Marabout de ficelle ou La Chaussure de Jessica

  • La scène représentera l’intérieur d’une voiture de taille moyenne roulant à petite vitesse sur l’Autoroute entre Orléans et Tours. En voix off, on entendra les pensées de Robert, le conducteur. Il y aura quatre autres personnes à bord avec Robert : Simone, sa femme, Kevin et Maeva, ses enfants, sa belle-mère, sans prénom, sans parler du chien, de race imprécise.

 Voix off

« Merde, y a le moteur qui chauffe. Ah ben, ça commence bien, les vacances ! D’abord, les embouteillages depuis la Porte d’Orléans, et maintenant la voiture qui chauffe ! Va falloir que je m’arrête. Eh ben, on n’y est pas, à Montalivet-les-Bains. Bon sang, ils vont pas arrêter leurs jeux idiots, à l’arrière ? »

Dialogue

—Eh, les gosses ! C’est pas bientôt fini, là-bas derrière ? Vous voyez pas que je conduis, non ? C’est fatigant tout ce boucan à la fin. Fermez-là !

—Mais Papa, on joue à Marabout-de-ficelle, tu sais ?

—Vous jouez à Marabout-de-ficelle depuis Denfert-Rochereau, alors maintenant, j’en ai marre !

Marre-about !

—Bout de ficelle !

Assez, nom de Dieu ! Vos gueules !

Gueule de Loup !

Loup y es-tu ?

—Ne vous foutez pas de moi en plus, ou je m’arrête et je vous flanque une torgnole !

—Voyons, Robert, ce sont des enfants. Le voyage est long. Il faut bien qu’ils s’amusent.

—Écoutez, belle-maman, c’est ma voiture et c’est mes enfants, alors si je veux leur dire de la boucler …

Bou-clef des champs !

Kevin ?  C’est toi qui a dit ça, Kevin ? Tu vas t’en prendre une, que tu t’en souviendras !

—Écoute Robert, on en a encore pour des heures dans cette voiture. On est cinq là-dedans, sans compter le chien. Alors si chacun n’y met pas un peu du sien, ça va bientôt être l’enfer, là-dedans. Alors, les enfants, prenez un illustré et taisez-vous un moment. Toi, Maman, tu les surveilles et toi Robert, tu te calmes un peu. Pense aux belles vacances qui nous attendent à Montalivet. D’accord ?

—Dac-corde à nœuds !

Maeva ! Tu as entendu ce que je viens de dire ?

—Oui Maman.

M’amant de Lady Chatterley ! Lait de vache ! Vache de ferme ! Ferme ta bouche ! Tu vois, je sais jouer moi aussi. Bon allez, maintenant, on se tait. Papa conduit !

 Voix off

« C’est ça ! Vous la fermez et moi, je conduis. Montalivet-les-Bains ! Je voulais pas y aller, moi, à Montalivet-les-Bains. Il parait qu’il y a tout le temps du vent, qu’il y a des grosses vagues et qu’il pleut tous les jours. En plus, il y a des marées. Il parait que l’eau s’en va à des kilomètres ! Alors pour se baigner, bonsoir ! Non, moi je voulais aller sur la Costa Brava, à Playa de Ajo. On m’a dit qu’il y a des hôtels pas chers du tout juste au bord de la mer. Et puis surtout, à Playa de Ajo, il y aurait eu Jessica, avec son boulot d’été… Hôtesse au bar-restaurant du camping, qu’elle va faire, tout l’été. Merde ! On aurait pu se retrouver le soir, après la fermeture. J’aurais couché bobonne, la belle-mère et les enfants, et zou ! droit au camping ! Mais non, y a rien eu à faire, Madame voulait le bon air, la grande plage, les cerfs-volants, les châteaux de sable, la pêche à marée basse… Madame disait « c’est important pour la santé des enfants, et de toute façon, ma mère ne supporte pas la Paella ». Alors, du coup, rayée, la Costa Brava, et en avant pour Montalivet-les-Bains. Y a des moments où Simone, vraiment… Allons bon ! Voilà le voyant qui s’allume maintenant ! Faut que je m’arrête… »

Dialogue

—C’est gentil de vous arrêter, Robert. Les enfants vont pouvoir se dégourdir les jambes. Je dois dire que moi aussi, je commençais à en avoir besoin. C’est vrai qu’à l’intérieur, votre voiture n’est pas si grande qu’elle en a l’air…

—Ma BM ! Trop petite ! Elle est bonne celle-là ! Elle est très bien, ma BM ! Qu’est-ce qu’il faut pas entendre ! Ben, la prochaine fois vous irez en train, à Montalivet-les-Bains !

Voix off

« Non mais ! Elle est très bien, ma BM ! Mais quand même,  elle chauffe un peu. Faut que j’ouvre le capot. Je n’y connais rien, mais ça la fera peut-être refroidir. Et puis, je pourrai en griller une. « 

Dialogue

—Bon, allez vous balader. Je vous donne un quart d’heure. Surtout, que je vous revoie pas avant, ça me fera des vacances. Non, non, je garde le chien. Lui au moins, il critique pas ma BM.

Voix off

« C’est vrai que c’est chaud là-dessous. Faut que je vérifie les niveaux. Mais où est-ce que j’ai fichu le mode d’emploi ? Ah oui, derrière le siège conducteur. Le voilà ! Qu’est-ce que c’est que cette chaussure ? Sous mon siège ? Meeeerde ! C’est la chaussure de Jessica ! Qu’est-ce qu’elle fout là, la chaussure de Jessica ? Faut dire qu’elle était tellement bourrée quand je l’ai ramenée chez elle la dernière fois ! Faut absolument que je me débarrasse de ça ! J’ai qu’à la mettre dans le caniveau. Ça fera comme si quelqu’un d’autre l’avait oubliée. On trouve de tout sur les parkings d’autoroute. Bon, maintenant le bouquin, les niveaux… page 32 … »

Dialogue

­—M’sieur ! M’sieur ! Vous avez perdu quelque chose ! Tenez, je vous l’ai ramassée.

—L’est pas à moi cette chaussure. Tu peux la garder…

—Mais si, elle est à vous, j’vous ai vu la sortir de la voiture, là ! Vous vous souvenez plus ?

—J’te dis qu’elle est pas à moi !

—Ah ben dis donc, c’est triste d’être vieux. Vous vous en souvenez déjà plus !

—Barre-toi, sale gosse, ou je te botte les fesses !

—Papa, papa ! Y a un monsieur qui veut me frapper !

—Tu vas pas la fermer, p’tit con ?

—Papa, papa ! Y m’a traité de p’tit con !

—Alors, comme ça, Duchnock, tu veux cogner mon gosse ?

—Mais non, mais non, je vous assure…

—Tu veux que je te la cabosse un peu, ta BM ?

—Écoutez, c’est un malentendu. Votre fils n’a pas bien compris. Il voulait absolument me rendre cette chaussure, alors qu’elle n’est pas à moi. Alors, je lui ai dit…

—Papa, papa, c’est pas vrai. Elle est au Monsieur, la chaussure. Il l’a sortie de sa voiture. Je l’ai vu.

—Si Brandon dit que la godasse est à toi, c’est qu’elle est à toi. Alors, tu la reprends, tu la remets dans ta BM, tu t’approches plus de mon gosse et tout le monde est content. Pigé, Duchnock ?

—D’accord, monsieur.  Pigé.

—Salut…

Voix off

« Non mais, pour qui il se prend, ce mec ? Heureusement que je sais garder mon calme, sans ça, ça pouvait dégénérer. Il y a vraiment n’importe qui sur les routes, les jours de grand départ ! Bon, mais moi, du coup, j’ai toujours cette fichue chaussure. Bon sang, voilà Simone qui revient ! Faut pas qu’elle la voit. Elle va m’en faire tout un schpounz. Faut que je me débarrasse de ce truc tout de suite. Je vais la lancer dans le fourré, là. Ouf ! Ni vu, ni connu ! « 

Dialogue

—Ah, Robert ! J’avais oublié de prendre de l’argent. Tu veux que je te rapporte quelque chose ? Un Coca, des chewing-gums ? Ah, je vois que tu as repris la cigarette. Ce n’est pas bien ça, Robert, pas bien du tout. Tiens, où est passé le chien ?

—Il se promène par là, j’sais pas…

—Ah, je le vois, il s’agite dans le fourré là-bas. Il va encore nous rapporter une cochonnerie…. Bon, écoute, tu t’en occupes, hein ? Les enfants m’attendent.

Voix off

« Mais c’est pas vrai que cette andouille de clébard me ramène la godasse ! Et tout content, en plus ! Non mais, j’y crois pas ! »

Monologue

—Donne ça ! Donne ça tout de suite ! Veux-tu donner ça ! Non, j’ai pas envie de jouer, connard ! Mais lâche ça, maintenant ! Veux-tu lâcher ça ! Veux -tu ! Acrémordeldeberdedesaloperiedefoutucadoralacon ! Lâche ça ! … Ah, c’est malin, elle est toute déchirée maintenant. Et voilà le clebs qui se barre avec ! Reviens, machin ! Reviens ici tout de suite. Comment qu’il s’appelle déjà ? Ah oui, Veutu. Tu parles d’un nom pour un chien ! Veutu ! On n’a pas idée ! Enfin… Reviens Veutu ! Ici tout de suite, Veutu, aux pieds ! Allez, donne ! Donne ! Là, là, c’est bien mon bon Veutu, c’est bien. Fous-le camp maintenant, corniaud !

Dialogue

—Mais, qu’est-ce que vous faites avec ma chaussure, Robert ?

Voix off

« Aîe, je l’avais pas vue revenir, celle-là ! Mais est-ce qu’ils vont pas me foutre la paix cinq minutes »

Dialogue

—Votre chaussure, belle-maman ?

­—Oui, ma chaussure , Robert ! j’avais trop chaud tout à l’heure dans la voiture. Alors j’ai retiré mes chaussures et quand vous vous êtes arrêté sur le parking, j’en ai pris de plus légères dans mon sac et j’ai laissé celles-ci sur le plancher. Tenez, voilà l’autre. Mais qu’est-ce que ça peut bien vous faire, d’abord ? C’est ma chaussure et c’est tout ! Et qu’est-ce que vous faites avec  ?

—Euh, ben, rien…

—Mais, regardez ! Elle est pleine de bave ! Et toute déchirée, avec ça !

—Euh, ben, oui, un peu…

—Dites-moi, Robert, vous n’étiez pas en train de jouer avec le chien avec ma chaussure ? Ne me dites pas le contraire, je vous ai vu de loin. Vous êtes sûr que vous allez bien, Robert ? Ah ! Voilà Simone qui revient avec les enfants. Simone, regarde ce que ton mari à fait à ma chaussure ! Elle est fichue maintenant !

—Oh, faut rien exagérer. C’est surement réparable.

Répa-rable de lapin !

De lapin-ture à l’huile !

—A l’huile et au vinaigre !

—Au vi-nègre d’Afrique !

Tiens, Kevin ! Tu l’as pas volée celle-là !

—Robert, je vous interdis de frapper mes petits-enfants !

—Je les frappe si je veux et quand je veux. Et, en plus, je vous emmerde !

—Robert, tu es odieux ! Je te quitte !

Quitte ou double !

—Tu me quittes ? Bon débarras ! Au moins, tu me ficheras la paix

La paix-ritif !

—Tu vois Simone, je te l’avais bien dit que Robert n’était pas un gentleman.

—Oh, vous, la belle-doche, allez vous faire voir !

—Robert, je demande le divorce !

—Ta gueule, pétasse !

Pét-As de pique !

—Espèce de salaud !

Sal-eau de Javel !

Gros boudin !

Pauvre minable !

—…

Le dialogue se poursuivra sur une série d’insultes à compléter tandis qu’une légère fumée commencera à s’élever du capot de la voiture. La caméra s’éloignera en travelling vertical et les protagonistes deviendront de plus en petits tandis que leurs répliques seront de moins en moins audibles. Tout finira par disparaitre complètement tandis que les premières notes du Clair de Lune de Debussy (1) couvriront les dernières grossièretés. On pourra remplacer le Clair de Lune par une brève explosion, d’ailleurs plus un flouf qu’une véritable explosion, au niveau de la BM. Le mot FIN apparaitra en surimpression sur l’image satellite du parking de l’Autoroute.

Note 1 : Cliquez ICI ou bien sur « Clair de Lune » ci-dessus pour vous rendre compte.

ET DEMAIN, UN COLLAGE

4 réflexions sur « Marabout de ficelle ou La Chaussure de Jessica »

  1. On aimerait en savoir un peu plus sur Jessica, sa chaussure et son bar-restaurant …

  2. Les emmerdements, ça vole en escadrille.
    Superbe sketch, bien tourné et mis en musique.
    On conseillera à ce Robert-ci de se pendre sans délai car s’il parvient jamais à Montalivet, il va se faire emporter par une baïne et coiffer par une méduse, duse… Ah ah…!

  3. Si ce pav’con de Robert avait écouté les conseils infantilisant de Bison Futé, y serait pas là avec sa caisse pourrie pour nous faire marrer (…rez-de-jardin…dindonneau…noblesse-obligeu…jeux-de-mains-jeux-de-vilains…)…

  4. Ce texte était ma réponse à un exercice dans le cadre d’un atelier d’écriture. Voici quel en était le thème

    « C’est un homme qui part en voiture sans doute pour les vacances avec sa femme à côté de lui, sa belle-mère et ses enfants derrière. Tout à coup, l’homme sent sous son pied une chaussure de femme, un escarpin. Il panique car il sait très bien qu’il a trompé sa femme dans cette voiture avec une dame portant des escarpins. Comment va-t-il faire disparaître l’escarpin ?
    La chute : Quand enfin il est arrivé à destination et qu’il a réussi à se débarrasser de l’escarpin, sa belle-mère sort de la voiture et dit « je ne comprends pas je ne retrouve plus ma chaussure » »

    La chute proposée était bonne, mais comme elle était dévoilée dans le sujet, j’ai voulu la modifier un peu.

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