Les pastiches de Lorenzo – 2

Les  magrikeruhles  élémentaires
pour  Uhlbec

Ce livre est avant tout l’histoire d’un groupe limité d’hommes et de femmes (appelés les magrikeruhles élémentaires) qui vécurent la plus grande partie de leur vie en Europe occidentale, durant la seconde moitié du XX ème siècle. Généralement ensemble, ils furent de moins en moins souvent en relation avec d’autres hommes et femmes. Ils vécurent en des temps malheureux et troublés où la CARMF, l’URSSAF et tous les impôts augmentaient frénétiquement. Le pays qui leur avait donné naissance basculait lentement, mais inéluctablement, dans la zone économique des pays moyen-pauvres ; fréquemment guettés par la misère, les hommes de leur génération passèrent en outre leur vie dans la solitude et l’amertume. Les sentiments d’amour, de tendresse et de fraternité humaine subsistaient pourtant dans le petit groupe des Magrikeruhles élémentaires qui faisaient preuve de plus en plus souvent dans leurs rapports avec leurs contemporains d’indifférence, voire de cruauté. Ce livre est l’histoire de huit magrikeruhles élémentaires qui, pour échapper à la morosité crépusculaire  ambiante, décidèrent un jour de monter dans le minibus à neuf places.

C’est au milieu des années quatre-vingt-dix que les Magrikerühl partirent pour la première fois en vacances ensemble dans le minibus à neuf places. C’était la fin de l’automne au Portugal, une saison douce comme une gorgée de miel. Sur les bords du Tage, les passants attardés n’en finissaient pas d’attendre sans hâte la fin d’une si belle journée. Dans les brumes de Hollande, ils découvrirent d’inattendus tableaux de Vermeer en noir et blanc et s’en réjouirent longtemps. La Castille encore ensoleillée en novembre leur rappela que cette saison était bénie dans le sud de l’Europe et méritait qu’on lui consacrât encore quelques escapades. Et bien sûr, ils ne furent pas près d’oublier Chinchon … En Sicile, ils s’endormirent avec Syracuse sous les caresses neigeuses de l’écume légère et comprirent la différence entre l’est et l’ouest. L’Hospice Comtesse à Lille, enfin, fut pour tous une agréable surprise. Cinq voyages. Cinq, nombre premier mais synonyme de dernier voyage pour les Magrikerühl. Comment un tel enthousiasme s’éteignit-il aussi rapidement qu’il s’était embrasé ? Laurent ne parvenait pas à le comprendre. D’abord, il s’avéra de plus en plus difficile de trouver une nouvelle destination, les uns ignorant où se situait l’Estramadure et doutant même de son existence réelle, les autres se rétractant pour des motifs somme toute assez acceptables. Puis, à force d’entreprises avortées, les plus volontaires furent progressivement gagnés par une lassitude accablée. Deux ans plus tard, il n’était même plus question de projets même fantaisistes comme ce voyage lointain en Afrique que personne n’aurait pu techniquement financer en cette fin de siècle menacée par le non-paiement des retraites. Plus aucun projet, pas même un rêve ébauché, plus rien, le vide, une carence totale dont on ne connaissait pas encore à cette époque le traitement. Les chroniques magrikeruhliennes qui avaient fait sourire l’ensemble de la communauté disparurent elles aussi et il ne resta bientôt plus, comme témoignage fossilisé de leur lyrisme flamboyant, qu’une poignée de cendres déjà froides venant assombrir la mémoire des plus nostalgiques.

C’est vers cette époque que L. termina ses travaux de recherche dont personne ne connaissait l’existence. Ils confirmaient hélas avec une certitude méthodologique incontournable que le retour à une situation magrikeruhlienne stable, non dépendante des variations de saisons, du portefeuille de chacun ou de la santé chancelante des parents ne pouvait être obtenu en un temps compatible avec l’âge non négligeable de chacun de ses membres qu’au prix d’une minime manipulation génétique déjà bien maîtrisée chez le rat Gunn et d’autres animaux de laboratoire. Il s’agissait d’introduire dans l’organisme sous forme micronisée neuf sièges confortables dont l’agencement subtil dans une molécule à essence serait finalement véhiculé jusqu’aux noyaux gris centraux par un ARN messager obtenu par génie génétique et composé de la succession originale de trois acides nucléiques primaires selon la séquence : MI-NI-BUS. Sous l’action d’une réverse-transcriptase, on pouvait obtenir assez facilement le codon miroir : AU-TO-CAR. Trois principes enzymatiques furent rapidement identifiés comme étant indispensables au bon déroulement de la réaction chimique : l’amitié-synthétase, l’alcool-déshydrogénase ainsi que la participation active de l’ascètühl-coenzyme A, éventuellement remplacé par l’assiettühl-coenzyme A glouton, également efficace mais nettement plus décapant.

Convaincu de la validité de ses travaux expérimentaux, L. fut le premier à s’injecter un bolus de minibuséine transgénique. Cela se passa le 9 / 9 / 99 à 9 heures du matin, c’est à dire très précisément 9 minutes avant que ne survienne l’effroyable catastrophe nucléaire qui devait ravager l’Europe et rayer de la carte en moins de 9 secondes le Portugal, la Castille et la Sicile ….    

3 réflexions sur « Les pastiches de Lorenzo – 2 »

  1. Ah oui, en effet ! En tous cas , c’est fin et talentueux.

    Qu’en pensent les autres lecteurs…?

  2. Je ne suis pas l’auteur de ce pastiche, mais le pastiché ne serait-il pas celui des Particules Élémentaires ?

  3. Un pastiche de qui donc, par conséquent…?

    Entre Jarry et Kafka, on reconnaît bien là une faune familière. Et lorsque l’on songe à ce que fut notre jeunesse, pourtant naïve, on se dit : « Mais que s’est-il passé ! »

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