Le livre de l’Éthiopien – 5 

Il y a deux mois environ, dans des circonstances peu ordinaires, je suis devenu propriétaire, où peut-être receleur, d’un recueil de poésie. Si vous voulez savoir pourquoi je l’appelle le Livre de l’Éthiopien, vous n’avez qu’à cliquer dessus.

Sur ce livre, des noms sont inscrits. Sur la couverture, en caractères d’imprimerie, on trouve Gustave Merlet et A.Fouraut. C’est normal, ce sont l’auteur et l’éditeur.

Si l’on Gougueulise Merlet, on trouve des choses. Wikipedia n’a rien à dire sur lui, mais l’Académie Française, oui. Par exemple, on apprend qu’il a vécu de 1828 à 1891, qu’il était agrégé de lettres et qu’il a reçu de l’Académie, pour trois de ses ouvrages, trois prix, respectivement de 1200, 2000 et 3000 Francs. Bon.

Sur le Web, il n’y a pas trace de l’éditeur A. Fouraut. C’est à se demander s’il a existé.

Les autres noms qui figurent sur mon volume des « Origines de la littérature française » apparaissent manuscrits sur la deuxième de couverture et la page de garde. Ce sont R.Blondeau, Vinmer, Varangot et Crozer, qui eurent chacun la garde de cet exemplaire pendant toute une année scolaire.

Sur Google, on constate qu’aujourd’hui Vinmer est un fabriquant d’outillage professionnel, que Varangot Patrick dirige une auberge de jeunesse à Saint-Malo, que Crozer est introuvable et que R.Blondeau a dû faire quelque chose de bien car il existe une école R.Blondeau à Chaumont en Vexin.

Pour ce qui est du R.Blondeau de Chaumont en Vexin, il est possible qu’il s’agisse du nôtre, mais de Vinmer, Varangot et Crozer, on ne sait rien ou presque.

Tout ce qu’on sait c’est que le jeune Vinmer était élève de 3ème A, qu’il a écrit son nom à la plume en lettres capitales, très proprement et une seule fois, sur la deuxième de couverture.

C’est sur cette page aussi que Varangot a tracé son nom, en capitales également, mais d’un crayon très hésitant. Sans doute un peu plus tard dans l’année scolaire, d’une main plus sure, il a repris l’exercice, mais à la plume et en lettres liées minuscules. Beau travail. Il est dommage que quelqu’un l’ait rayé d’un trait rageur. Pourrait-ce être le jeune Crozer ?

Monsieur Crozer était certainement un cancre. Il l’a prouvé en signant la page de garde de son patronyme , et au crayon de couleur bleu pâle s’il vous plait. Le traçage du grand C majuscule qui devait entourer les autres lettres de son nom pour valoir signature a été fatal au papier qui s’en est trouvé froissé et déchiré dans la partie supérieure de la feuille. Le vandale !

Il est clair que, dès la classe de 3ème A, R.Blondeau,  voulait laisser son nom à la postérité. En effet, il l’écrivit trois fois sur le bouquin : une fois en lettres capitales sur la tranche du livre — c’est facilement lisible quand on comprime les pages entre le pouce et l’index — une fois en grandes lettres stylisées sur la deuxième de couverture en y ajoutant la date : 1897 et la classe : 3°A, et une fois sous la forme d’une élégante signature — à l’envers — sur la troisième de couverture. Prémonitoire, évidemment. On pourra regretter que les lettres stylisées de la deuxième de couverture aient été partiellement recouvertes d’un méchant gribouillage bleu ciel. Crozer, sans aucun doute.

Vous vous demandez à présent pourquoi je vous parle de quatre élèves de troisième A probablement morts depuis plus de soixante ans, peut-être même avant, à la guerre, ou de la grippe espagnole, ou d’un accident de chemin de fer, ou que sais-je encore ? Pourquoi je vous en parle ? Pour que vous y pensiez. Parce que, depuis que j’ai touché leurs noms sur les pages du Livre de l’Éthiopien, le livre avec lequel ils ont vécu quelques merveilleux mois de leur adolescence, j’y pense, moi, au cancre Crozer, au célèbre R.Blondeau et aux invisibles Vinmer et Varangot.

Allez, pas de poésie aujourd’hui. Je ne suis pas d’humeur.

ET POUR DEMAIN ET  JOURS SUIVANTS :

  • Demain, 8 h 47 min La Rue du Ru de Vrou
  • 19 Jan, 8 h 47 min Les pastiches de Lorenzo – 2
  • 21 Jan, 8 h 47 min Les cartoons de James Thurber – 1
  • 22 Jan, 7 h 47 min ¿ TAVUSSA ? (51) : Shutdown, Gilets Jaunes et Brexit
  • 23 Jan, 7 h 47 min Pour qui n’a plus ni curiosité ni ambition

Une réflexion sur « Le livre de l’Éthiopien – 5  »

  1. Formidable travail d’enquête à partir d’un simple clavier. Fallait y penser ! On ne regardera plus jamais un vieux bouquin de la même façon.
    En fin de compte, nous sommes tous d’insondables inconnus même si notre nombril nous place au centre du monde. Une leçon que d’aucuns feraient bien de méditer, qui se prennent pour le sel de la terre.
    Un bien joli travail, je pense au roman qu’il aurait pu donner s’il s’était poursuivi.

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