontrèrent le froid humide du métal, il commença à palper la grille pour en trouver la serrure, mais il comprit qu’elle était ouverte, ses deux vantaux tournés vers l’intérieur. Il pénétra dans le cimetière. Tâtant prudemment le sol de son bon pied, il trouva les graviers de l’allée qui le mènerait jusqu’à la porte de l’église. Plus qu’une douzaine de pas à parcourir dans le noir et il serait enfin à l’abri et en sécurité. Il atteignit enfin la grande porte et commença à la parcourir du plat de la main à la recherche de sa poignée. Le bois de la porte ruisselait d’eau de pluie, les gros clous de renfort qui le traversaient griffaient ses mains fébriles, mais il finit par en trouver le bec de cane. Bloqué ! La porte était fermée, fermée à clé, verrouillée, cadenassée ! Fou de désespoir, accroché d’une main au loquet, de l’autre, Noël se mit à frapper les battants en criant des suppliques et des injures mêlées de prières au Bon Dieu et à tous les Saints du Paradis. Il ne s’arrêtait que pour coller son oreille au bois ruisselant, espérant sans y croire entendre un curé, un sacristain, un fidèle, un être humain répondre à ses coups : « Voilà, voilà ! Qui est là ? Ah, c’est toi, Noël de la Prétentaine. Attends, je vais t’ouvrir ! » Mais rien. Il n’entendait rien, que le bruit du vent qui soufflait dans les ifs, de la pluie qui tombait sur le toit d’ardoise et du sang qui battait dans ses oreilles. Il se laissa glisser au sol, le dos contre la porte, le visage tourné vers le ciel, inondé de larmes et de pluie. Il était là, tremblant, résigné, certain de mourir, emporté aux enfers par une créature immonde qui sortirait bientôt de l’un des tombeaux qui l’entouraient.

Les minutes passèrent et la pluie cessa. Une fois de plus, le vent avait dégagé le ciel. La lumière blafarde redonna un peu de conscience à Noël. Il se mit à réfléchir. L’église était fermée. Personne n’y habitait car le curé de Saint-Martin avait gardé l’usage de l’ancien presbytère au centre du bourg. Rester là, dehors, dans le cimetière était impensable, bien plus dangereux la nuit que n’importe quelle forêt profonde ou que n’importe quel plateau venteux et désolé, chacun sait cela. Il fallait profiter de cette clarté nouvelle pour descendre en ville et demander l’hospitalité à la première maison venue… mais c’était impossible : la route était inondée…  mais il ne fallait pas rester là, c’était trop dangereux… mais la route de Saint-Martin était coupée… mais… Ses pensées qui tournaient en rond allaient de nouveau le conduire au désespoir quand il se souvint du raccourci qui permettait d’accéder directement du centre de St-Martin jusqu’à sa nouvelle église. Il l’avait pris une fois quand il était enfant pour venir assister au mariage de la fille du docteur Bonenfant. C’était un chemin si escarpé que par endroits on avait dû y creuser des marches. En bas, il prenait naissance derrière la Mairie et, tout en haut, il aboutissait à une petite porte ménagée dans le mur d’enceinte du cimetière. « C’est par là qu’il faut descendre, se disait Noël. Il faut que je trouve la petite porte. Sainte-Vierge et Saint Martin, faites que je trouve la petite porte. » Le vent redoubla et un grand froid descendit sur lui. Sa mauvaise jambe était toute ankylosée et sa cheville le faisait souffrir. Noël se releva avec peine en s’appuyant sur le bois de la porte encore luisante de pluie. Tout en laissant sa main droite frôler les pierres, il commença à longer l’église. Il écarquillait les yeux, espérant repérer la porte qui lui permettrait de rejoindre le chemin vers le centre du bourg, mais l’enchevêtrement des monuments funéraires et des croix l’empêchait d’apercevoir la moindre partie du mur. Il en était trop loin. Pour s’en rapprocher, il lui faudrait quitter la protection que lui offrait la proximité de la maison de Dieu. Il faisait de plus en plus froid. Brusquement décidé, il repoussa de la main le mur de l’église et se dirigea vers une allée entre les tombes. Il lui suffirait de la parcourir jusqu’au bout. Là, il ne pourrait pas manquer de rencontrer le mur d’enceinte qu’il lui serait facile de suivre jusqu’à atteindre la petite porte. Il entra dans l’allée. C’est quand il eut parcouru une dizaine de pas entre les premières stèles qu’il crut voir quelque chose bouger sur sa gauche.

Chapitre 4 
Ce n’est qu’une impression fugitive saisie du coin de l’œil, aussitôt mise en doute, déjà presque oubliée, à peine la sensation vague du mouvement imprécis d’une ombre molle dans le monde minéral des sépultures, mais elle lui a fait … (A SUIVRE)

LA SUITE, APRÈS-DEMAIN

2 réflexions sur « L’histoire de Noël – 3/5 »

  1. Ah! Je n’ai pas eu à attendre cette heure supplémentaire ce matin comme je le craignais puisque le JDC est resté à l’heure d’été. Moi aussi. Tout va bien!

  2. « Vazy Noël, te dégonfle pas, tu vas y arriver », dit l’ombre : c’était Jean Antolinos, déguisé en Père Noël.

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