Le Parc aux Cerfs

Le Parc aux Cerfs est fermé.
C’est probablement définitif, parce que l’autre jour, quand je suis passé devant, un type collait sur la vitrine une affiche qui disait « A CÉDER ».
C’est triste.
Encore un bout de Montparnasse qui se fait la malle. 

Qu’est-ce qui va remplacer un de mes restaurants fétiches ? 
On parie pour une boutique de fringues ou une agence immobilière ? 
En attendant, relisez donc mon Parc aux Cerfs.

 

Couleur Café 10
Le Parc aux Cerfs, Rue Vavin, Paris.

J’aime bien le Parc aux Cerfs. Créé en tant que bar américain dans l’immédiat après-guerre, il s’est vite transformé en restaurant. Je le fréquente depuis plus de trente ans. Son côté confortable, sa décoration hors mode, son calme, la gentillesse sans familiarité du personnel, sa cuisine toujours simple et de qualité, tout cela continue de m’attirer régulièrement. J’aime aussi l’apéritif offert et les petits gobelets remplis de crayons de couleur qui équipent les tables depuis toujours.

La façade est plutôt discrète, mais l’emplacement dans la rue Vavin et le voisinage des grandes brasseries de Montparnasse ont valu au Parc aux Cerfs d’être fréquenté parfois par quelques célébrités.

C’est ainsi qu’un soir de Novembre 1955, alors que son atelier se trouvait encore rue des Grands Augustins, Picasso vient diner au Parc  avec Jacqueline Roque et un ami dont le nom m’échappe aujourd’hui. Vers la fin du repas, en attendant le café,  Pablo griffonne machinalement sur la nappe en papier de la table à présent débarrassée.
Il y a déjà longtemps que le patron a reconnu le peintre, mais il n’a pas encore osé le déranger. Devant le dessin qui prend forme sur la nappe, il n’y tient plus et s’approche respectueusement de la table :
-Maître, dit-il, je suis infiniment honoré par votre présence dans mon restaurant.
Montrant le gribouillage multicolore sur la nappe, il poursuit :
-Je serais le plus heureux des hommes si vous me permettiez de conserver ce souvenir de votre passage. Bien entendu, vous êtes mes invités.
Picasso, ce soir-là de bonne humeur, accepte avec bonhommie. Le patron remercie avec effusion,  puis, rouge de plaisir et de confusion, il demande:
-Maître, votre dessin n’est pas signé. Serait-ce trop vous demander de bien vouloir…
Il n’a pas le temps de terminer sa requête que Picasso l’interrompt:
-Ah, non, cher Monsieur. Je paie notre diner, je n’achète pas le restaurant !

Cette anecdote est connue. Elle est vraisemblable. Il se pourrait même qu’elle soit vraie. Pourtant, je ne crois pas qu’elle se soit jamais passée au Parc aux Cerfs.
Mais, comme j’aime bien ce restaurant, faisons comme si, voulez-vous?

 

7 réflexions sur « Le Parc aux Cerfs »

  1. Correction après vérification: « le type DU prisonnier… »

  2. Presque 6 ans, déjà! Bon sang, comme le temps passe, comme la Seine sous le pont Mirabeau dirait le poète.
    « Picasso est, comme le poète, le type de prisonnier qui cherche à détruire sa prison. »
    Jean Cocteau (grand encenseur de Picasso)

  3. Ce mot est attribué à Jean Cocteau. Disant cela, il a fait preuve d’esprit, à base de contrepèterie, mais il n’a pas vraiment fait preuve de goût. C’est étrange, car Cocteau avait justement du goût, mais je pense qu’il aurait dit n’importe quoi pour faire un mot d’esprit.
    Je me souviens que, pour se plaindre du nombre d’invitations auxquelles il avait à répondre il s’était exclamé: « Mais enfin! Mon nom n’est pas le pluriel de cocktail! »

  4. Connaissez-vous le bon mot de ce journaliste qui, écrivant une critique de l’expo des assiettes que Picasso avait peintes à Vallauris, écrivit… Je préfère subir les assauts des pique-assiettes, que les assiettes de Picasso?
    Magnifique!!

  5. L’auteur a-t-il tout dit de son penchant pour ce lieu dont le nom, Le Parc aux Cerfs, était celui d’un lieu célèbre à Versailles qui n’était autre qu’une réserve de jeunes vierges livrées à la concupiscence de Louis XV, en quelque sorte un sérail, pour ne pas dire un lupanar, dont la Marquise de Pompadour faisait office de mère maquerelle? Allons! L’inconscient se révèle parfois au détour d’un texte dans un blog.

  6. Picasso picassiettes

    Aux prochains clients: Si vous êtes petit, grincheux, bronzé, rasez vous le caillou en laissant quelques poils blancs au dessus des oreilles, prenez un accent catalan puis, juste avant la douloureuse, gribouillez n’importe quoi sur la nappe… les crayons sont fournis par le restaurateur. Vous serez alors ‘l’invité’ de la maison (amenez beaucoup d’amis). Surtout, refusez de signer les gribouillis; le patron vous sera immensément reconnaissant de lui avoir laissé son resto en guise de pourboir.

  7. Non seulement cette anecdote est connue, mais… Ou bien il était coutumier du fait, ou de nombreux restaurants la revendiquent abusivement! Alors, pourquoi pas celui-ci? Faisons comme si…
    Cela dit, de nombreux dessins non signés ont été retrouvés en la possession de personnes diverses et variées, ce qui donne de la crédibilité à l’anecdote…

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