Le canard : 1-La maison d’Eygalières

Cette aventure, presque véridique et déjà publiée il y a quelques années, m’a été racontée par Thomas à qui je la dédie à nouveau.

1- La maison d’Eygallières
C’est presque l’automne. Dans quelques jours, ce sera la rentrée des classes. Après deux mois de plage, de palangrotte et de piscine, de cocas, de copains et de vélo, après quantités de marchés sous les platanes, de longues et tièdes soirées volées à l’attention des parents, de parties de Monopoly et de gin rummy, de films pour grandes personnes, de chocolats glacés aux terrasses du port, après des semaines de soleil, de chaleur et d’odeurs, ce sera bientôt Paris et la fin des vacances.
Mais avant, il ira passer quelques jours chez sa tante. Quand il dit qu’il n’a pas envie, qu’il aimerait mieux rester là, on lui répond que ce n’est pas possible, qu’il faut bien rendre la maison, que ce ne sera pas long et puis que c’est comme ça. On lui dit aussi qu’Eygalières, ce n’est pas bien loin — moins de deux heures de voiture — que la maison est très belle, avec un grand terrain, qu’il y sera libre pour faire du vélo, que le calme de la campagne, ça lui fera du bien après toutes ces semaines d’excitation du bord de mer, enfin des tas de trucs de ce genre. Il n’empêche qu’il éprouve une sourde angoisse à l’idée de passer quelques jours seul avec sa tante et son nouveau mari. Ce n’est pas qu’il ne l’aime pas, sa tante, mais il ne s’est jamais senti à l’aise avec cette femme encore jeune, élégante, sophistiquée et spirituelle, mais aussi toujours tendue, souvent sarcastique, jamais en repos.

La maison d’Eygalières ou, plus exactement, la propriété d’Eygalières est très belle, tout à fait digne d’un reportage du Figaro Magazine. C’est un mas. Il est parfait. La bâtisse, longue, basse et irrégulière est couverte de vignes vierges, de glycines, de volets bleu charrette et de grosses pierres apparentes. Les nombreux décrochements des façades ménagent des petites niches, des coins sombres, des points d’eau. En certains endroits, le toit de vieilles tuiles canal descend presque jusqu’au sol. Le jardin qui s’étend devant la maison dégage la même impression de perfection : trois oliviers bien plus que centenaires, une allée sinueuse sous les mimosas géants, une pelouse de taille modeste. Trois grands pins parasol font de l’ombre sur le toit. Il n’y a pas de piscine, c’est de mauvais goût, vulgaire même. A une vingtaine de mètres devant la maison, il y a un étang, bien net, bien propre avec, flottant au large, un petit abri pour les canards et au fond, un bouquet de roseaux laissés à l’abandon. Au delà, il y a un grand champ d’oliviers et la crête gris clair des Alpilles.

Pour entrer dans la maison, on passe d’abord sous une voûte sombre et fraîche avant d’arriver devant une solide porte en chêne au milieu de laquelle pend un marteau en forme de tête de diablotin. Au-delà de la porte ouverte, la voûte se prolonge un peu, tout aussi sombre, pour déboucher bientôt sur une entrée éclatante de blancheur. Une commode rustique provençale, un miroir soleil encadré de bois peint, une applique en tôles colorées figurant un bouquet de fleurs, un bouquet de roseaux dans une jarre posée sur le sol. A droite, la cuisine ; une longue table étroite au centre de la pièce, des bottes d’oignons et de fleurs séchées qui pendent des poutres du plafond, des placards aux portes peintes à la main, des fenêtres à petits carreaux à moitié occultés par les progrès de la vigne vierge. Aucune machine moderne n’est en vue. En face, en contrebas de deux marches, le salon ; couleurs chaudes, natures mortes, canapés en tissu, châles jetés en travers ici et là, lourde table basse ; Nouvel Observateur, Télérama, biographies d’artistes régionaux : Van Gogh, Cézanne, Zola, Mistral. Daudet n’est pas là. Un voisin pourtant. Sans doute pas membre du club.

Quand, il est arrivé tout à l’heure, il n’a pas vu les chaudes couleurs des murs, ni le subtil contraste que font les joyeux bouquets de fleurs avec les meubles sombres, ni les corbeilles d’osier débordant de fruits frais, ni les plats de céramique peinte remplies de figues, de noix et d’amandes. Il n’a pas vu tout ça. Il a onze ans et ça ne l’intéresse pas. D’ailleurs il le connaît déjà, ce genre de décor. Mais ce qui l’a frappé, c’est l’absence de bruit dans cette maison sans animal ni enfant. C’est l’ordre et la discipline impeccables qui règnent entre les objets. C’est l’odeur de cire, la pénombre, le silence, le calme. L’Ennui.

ET DEMAIN, LA SUITE : L’ESCADRE

2 réflexions sur « Le canard : 1-La maison d’Eygalières »

  1. J’ai transmis ce texte dans son intégralité à Brigitte Bardot et à la SPA. On reparlera de cette affaire dans les bons canards (ceux qui ne sont pas boiteux) comme il se doit.
    Sinon, la conclusion m’a mis en appétit; à l’étouffée, mais aussi laqué, à l’orange, aux olives et même aux navets, confit, trempé dans un café-calva, tout est bon dans le canard. Toutefois, la canarde ne me tente pas.
    Cordialement coin coin,
    Donald Duck

  2. J’ai oublié, en tête de liste des suspects habituels arrêtés par le commissaire Magret, alias Jean Gabin, il y avait, bien sûr, le laqué du canard, un asiatique judoka, déjà condamné à être le serviteur à vie du commissaire Clouzot!

    La Pantire Rose

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *