Aurélien et Bérénice : Un coup de baguette magique (2 : suite et fin)

Je ne vais pas résumer ce qui s’est passé avant ce qui suit. Vous n’avez qu’à le lire en  

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(…)

—Ah, Bérénice ! dit Roger qui avait des lettres car il n’avait manqué son baccalauréat que de peu. Bérénice ! Reine de Palestine, maitresse de l’empereur de Rome ! Bérénice, quel prénom magnifique, et quel excellent choix, mademoiselle !

Impressionnée, Yvonne avait commencé à se lever, lissant d’une main sa coiffure et de l’autre sa minijupe en lycra doré façon crocodile. Puis elle fit quelques pas chancelants vers le centre de la pièce tout en minaudant :

—Je suis confuse. Je manque un peu de sommeil ces temps-ci et j’ai dû attraper un petit rhume au Musée du Louvre… Je dois être affreuse…

—Mais non, mais non, répondit machinalement Roger tout en observant Yvonne dans le faisceau du projecteur que ce salaud de Francis venait d’allumer.

C’était la première fois que Roger voyait Yvonne en pleine lumière et dans sa totalité. Moi aussi. Il la trouva étonnamment laide. Moi, pareil. Ses traits étaient remarquablement asymétriques : son nez aiguisé s’incurvait du haut en bas vers la gauche et son menton pointu obliquait franchement dans la même direction comme pour suivre le mouvement initié plus haut. Semblable à un toit de chaume au-dessus d’une fenêtre en œil-de-bœuf, son sourcil droit, plus haut que le gauche, surmontait un œil couleur café au lait, mais avec plus de lait que de café. Si son œil droit était pratiquement de la même couleur que le gauche, il s’obstinait à regarder dans une direction différente de celle de son faux jumeau. Cachées par des cheveux épais dont la couleur rappelait vaguement celle de ses yeux, quoiqu’avec un peu plus de café, ses oreilles demeuraient invisibles. En moi-même, je me dis que c’était préférable. Sa bouche et ses dents étaient chez elle ce qu’il y avait de plus réussi : il n’y avait pratiquement rien à leur reprocher. C’était déjà ça. Mais sa silhouette ! Mon Dieu, sa silhouette !  Malgré sa taille moins que moyenne, Yvonne arrivait à paraitre dégingandée. C’était l’effet de sa grande maigreur à laquelle s’ajoutait une légère scoliose idiopathique. Poitrine creuse, dos vouté, bras ballant, pas trainant, c’était la posture qui lui semblait coutumière. Mon examen achevé, plantant là Aurélien qui contemplait la catastrophe en se triturant le menton, je passai rapidement aux toilettes pour éclater de rire à mon aise et vomir un peu. Quand j’en ressortis quelques minutes plus tard, j’étais un homme neuf, pratiquement dessoulé. Mais Roger et Yvonne avaient disparu. Aurélien et Bérénice aussi. Ne restait plus que le barman qui poursuivait sa lecture en se rongeant un ongle. Comme la bougie allait bientôt s’éteindre et que Francis n’était pas mon genre, je rentrai chez moi.

Ce n’est que le lundi suivant notre escapade que je revis Ratinet. Alors que nous fumions tous les deux une cigarette clandestine sur le balcon du 25 rue de Londres, il me raconta tout ce que j’avais manqué.

—Tu comprendras certainement, mon cher Augustus…

Je compris d’abord et surtout qu’il n’avait pas dessoulé depuis l’avant-veille et qu’il était toujours Aurélien-Edgar de Chassy-Poulet.

—… qu’un homme tel que moi ne pouvait planter-là une demoiselle en détresse. Le fait que Bérénice n’ait été que fort peu gâtée par la nature n’était pas une raison suffisante pour que je lui fasse l’affront de ne pas la reconduire chez elle. C’est pourquoi, après avoir gratifié l’aubergiste d’un pourboire aussi royal qu’immérité, je hélai une voiture de place et, contrairement à la proposition de gentilhomme que je venais de lui faire, je la conduisis à mon domicile. En effet, dans l’intimité de la limousine, Bérénice m’avait confessé, à sa grande honte, qu’en fait, de chez elle, elle n’avait point, dormant de ci, de là, chez les uns, chez les autres, au Sexy Follies ou même chez Francis, le tôlier, comme elle disait plaisamment. Arrivé chez moi, tandis qu’elle commençait à se déshabiller, j’examinai à nouveau la personne et la situation. Je ne les trouvai satisfaisantes ni l’une ni l’autre. Je tentai bien de me raisonner en me rappelant qu’Oscar Wilde avait dit que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde. Mais Oscar Wilde n’avait certainement jamais regardé Bérénice, enfin pas celle-là. Il était tard, il fallait conclure ou passer pour un goujat. Je me dis que le Comte de Malpertuis et seigneur de Champ de Faye ne devait pas, ne pouvait pas se conduire comme le premier gougnafier venu, et prenant mon courage à deux mains mon cousin, je m’avançai vers la femme à demi dévêtue et …

—Et… ? Ne me dis pas que tu … que vous …

­—… et, fermant les yeux, je déposai sur ses lèvres offertes un baiser.

—C’est bien ça ! Alors, tu l’as … vous avez … C’est pas Dieu possible ! Avec la Bérénice ?

—… un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ? Un simple baiser…

— J’y crois pas !

—… un chaste baiser, à peine effleuré, qui n’avait pour intention que d’accompagner doucement, tendrement ce que j’avais à lui dire…

—Et c’était quoi, ce que tu avais à lui dire, Roger ? « C’est combien ? »

—Vraiment, Gussie, tu es d’un vulgaire ce matin ! Non, j’avais à lui dire quelque chose comme : « Mademoiselle », ou peut-être « Charmante Bérénice, nous avons passé jusqu’ici une bien belle soirée. Ne la gâchons pas dans la sueur, le stupre et l’exultation. Gardons intact le mystère de nos corps. Ainsi, nous nous souviendrons longtemps de la communion de nos esprits. Rendons notre rencontre plus mémorable encore en brisant là, ici et maintenant. Je vous appelle un taxi. Bonsoir, à un de ces quatre, et mes amitiés à Francis !

—Ouf ! Tu m’as fait peur. Franchement, je ne vous voyais vraiment pas…

—Laisse-moi donc te narrer l’affaire jusqu’à son terme, impatient ami. J’achevai à peine de dire « Mademoiselle, nous avons passé jusqu’ici une bien belle soirée » qu’elle se jetait à mon cou en ordonnant : « Embrasse-moi encore, mais en disant les mots ». « Les mots, quels mots, l’interrogeai-je ? » « Eh bien les mots », dit-elle, « enfin, tu sais bien ». Je dus lui jurer que je ne savais pas pour qu’elle veuille bien préciser. Eh bien, ces mots, c’était :  » Sois mienne, Ô Bérénice, je serai ton Titus ». « Si cela vous amuse », lui dis-je et je m’exécutai. « Sois mienne, Ô Bérénice, je serai ton Titus ». « Encore ! » souffla-t-elle en haletant. Je pris un instant pour retrouver ma respiration, et je repris l’alexandrin : « Sois mienne, et cetera… » « Encore ! exigea-t-elle ». Je protestai : « Écoutez Bérénice, il est tard, je suis fatigué et cette situation tourne au ridicule. Vous êtes en train de gâcher une bien belle…  » « Ta gueule, pauvre cloche ! cracha-t-elle en m’agrippant aux revers. Dis encore une fois les mots, ou je t’expédie un coup de genou dans les joyeuses. Compris ? » Je cédai : « Bon, d’accord. Mais c’est la dernière fois. Sois mienne, Ô Bérénice, je serai ton Titus. Ça va ? Vous êtes contente maintenant ? »

—Complètement folle, la greluche ! Moche et folle, c’est le pompon !

—Ne dis plus rien, Augustus Fink-Nottle, tu pourrais le regretter. Écoute plutôt : Alors que je venais de prononcer pour la troisième fois le nom de Titus, une chose étrange se produisit qui en annonçait de plus étranges encore. Pendant que je poursuivais avec « Ça va ? Vous êtes contente maintenant ? « , l’air sembla s’électriser : comme un brouillard tombant du plafond, une faible lueur bleutée se répandit dans mon salon tandis qu’un sourd vrombissement à basse fréquence envahissait la pièce. Bérénice semblait figée, comme en extase. Bêtement, je répétai : « Ça va ? Vous êtes contente maintenant ? » Elle sortit de sa transe, leva vers moi des yeux révulsés, prononça dans un chuintement ophidien : « Oouuiiiich… » et disparut dans un bruit d’étoffe déchirée et un nuage de vapeurs orangées. Quand la vapeur se dissipa, il y avait devant moi, au sol, un petit tas de vêtements et, debout, une splendide jeune femme entièrement nue. Nous fîmes l’amour sans discontinuer tout le reste de la journée et toute la journée suivante. Voilà.

Saisi de stupéfaction, je demeurai silencieux pendant plusieurs secondes, puis, prenant sur moi-même, je réussis à refermer ma bouche, à déglutir deux fois et, enfin, à prononcer :

—C’est pas vrai ?

—Non, c’est pas vrai. Mais c’est chouette, non ?

FIN

 

 

 

6 réflexions sur « Aurélien et Bérénice : Un coup de baguette magique (2 : suite et fin) »

  1. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse,
    Même si celui-ci est trop mou de la fesse,
    Se dit monsieur le Comte en montant à l’assaut
    De cette Bérénice. Ah, qu’il se trouvait sot,
    Devant cette catin qui n’avait rien qui vaille!
    mais, en digne seigneur du nom de Champ de Faye,
    Jouant de bravoure face à ce laideron,
    iIl passa une nuit confortable au giron
    De cette défraichie, cette antique grisette,
    Qui, de son peu de dents, lui avait fait risette.
    Ah, soyons réaliste: un homme, peu ou prou,
    Se soucie du flacon pour peu que, de son trou,
    Coule un délicieux doux nectar d’ambroisie….
    D’y boire, l’occasion se doit d’être saisie!

    cQfd

  2. Hum! Le coup du Père François? Rude coup, un coup dur pour le moins.

  3. Aujourd’hui, c’était le coup de baguette magique. Le coup de Jarnac, c’est pour après-demain. Merci pour le coup de père François.

  4. Du tac au tac
    Est-ce bien là l’attendu coup de Jarnac?
    Ce coup habile dont je voulais parer l’attaque
    M’étant préparé avec mon cher Bergerac.

    Habile, il le fut, loyal, à la cosaque
    Le coup m’a surpris et m’estomaque
    Avec la saveur d’un bon cognac
    Agissant tel un aphrodisiaque.

    Le surnom de Bérénice convenait à Yvonne
    Condamnée comme le fût François Vivonne *
    A faire les frais de n’être point mignonne
    Pour une lecture qu’on affectionne.

    * François Vivonne, Seigneur de la Châtaigneraie, bretteur renommé, dans un duel célèbre le 10.7.1547 en présence du roi Henri II, reçut le fameux coup porté par Gui Chabot de Jarnac et mourût le lendemain de honte plus que de sa blessure.

  5. Une bien belle histoire, encore qu’il y manque la citrouille et le carrosse. Pari tenu pour l’incipit. Comme quoi…
    Comme quoi rien du tout si ce n’est, mon cher Philippe, qu’il ne te reste plus qu’à financer l’avocat qui devra te défendre contre les ligues féministes.
    Tu peux compter sur moi pour être le témoin de ta moralité. Ah misère…

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