Mon roman – 4

Mon roman
Je vais écrire un roman. Pour l’instant, je n’ai pas le sujet. Mais tout le reste est prêt. Voyez plutôt :

 1 – Titre et épaisseur de mon roman (déjà paru)

 2- Personnages de mon roman (déjà paru)

3 – Construction de mon roman (déjà paru)

4 – Dédicace, Exergue et Incipit de mon roman

La dédicace
Il y a une question primordiale qui se pose à tout romancier : à qui dédiera-t-il son roman ? En effet, il est d’usage de placer, toute seule, aux deux tiers de la troisième page et de préférence justifiée à droite, une dédicace. Une dédicace mystérieuse et laconique telle que « À Francesca » est recommandée. Elle fait chic et elle suscite l’intérêt du lecteur qui ne peut que se demander « mais qui est donc cette Francesca ? ». Elle éveille un intérêt encore plus vif chez l’épouse de l’auteur, pour peu que son prénom soit Simone.

On peut avantageusement préciser un peu sa dédicace en disant par exemple, pour rattraper le coup : « À mon épouse, sans qui rien n’aurait été possible ».

En ce qui me concerne, je choisirais plutôt quelque chose comme : « À mon éditeur, sans qui cet ouvrage n’aurait jamais vu le jour ». Ou mieux : « À mes lecteurs, sans qui je ne pourrais pas vivre » Un peu de flagornerie et de sens pratique, ça ne mange pas de pain.

L’exergue
L’exergue est une question dont il ne faut pas négliger pas l’importance. En effet, selon le KCLMC (Kansas City Literature Marketing Center), si l’exergue ne fait pas vendre plus que ça, c’est lui qui va définir l’ambition du roman.

Un extrait d’une pièce de Shakespeare ou de la Bible est en général bienvenu. Si mon roman devait être noir, j’aimerais bien celui-ci :
« L’Enfer est vide, tous les démons sont ici ». Shakespeare, ça fait toujours son effet, pas vrai ?  « 
La grâce d’une femme fait la joie de son mari, et son intelligence répand la vigueur dans ses os 
». La Bible, c’est bien aussi, mais là, ça risquerait d’être mal interprété.
Les citations de Vialatte sont acceptables pour un roman de voyage exotique, par exemple « Si tu ne digères pas la soutane, évite de manger le missionnaire » mais cet auteur notoirement méconnu a été remplacé depuis quelques années par Desproges qui, pour le même roman nous a donné cet exergue optimiste : « Un jour j’irai vivre en Théorie, car en Théorie tout se passe bien ». Si on n’a pas de dictionnaire de citations sous la main, on peut toujours assembler quelques mots au hasard et leur attribuer une paternité mystérieuse : « Puisse-t-elle l’avoir pour vous la dire tout entière. Osera-t-on dire qu’elle tue de sa main et prend le soin d’en souffrir ? (Bogumila Tomić) » Les gens ne comprendront pas, et quand ils ne comprennent pas, ils pensent que c’est profond.

L’incipit.

J’ai beaucoup glosé ici-même sur l’incipit et son importance. Et maintenant qu’il faut en trouver un, je fais moins le malin.
Voyons ! Quelles sont les qualités d’un bon incipit ? Enfin, je veux dire, celui qui fait vendre ?  (Vous me pardonnerez de revenir toujours à l’essentiel, n’est-ce pas ?).

Est-ce son « Longtemps je me suis couché de bonne heure » qui a fait le succès de Marcel Proust ? Certainement pas ! Ce n’est même pas avec Du côté de chez Swann, qui commence avec ces mots, qu’il a eu le Goncourt. Il l’a eu avec A l’Ombre des jeunes filles en fleurs, qui commence tout autrement. Vous remarquerez en passant que personne ne connait par cœur l’incipit des Jeunes Fille en fleurs, alors que celui de Du côté de chez Swann, oui.

D’ailleurs, en y réfléchissant, je viens tout à la fois de réaliser et de conclure qu’un incipit ne sert à rien, sinon à constituer les premiers mots du roman, les mots du début. A-t-on jamais vu quelqu’un acheter un livre parce qu’il aura ces premiers mots : « Ce matin-là, il pleuvait sur Villetaneuse. » ou « Robert n’était pas vraiment ce qu’on pouvait attendre d’un courtier en assurance. » Ça vous incite à lire la suite, vous ?

On remarquera, en tout cas moi je l’ai remarqué, que, quand chez un libraire le client hésitant feuillette un livre, ce n’est pas la première page qu’il regarde, a fortiori pas l’incipit, mais justement la dernière, celle qu’on appelle la quatrième de couverture, où l’éditeur a concocté un de ces petits textes annonciateurs et aguichants. C’est bien ça qui fait vendre ; en tout cas, ça devrait.

Observant qu’un incipit ne devient éventuellement célèbre que lorsque le roman lui-même est connu et qu’il a rencontré le succès, on conclura que si incipit ne sert pas à pousser les ventes, ce sont les ventes qui poussent l’incipit.
Mon roman ne comportera donc pas d’incipit, ce qui est parfaitement cohérent avec ce que j’ai dit précédemment de sa structure : mon roman n’aura pas de début, a fortiori d’incipit.

 

4 réflexions sur « Mon roman – 4 »

  1. A l’imitation de Jim, j’apporte ma pierre à l’édifice.

    Dédicace : « A tous les vivants, passés, présents et à venir ». Là je fais carton plein.
    Exergue :  » La théorie des cordes vaut mieux que celle pour se pendre ». Un peu patibulaire…
    Incipit, en forme d’excipit : « Le cerf se tira une balle dans le pied et mourut sur le champ ». Il suffit de le remettre en excipit, et le lecteur relit le bouquin.

  2. Si ce roman à venir n’a ni début, ni fin, ni milieu, la citation de ce vieux Leonardo dégotée par Jim dans les poubelles littéraires me semble tout à fait appropriée. La substance du roman sera le néant borné par du néant. Le lecteur pourra se vanter d’avoir payer pour rien moins que rien, un vide sidéral, un néant absolu. A partir de ces mots, rien, néant, vide, je pense que le titre, la dédicace et l’incipit ne seront pas difficile à trouver. Le concours est ouvert.

  3. J’aimerais ajouter à la suite de mon commentaire précédent que l’incipit joue comme « la première gorgée de bière ».

  4. Les français sont experts en toutes circonstances. Que ce soit pour une coupe du monde de foot ou pour rebâtir Notre Dame sinistrée, la France peut compter sur 66 millions d’experts convaincus. Il en est de même pour la parution d’un roman. Il me semble donc parfaitement justifié que je réponde présent à l’appel – non pas à l’appel de l’auteur qui n’en a probablement rien à faire, peut-on le lui reprocher? mais à l’appel du destin – avec une contribution positive.
    Pour la dédicace, c’est pas difficile. J’m’dévoue: « À Jim, vieux compagnons….etc ». J’ai quelques propositions à faire qui feraient plaisir à ma femme et à son cercle d’amies intellectuelles.
    Pour l’exergue, pas difficile non plus. Oscar Wilde ou Groucho Marx sont souvent utiles, même s’ils sont usés jusqu’à la corde. Tout dépend du contenu bien sûr. Si ce contenu est rien, alors je suggère cette citation de Léonard de Vinci « Le néant n’a pas de centre, et ses limites sont le néant ». Léonard de Vinci ça fait chic, culturel et scientifique, un homme qui sait de quoi il parle.
    L’incipit enfin. Enfin, au début plus tôt! J’admets bien volontiers que l’incipit ne fait pas acheter le bouquin, mais il joue un autre rôle essentiel, celui de la mise en bouche, ce que les anglo-saxons nomment « appetizer », ce que le lecteur une fois confortablement installé dans « son » fauteuil auprès de la cheminée, une tasse de thé ou un grand wiskhy à son côté (autrefois après avoir précautionneusement découpé les pages de son nouveau livre de format in-quarto, un plaisir intense mais désuet malheureusement aujourd’hui) va déguster avec gourmandise et promesse d’à venir, ou bien s’interroger, peut-être parfois ressentir comme une déception. Alors, faut pas le bâcler l’incipit, et puis zut! c’est pas à moi de l’écrire ce fichu roman, c’est à l’auteur, scrogneugneu! je l’ai déjà dit, moi je n’serais que le lecteur quand il sera publié…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *