Britannicus – Critique aisée n°136

Critique aisée n°136

Britannicus
Jean Racine
par la troupe de la Comédie Française

Bon, je ne vais pas m’attaquer à Racine. Je viens de me faire Balzac — ce ne sera publié que le 6 novembre prochain — alors je ne vais pas m’attaquer à Racine tout de suite. Mais enfin, quand même, pourquoi s’obstinait-il à écrire en alexandrins ?

Britannicus, c’est une bonne pièce, c’est vrai. Pleine de violence, pleine de machiavélisme, de cruauté et de suspense. Si, si, il y a du suspense, même si tout le monde ou presque connait la fin. En fait, Britannicus meurt. Vous le saviez, bien sûr. De toute façon, vous n’alliez pas dire le contraire, n’est-ce pas ?  (A propos, sans regarder, vous rappelez-vous comment meurt Néron — oui, c’est lui le personnage principal de la pièce, quand même ? Réponse 1 : dans l’incendie de Rome ; Réponse 2 : assassiné par Agrippine ; Réponse 3 : Assassiné par les gardes de Caligula ; Réponse 4 : par suicide ; Réponse 5 : en tombant du haut de la Roche Tarpéienne ; Réponse 6 :  d’une crise de paludisme ?)

Bon, d’accord, Britannicus est une bonne pièce. Mais les alexandrins, ça ne fait pas naturel. Et puis, le vocabulaire ! Très ampoulé, quand même. Ça nuit à la crédibilité des personnages. Personne ne parle comme ça, surtout dans les circonstances où les personnages  sont placés. Écoutez plutôt :

AGRIPPINE

Approchez-vous, Néron, et prenez votre place.
On veut sur vos soupçons que je vous satisfasse.
J’ignore de quel crime on a pu me noircir.
De tous ceux que j’ai faits je vais vous éclaircir.

Non mais, franchement ? Vous éclaircir ? Agrippine est accusée de comploter contre l’empereur son fils, celui qu’elle a eu avec un dénommé Ebarbus, — Ebarbus ! on croit rêver. Avec l’énergumène qu’elle a mis au monde et sur le trône, elle risque gros, quand même ! Et tout ce qu’elle trouve à dire, c’est « je vais vous éclaircir« . Vous voulez un autre exemple ? Je plante le décor : Un ministre entre en trombe pour annoncer à Agrippine et à Junie, la gentille fiancée de Britannicus, que l’homme de sa vie est défunt.

 

AGRIPPINE

Burrhus, où courez-vous ? Arrêtez. Que veut dire…

BURRHUS

Madame, c’en est fait, Britannicus expire.

JUNIE

Ah mon Prince !

AGRIPPINE

                            Il expire ?

BURRHUS

                                                 Ou plutôt il est mort,
Madame.

 JUNIE

                  Pardonnez, Madame, à ce transport.
Je vais le secourir, si je puis, ou le suivre.

Vous y croyez, vous ? Moi, j’ai du mal. Enfin, il est mort ou il expire, le beau gosse ? Et s’il est mort, pourquoi Burrhus laisse-t-il planer le doute ? Pour faire une blague ? Ce n’est vraiment pas le moment ! En fait, il est complètement décédé, Britannicus, c’est clair pour tout le monde. Alors, comment la Junie pense-t-elle pouvoir le secourir ? Et puis aussi, cette façon obséquieuse qu’elle a de s’excuser auprès de son ex-future belle-mère ! Pardonnez, Madame, à ce transport … Pas crédible ! Et c’est comme ça presque tout du long. Il y a quelques facilités aussi. Par exemple, à la fin de la pièce, Agrippine n’est pas contente du tout. Elle engueule son fils pour avoir tué son frère et se montre plutôt pessimiste quant à leur avenir à tous deux :

AGRIPPINE

(…)    Poursuis, Néron, avec de tels ministres 
Par des faits glorieux tu te vas signaler.
Poursuis. Tu n’as pas fait ce pas pour reculer.
Ta main a commencé par le sang de ton frère.
Je prévois que tes coups viendront jusqu’à ta mère.
Dans le fond de ton cœur, je sais que tu me hais.
 Bon, eh bien moi, je dis que c’est facile de faire des prédictions comme ça quand on connait l’histoire romaine.
Vous voyez, c’est une bonne pièce, mais bourrée de défauts.

***

Bon, vous l’avez compris : je viens de voir Britannicus, par la Comédie Française, et je ne savais pas trop quoi en dire. Alors, je suis parti dans le comique, la dérision, le dérisoire, la facilité.

Mais sérieusement, que dire de Britannicus ?

L’intrigue ?

Si vous la connaissez déjà, je ne vous apporterai rien de plus. Si vous ne la connaissez pas, je ne ferai que vous gâcher la surprise de l’innocence. J’en ai déjà bien trop révélé dans les lignes qui précèdent.

Alors, la représentation ? D’accord !

Les acteurs, tous excellents. C’est le Français, quand même. J’ai surtout apprécié Narcisse, l’arriviste perfide, Burrhus, le grand commis de l’État, et Néron, l’Empereur « normal » qui devient monstre. Le décor, parfait : une salle de réunion contemporaine, avec une table de conférence et des fauteuils, mais pas de mur, juste des portes suspendues. Les costumes, sobres, modernes : du même style que la table et les fauteuils. La mise en scène ? Ah, la mise en scène ! Elle met bien en évidence l’ambiguïté de Néron, ses hésitations, ses motivations, son basculement vers la tyrannie. Personnellement, j’ai trouvé que le jeu trop sobre d’Agrippine ne mettait pas assez en valeur son personnage, sa volonté, son machiavélisme (parce qu’elle a un passé chargé, la soeur et maitresse de Caligula, la veuve d’Enobarbus, de Crispus Passienus et de Claude, et la maitresse de Sénèque, mais ce n’est pas le sujet de la pièce). Mais ce qui m’a vraiment gêné, et ce n’est que vers la fin que j’ai commencé à m’y habituer, c’est la façon vraiment très appuyée qu’ont tous les comédiens de dire les alexandrins. Et ça, c’est le choix du metteur en scène. Mais comme le disait l’auteur des premières lignes de cet article, « personne ne parle plus comme ça », et moi j’ajoute : « même au Théatre Français ! »

—Un-deux-trois-quatre-cinq-six, un-deux-trois-quatre-cinq-six,
—Un-deux-trois-quatre-cinq-six, un-deux-trois-quatre-cinq-six !

Dans les scènes un peu fortes, celles de colère, d’amour ou de disputes, ça devient presque ridicule et, chaque fois que tombe un mot comme « malédiction » ou comme « séduction (ma-lé-dic-sci-on, sé-duc-sci-on), ça devient presque comique. Moi, j’aime bien que les comédiens articulent, j’aime bien que l’on sente qu’il y a des alexandrins, mais à ce point, ça me déconcentre.

La salle maintenant.

Très bien, la salle : vaste, tempérée, confortable. On y est très bien assis, on voit bien et, surtout, on entend bien de partout. Et les places ne sont pas chères en plus. Là, vous vous dites : « grand confort, excellente vision, acoustique parfaite et prix économique, ça ne peut pas être le Palais Royal ! » Vous avez raison : c’était un mardi, à 4 heures de l’après-midi, au cinéma Convention, pour 18 euros.

Si vous cliquez sur le lien ci-dessous, vous devriez pouvoir trouver les salles et les séances qui vous permettront de vérifier ce que je dis.

http://www.allocine.fr/seance/film-256807/pres-de-115755/

ET DEMAIN, UNE PHOTO CONFIDENTIEL – DÉFENSE

 

 

4 réflexions sur « Britannicus – Critique aisée n°136 »

  1. On pourrait même ajouter que les comédiens de l’époque n’avaient pas du tout l’accent d’aujourd’hui…

  2. Ah, mais alors, là, pas d’accord, pas d’accord du tout.
    Tout d’abord, si j’ai fait comprendre que je trouvais les alexandrins ringards, c’est que je me suis mal exprimé. L’alexandrins, comme le pentamètre de Shakespeare, donne une merveilleuse fluidité, un rythme à la parole, comme si c’était une musique. Bien après le théâtre classique, des écrivains de prose ont utilisé ce partage de la phrase en deux fois six syllabes. Guitry était un spécialiste de ça. (Quand j’y arrive, je suis aux anges) Cependant le théâtre classique était une discipline si rigide (les unités, la versification) qu’à lire Corneille ou Racine, on tombe sur des passages parfois laborieux, par exemple dans les dialogues formés de phrases courtes (voir l’annonce de la mort de Britannicus par Burrhus). Il me semble que, tant qu’on ne change pas le texte (le texte, coco ! le texte !) on a le droit, dans la diction, de s’arranger avec les règles, non par souci de modernité, mais par souci de fluidité.
    Ensuite, le décor et les costumes. Je ne vois pas que leur modernisation, quand elle reste dans la simplicité, soit synonyme d’anachronisme. Il parait que les comédiens de Racine et de Corneille ne jouaient pas souvent dans des costumes antiques. On dit qu’ils utilisaient beaucoup les vêtements donnés par leurs mécènes. Quant aux décors, n’étaient-ce pas souvent ceux des châteaux dans lesquels ils jouaient.
    Quoique je n’en aie jamais été le témoin, il me semble que le jeu des acteurs anciens devait lui aussi être différent de celui des auteurs contemporains. Si on fait le parallèle avec les débuts du cinéma, ça devient évident.
    Il y a peut-être eu des mises en scène (C’est le fonds de commerce du Théâtre de l’Odéon) où l’on a pu voir Agrippine et son iPhone, Horace et son revolver. Il y en aura toujours. Ce sera plus ou moins provocateur, plus ou moins réussi, mais, si je suis prévenu, il y a des chances pour que je n’y aille pas.
    Quoique, quoique… il y a eu au cinéma en 1996 un Richard III extraordinaire. Tout le texte et rien que le texte, toute une bande d’excellents acteurs UK ou US, une mise en scène grandiose, une réussite totale, quoique le réalisateur avait placé l’action dans des décors et costumes qui faisaient furieusement penser aux débuts du IIIème Reich.

  3. Bon, tout cela s’entend.
    Mais tout de même, que sont les productions artistiques ? En grande partie des effets de modes. Or que sont les modes ? Les ringardises de demain.
    Il est donc acquis que les alexandrins sont aujourd’hui ringards.
    Mais que dire de cette mode des décors modernes ? Ce sont des anachronismes. Verra-t-on demain une Agrippine accrochée à son portable ? Ou mieux, une Junie bionique secouée de spasmes mécaniques et chuintants ? Ou encore, poussons le délire, un Britannicus interprété par des robots ?
    C’est un peu l’histoire de la Belle au bois dormant déposant plainte pour harcèlement sexuel contre le Prince Charmant qui écope de vingt ans incompressibles à la grande joie hystérique des féministes : un fier anachronisme.
    Ah laissons aux traditions leur charme désuet. Il m’arrive de faire chabrot avec un vulgaire vin nouveau versé dans mon assiette, hommage à mon grand-père adoré, et ne me viendrait pas à l’idée de moderniser la chose d’un Gevrey-Chambertin qui n’aurait rien à faire là.
    Faut être moderne Coco, pour faire le buzz.
    A la furie de jeter par dessus les moulins tout ce qui vécut avant nous, je préfère l’indulgence et la compréhension à l’égard des errements humains du passé. Sans quoi, nous serions tenus d’exiger des dommages et intérêts de l’Italie pour la mort de Vercingétorix. Non mais sans blague.

  4. Les deux vers de Britannicus que j’ai retenus depuis plus de 60 ans tant je crois qu’ils restent applicables en maintes circonstances:
    “Vous n’aurez pas pour moi de langages secrets
    J’entendrai des regards que vous croirez muets”.

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