Les portraits de Lorenzo (2)

Quand on regarde madame A. E. on se demande comment elle peut être ainsi à son âge. Les dix interventions subies après son grave accident de la circulation n’apportent pas d’explications, pas plus que son bronzage un peu excessif. Elle semble n’avoir que quarante-cinq ans alors qu’elle en a vingt de plus. C’est assez déroutant. En retrouvant par hasard son premier dossier à mon cabinet, j’ai pu constater que j’avais de la suite dans les idées … En effet, onze plus tard, et ne me souvenant pas l’avoir déjà vue, j’avais remis la même et très rare appréciation sur la première page, trois petites croix-plus. D’ailleurs, elle non plus n’avait pas changé.

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Martin C. était professeur de cinéma à Tunis. Aujourd’hui retraité, il vit à Sidi Bou Said et je comprends qu’il n’envisage guère de revenir à Paris. Etudiant en médecine, j’y avais fait un de mes tout-premiers voyages à l’étranger. J’ai le souvenir obsédant des odeurs mêlées de la mer et du jasmin tandis que nous roulions vers Carthage de nuit, fenêtres ouvertes, dans un taxi de fortune. L’oncle de mon amie avait loué une splendide demeure de notable dont les chambres toujours fraîches étaient réparties autour d’un patio ouvert sur la plage. C’était le Paradis. Et puis nous allâmes à Sidi Bou Said, Kairouan, Tozer, Nefta et Djerba. Ce fut une aventure imprévue pour le parisien que j’étais. Je découvris le charme de cette terre qui vous envoute et vous enivre. Je compris soudain l’attachement de ces milliers d’hommes et de femmes à ce pays où ils étaient nés et qu’ils ne voulaient pas quitter. Je réalisai que l’Histoire n’était pas toujours celle de ceux qui l’avaient vécue. Je comprenais Camus. J’étais malheureux comme un gamin dont le jouet est cassé avant qu’on ne le lui offre. Ce voyage, mon premier voyage, m’a révélé le Monde, sa poésie et son charme. Il m’a ouvert les yeux et le cœur.

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Madame Marie M. est une très belle femme brune aux cheveux longs et aux yeux gris clair. Je reconnais qu’elle m’impressionne toujours malgré ses cinquante ans. Professeur de philosophie et psychanalyste, elle a une fille de dix-sept ans et elle a quitté son mari. Nos conversations sont chaleureuses. Comme d’habitude, je n’en ai pas compris la première page du livre qu’elle avait écrit. C’est habituel chez moi : je ne comprends rien au vocabulaire et aux écrits des psychanalystes. Mais pourquoi s’expriment-ils dans une langue inaccessible aux profanes ? « L’obscurité est le royaume de l’erreur » (Vauvenargues)

ET DEMAIN, UNE EXCLUSIVITÉ DU JOURNAL DES COUTHEILLAS

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