Il y a cent ans, 11 novembre 1918

Il y a 100 ans, exactement, le 11 novembre 1918 à 11 heures du matin, les cloches ont sonné dans toute la France pour annoncer l’armistice qui mettait fin à la Première Guerre Mondiale.
A l’occasion de ce centenaire, je publie à nouveau cet extrait du journal du caporal Marcellin Coutheillas, mon grand-père. Ce passage, daté du 8 novembre 1914, décrit cinq jours parmi d’autres de cette première année de guerre.  

Journal de Marcelin Coutheillas, caporal

8 novembre 1914

Je viens de passer cinq jours inoubliables. Mon sang froid m’étonne, mais j’ai eu terriblement peur de ne pas pouvoir tenir ma place. Pourtant, je ne sais pas si je pourrai retrouver cette sérénité, ce sang froid maintenant que j’ai vu. Est-ce que dans d’autres pareilles circonstances, des visions terribles ne viendront pas faire assaut à ma raison et me faire faillir ?
Quand j’écris ces notes, le dimanche 8 novembre, j’ai eu une nuit de repos, j’ai bien déjeuné et j’ai l’esprit en repos. Je ne suis presque plus sous l’impression déprimante d’hier qui m’a abattu et où la seule idée de retourner aux tranchées me faisait frémir. Aujourd’hui, je l’envisage avec plus de fermeté, cependant sans désir d’y retourner.
Le 2 novembre, nous sommes partis pour les tranchées La route est extrêmement pénible, car, comme nous devons traverser un plateau complètement découvert, il faut ramper sous une grêle de balles. C’est seulement le début. Nous arrivons aux étroits boyaux qui desservent les tranchées. La marche est difficile. Je suis couvert de sueur. On me place en soutien de mitrailleuse à cent mètres des boches.
La nuit est calme.
Au petit jour, nous apercevons les Allemands qui creusent une tranchée. Toute la journée, ce sera une fusillade ininterrompue sur toute la ligne. Quand une balle frappe les tôles des guetteurs ou un camarade, comme au stand de tir, les autres indiquent. Les Allemands en font autant. Cette façon très crâne nous donne confiance et petit à petit, cela nous empoigne : j’ai vu des gens d’ordinaire très peureux se placer gaillardement dans un créneau et faire le coup de feu.
La nuit, il fait un clair de lune merveilleux et on distingue très bien les tranchées allemandes. Silence sur les lignes.
Aujourd’hui, 3 novembre, j’ai 36 ans. Ce matin, il fait du brouillard et je pars avec un sergent et quatre zouaves pour planter des piquets et tendre des fils de fer devant les tranchées. Le courage est comme tout, communicatif, et c’est sans hésitation que je suis mes camarades.
Nous restons sortis près de trois quarts d’heure, et ce n’est que vers la fin que les Boches nous devinent et tiraillent de notre côté. Mais ils tirent trop haut et nous rentrons indemnes.
A 8 heures, le soleil chasse la brume et à 10 heures, un Taube nous survole. A midi, l’artillerie allemande commence ses tirs de réglage. Ils sont à peu près bons.
A 3 heures, c’est le bal complet : éclatements, lueurs, chocs, sifflements. C’est fou, ahurissant, sinistre ; la terre tremble, des souffles nous couchent dans les tranchées. Les Allemands envoient sur nous des grenades et des fusées lumineuses.
Nous sommes debout, baïonnette au canon, prêts à l’attaque que nous attendons d’un moment à l’autre, car les tranchées allemandes sont silencieuses. C’est de mauvais augure. Les officiers passent dans les tranchées en nous recommandant de nous tenir sur nos gardes. Un caporal et quatre zouaves se portent à vingt mètres en avant pour servir de petit poste. Une méprise se produit et l’un des zouaves tue un des nôtres qui rampait en avant vers le petit poste.
10 heures, coliques
11 heures, le petit poste se replie sous le feu et nous annonce l’arrivée des Allemands. Ils sont en colonne par quatre. C’est absolument déconcertant et effrayant.
Les Zouaves, qui ont déjà assisté à de pareils assauts, sont calmes et nous donnent des conseils. Nous commençons à tirer.
Malgré cet ouragan de feu, les colonnes avancent toujours. Nos obus de 75 tombent dans leurs lignes et y produisent des effets effroyables. La mitrailleuse marche, mais ils avancent toujours. Avec une acuité étrange, je sens tout le danger de notre situation, je sens qu’il faut résister à tout prix, et tous sont comme moi : nous tirons avec rage.
Ils sont sur nous. Nous sommes obligés d’évacuer les tranchées. Mais à peine étions nous en arrière qu’un officier s’élance en tête et commande : « A la baïonnette ! »
Alors, c’est la ruée générale, c’est une lutte effroyable. Nous reprenons nos positions et, emportés par l’élan, nous nous portons sur les positions allemandes et nous les enlevons. Les tranchées sont si étroites que nous nous battons à coups de crosse, à coups de poings, à coups de tête.
Le jour s’est levé pendant l’attaque et nous ne pouvons plus nous replier vers nos anciennes tranchées, car le terrain que nous venons de franchir est balayé par l’artillerie et par le feu de l’infanterie allemande qui s’est retranchée sur la crête. De la tranchée où nous sommes, nous sortons les corps de cinquante-neuf Allemands, que nous plaçons en avant. Derrière nous, il reste environ deux cents corps allemands et une vingtaine des nôtres. Certains sont blessés, mais il nous est impossible de leur porter secours.
A la nuit, nous repoussons une contre-attaque. Pendant toute la journée et toute la nuit, nous travaillons au creusement d’un boyau pour rejoindre nos anciennes tranchées.
Clair de lune. Nous relevons cinq blessés français et quelques Allemands.
Journée de bombardement. Vers 5 heures, nous rejoignons nos camarades. Sentiment de délivrance.

ET DEMAIN, RETOUR RUE SAINT-JACQUES

3 réflexions sur « Il y a cent ans, 11 novembre 1918 »

  1. Horreur! Je viens de voir le démoniaque Dark Vador remonter les Champs Elysées. Ça faisait froid dans le dos. Dark Vador, ou the Joker, ou the Godfather, peu importe le pseudo, la réalité dépasse de loin la fiction.
    Dump Trump!

  2. Ce texte écrit sans fluoritures inutiles démontre le sang froid d’un poilu qui vivait sa mission tragique tout naturellement, avec courage, résignation, entouré de ses camarades d’infortune, mais il suscite également un sentiment de compassion bien plus grand que les discours de tribune, souvent lus avec une fausse émotion, bien plus instructif que les diatribes émisent par ces pseudoprocureurs qui se croient investis d’une mission de salut publique, bref, par tous ceux-là prompts à lancer, oui, des polémiques scélérates. Au tribunal de l’histoire, les témoignages des poilus valent bien mieux.

  3. L’aïeul montre déjà un talent de plume. Ces soldats marchaient à l’émulation.
    « Itinérance mémorielle » qu’ils disaient. Ils ont de ces mots, pour faire du neuf avec du vieux ! Pétain, un personnage de tragédie. Un héros déchu. Le chêne De gaulle et le roseau Pétain. Macron a raison de vouloir retenter une unité de la France. Mais ça ne marche plus. L’infâme le lui impute à faute.
    Je n’étais pas encore français par le sang versé mais les témoignages de ces poilus font partie de ma mémoire et mieux vaut, pour commémorer, faire silence, que de lancer des polémiques scélérates.

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