Le Capitaine Fracasse

Morceau choisi

Le Capitaine Fracasse (1863)
Théophile Gautier (1811-1872)

Vous avez peut-être vu dans votre jeunesse, à la télévision en Noir et Blanc du dimanche soir, le charmant film d’Abel Gance de 1942 « Le Capitaine Fracasse » avec cet acteur élégant qu’était Fernand Gravey. Si vous avez eu un peu moins de chance, vous avez sans doute vu, en 1961 ou plus tard, le film du même nom du laborieux Pierre Gaspard-Huit avec cet acteur très physique qu’était Jean Marais.

Mais vous n’avez probablement pas lu le livre de Théophile Gautier qui inspira ces deux films. Vous n’avez peut-être même jamais rien lu de Théophile Gautier, auteur aujourd’hui oublié qui n’a laissé dans nos mémoires étriquées d’aujourd’hui que le gilet rouge qu’il portait à la première d’Hernani.
Romantique engagé, poète, écrivain, critique d’art, il a connu tout le monde et raconté son époque avec humour.
Mais ce qui, pour moi, le caractérise, c’est le style. Vous allez pouvoir en juger sur les extraits du Capitaine Fracasse que j’ai reproduit ci-dessous.
Dans ce mélodrame de cape et d’épée qui

se déroule sous Louis XIII, le baron de Sigognac s’ennuie dans son château médiéval en ruines. Un soir de tempête, il accueille une troupe de théâtre itinérante avec qui il partira à l’aventure. Dans les textes qui suivent, Gautier décrit un à un les membres de la troupe. Comme il est connu que vous n’avez que peu de temps — mais qu’est-ce que vous avez donc d’autre à faire ? — je n’ai reproduit pour chaque personnage que les premières lignes de leur portrait… et j’ai supprimé les hommes.

La Sérafina était une femme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, à qui l’habitude de jouer les grandes coquettes avait donné l’air du monde et autant de manège qu’à une dame de cour. Sa figure, d’un ovale un peu allongé, son nez légèrement aquilin, ses yeux  gris à fleur de tête, sa bouche rouge, dont la lèvre inférieure était coupée par une petite raie, comme celle d’Anne d’Autriche, et ressemblait à une cerise, lui composaient une physionomie avenante et noble, à laquelle contribuaient encore deux cascades de cheveux châtains descendant par ondes sur ses joues, où l’animation et la chaleur avaient fait paraître de jolies couleurs roses…

L’Isabelle était plus jeune que la doña Sérafina, ainsi que l’exigeait son emploi d’ingénue ; elle ne poussait pas non plus aussi loin la braverie du costume et se bornait à une élégante et bourgeoise simplicité, comme il convient à la fille de Cassandre. Elle avait le visage mignon, presque enfantin encore, de beaux cheveux d’un châtains soyeux, l’œil voilé par de longs cils, la bouche en cœur et petite, et un air de modestie virginale, plus naturel que feint….

La soubrette méritait en plein l’épithète morena que les Espagnols donnent aux brunes. Sa peau se colorait de tons dorés et fauves comme celle d’une gitana. Ces cheveux drus et crépelés étaient d’un noir d’enfer et ses prunelles d’un brun jaunes pétillaient d’une malice diabolique. Sa bouche grande et d’un rouge vif laissait luire par éclairs blancs une denture qui eût fait honneur à un jeune loup. Du reste, elle était de cette maigreur jeune et bien portante qui ne fait point mal à voir….

Dame Léonarde, la mère noble de la troupe, était vêtue de noir comme une duègne espagnole. Des coiffes d’étamine encadraient sa figure grasse à plusieurs mentons, pâlie et comme usée par quarante ans de fard. Des tons d’ivoire jauni et de vieille cire blêmissaient son embonpoint malsain, venu plutôt de l’âge que de la santé. Ses yeux, sur lesquels descendait une paupière molle, avaient une expression d’astuce, et faisaient comme deux taches noires dans sa figure blafarde. Quelques poils commençaient à encombrer les commissures de ses lèvres, quoiqu’elle les arrachât soigneusement avec des pinces. Le caractère féminin avait presque disparu de cette figure, dans les rides de laquelle on eut retrouvé bien des histoires, si l’on eût pris la peine de les y chercher…

ET DEMAIN, UN TABLEAU

7 réflexions sur « Le Capitaine Fracasse »

  1. Hier soir j’ai adressé un dernier commentaire (censuré par le modérateur?) remerciant Philippe et Jean pour leurs propositions toutes valides. Je disais aussi que j’avais finalement arrêté mon choix sur le mot exaltant, non pas qu’il soit le mot absolument juste mais parce qu’il traduisait ce que j’avais voulu dire à propos du style de Théophile Gautier pour exalter l’imagination du lecteur à propos d’un événement aussi, comment dire, aussi prégnant, ou haletant, ou palpitant, qu’un duel. Le cinéma à sa façon de faire, mais avec la littérature il s’agit bien d’exalter l’imagination avec des mots, avec le style justement. Hier j’avais développé une argumentation plutôt alambiquée, reprenant Buffon et le style. Peu convaincu par elle, je l’ai effacée et remplacée par un triple zut. J’y reviendrai un jour.

  2. pregnant, passionnant, prenant, palpitant, excitant, saisissant… ?

  3. Au moins je sais que mes figures de style sont incongrues bien trop souvent, le signe d’une spontanéité incontrôlée. Ce matin, pressé par le temps et voulant absolument terminer mon commentaire, j’ai écrit le premier mot venu à mon esprit: poignant, mot totalement inapproprié pour décrire le style de Théophile Gautier à propos de scènes de cape et d’épée. Lamentable association d’idée et de mot, même si l’épée pourrait être considérée comme une arme de point. Je bat ma coulpe et en appelle à la clémence des juges. Le problème est qu’à la réflexion je n’ai pas encore trouvé le mot qui convienne. Zut zut et zut!

  4. Merci, Jean antolinos, pour le signalement : les fautes sont maintenant corrigées.

  5. Le Capitaine Fracasse! Si je m’en souviens bien! C’est mon premier livre de vraie littérature que j’ai lu passionément dans la collection Rouge et Or, un cadeau de Noël, sans savoir d’ailleurs qu’il s’agissait d’une version écourtée pour enfants. Je l’ai relu dernièrement après avoir acheté une version originale dans une boutique de livres d’occasion située à Somail dans l’Aude (je crois en avoir déjà parlé dans le JDC). Deux choses m’ont plu: d’abord, l’histoire qui tourne autour du theâtre, un théâtre itinérant du 17ème siècle comme Molière a du le connaître, un théâtre avec de vrais acteurs chacun dans son rôle type, tels qu’ils sont précisément décrits avec style dans les extraits sélectionnés au-dessus; ensuite, à la manière de certains films hollywoodiens, c’est un “feel good” roman qui se termine bien pour le Capitaine qui retrouve la gloire de son nom, l’amour et la fortune. Un dernier mot, les scènes de cape-et-d’épée sont pas mal non plus et décrites avec un style peut-être encore plus poignant que celui d’Alexandre Dumas dans Les Trois Mousquetaires.

  6. Cascatelle de souvenirs. Trop jeune pour apprécier le style de Théophile Gautier, il me revient qu’à l’épreuve de rédaction du certoch, la surveillante qui lisait par dessus mon épaule me conseilla de remplacer « figure » par « visage ». J’obtempérai aussitôt, confus. Merci Théophile.
    Le correcteur a laissé passer : … »à laquelle contribuai(en)t deux cascades de cheveux… », ainsi que … »l’animation et la chaleur avai(en)t fait paraître… ». C’était le quart d’heure vétilleux du prof de lettres que jamais je ne fus.

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