Les chinois voient l’heure dans l’œil des chats

Les chinois voient l’heure dans l’œil des chats.

Un jour un missionnaire, se promenant dans la banlieue de Nankin, s’aperçut qu’il avait oublié sa montre, et demanda à un petit garçon quelle heure il était.

Le gamin du Céleste-Empire hésita d’abord ; puis, se ravisant, il répondit : « Je vais vous le dire. » Peu d’instants après, il reparut, tenant dans ses bras un fort gros chat, et le regardant, comme on dit, dans le blanc des yeux, il affirma sans hésiter : « Il n’est pas tout à fait midi. » Ce qui était vrai.

Pour moi, si je penche vers la belle Féline, la si bien nommée, qui est à la fois l’honneur de son sexe, l’orgueil de mon cœur et le parfum de mon esprit, que ce soit la nuit, que ce soit le jour, dans la pleine lumière ou dans l’ombre opaque, au fond de ses yeux adorables je vois toujours l’heure distinctement, toujours la même, une heure vaste, solennelle, grande comme l’espace, sans division de minutes ni de secondes, – une heure immobile qui n’est pas marquée sur les horloges, et cependant légère comme un soupir, rapide comme un coup d’œil.

Et si quelque importun venait me déranger pendant que mon regard repose sur ce délicieux cadran, si quelque Génie malhonnête et intolérant, quelque Démon du contretemps venait me dire : « Que regardes-tu là avec tant de soin ? Que cherches-tu dans les yeux de cet être ? Y vois-tu l’heure, mortel prodigue et fainéant ? » je répondrais sans hésiter : « Oui, je vois l’heure ; il est l’Éternité ! »

N’est-ce pas, madame, que voilà un madrigal vraiment méritoire, et aussi emphatique que vous-même ? En vérité, j’ai eu tant de plaisir à broder cette prétentieuse galanterie que je ne vous demanderai rien en échange.

L’Horloge (1857)
Le spleen de Paris -Charles Baudelaire

CHARLES BAUDELAIRE : L’HOMME QUI ÉTAIT TELLEMENT EN AVANCE SUR SON TEMPS QU’IL RESSEMBLAIT DÉJÀ À ANDRÉ MALRAUX

ET DEMAIN, UN ANNIVERSAIRE

3 réflexions sur « Les chinois voient l’heure dans l’œil des chats »

  1. C’est la ressemblance physique entre les deux hommes qui m’avait frappé, et surtout la moue affichée sur leur photo. Je n’avais pas pensé à comparer leur oeuvre ou leur vie, mais peut-être un jour…

  2. Charles Baudelaire, un visionnaire comme le sont les grands poètes.
    “Le poète est semblable au prince des nuées
    Qui hante la tempête et se rit de l’archer;
    Exilé sur le sol au milieu des huées,
    Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.”
    L’Albatros

  3. Malraux n’arrivera jamais à la cheville de Baudelaire, sauf pour l’emphase en effet. Ils se ressemblent jusque dans le regard. Mais Baudelaire est profond, Malraux voudrait l’être : pourtant ce dernier avait matière. Pour ce qui est de leur parcours, l’un est l’antithèse de l’autre. Baudelaire commença comme poète et finit en voyou, Malraux fit l’inverse.
    Bon, pour moi, exit Malraux, que je n’aime pas, je garde Baudelaire jusqu’en ses madrigaux. Vas-y Baubau, c’est toi l’meilleur. Je dirais pour ma part qu’il était tellement en avance sur son temps qu’il est éternel quand les dieux ne le sont pas. Il mérite un Panthéon deux points zéro.

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