L’interminable et lamentable histoire des disparus de la rue de Rennes (13)

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Résumé : On sait maintenant pourquoi les quarante premiers numéros de la Rue de Rennes n’existent pas et n’ont jamais existé : Napoléon III voulait prolonger cette rue jusqu’à la Seine mais Eugénie n’a pas voulu. Alors… Yvonne Ratinet le sait, Babette Éméchant le sait, Marianne le sait et l’OBS ne va pas tarder à le savoir.

13-  Dans les pas de l’Impératrice

Où l’on verra un vieux grec atteindre les limites de la flagornerie. 

A son retour de Val d’Isère, Renaud trouva le rapport Éméchant. La méthode de lecture rapide qu’il avait apprise lors d’un séminaire professionnel de deux semaines à Las Vegas du temps où il travaillait à l’OBS lui permit de comprendre en moins de quarante-cinq secondes que, dans cette histoire de la Rue de Rennes, il n’y avait pas de matière pour un article à scandale dans Marianne. La consultation de Wikipédia le lui confirma bientôt. Il se promit de faire savoir en temps utile à son ami Mathieu que son tuyau était ramolli et qu’en conséquence, il ne lui était en rien redevable.

Mais tout ce travail ne devait pas rester vain. Il se trouve que, pour arrondir ses fins de semaine, à l’insu de son employeur officiel, Renaud travaillait comme pigiste pour le magazine « A Paris« , bulletin hebdomadaire rédigé en écriture inclusive, édité à grands frais par l’Hôtel de Ville et destiné à célébrer les réalisations de la Municipalité en général et de sa patronne en particulier. C’est ainsi que, de temps en temps, Renaud y enfonçait quelques portes ouvertes dans des petits billets pleins de sagesse et d’habile flatterie qu’il signait du nom d’Homéotéleute d’Antanaclase. Ça faisait sérieux, cultivé, et personne ne savait vraiment qui avait bien pu être ce personnage, certainement mort, grec et philosophe.

En quelques minutes, il rédigea donc son prochain billet et l’envoya à Hubert Lubherlu qui, en plus de ses fonctions de Chef de Cabinet, avait la tâche de contrôler et d’autoriser les publications de « A Paris« . Il touchait d’ailleurs pour cela une conséquente prime de salissure. Lorsque Hubert eut lu l’article, qui dégonflait singulièrement l’affaire qui lui avait valu l’engueulade et la cuite la plus sévère de sa vie post-estudiantine, il ne vit aucun inconvénient, au contraire, à le laisser publier.

Cet article disait ceci :

Dans les pas de l’Impératrice

Chacun.e sait (14) qu’à Paris, la Rue de Rennes ne commence qu’avec le numéro 41. Pourtant, peu de gens en connaissent la véritable raison. A la suite de longues recherches dans la poussière des archives et des mémoires, les spécialistes du service historique de la capitale ont découvert la raison de cette apparente anomalie. Il ne s’agit pas, non, d’une bête erreur technique d’un.e ingénieur.e inexpérimenté.e ni de l’oubli malencontreux d’un.e obscur.e préposé.e au cadastre, mais de tout autre chose. En 1853, lorsque le percement de la Rue de Rennes fut décidé, son tracé était tel que, s’il épargnait l’église Saint-Germain des Prés, il n’en était pas de même pour le Palais de l’Institut. Il passait en plein dessus. Quand ce détail du projet fut connu du public, des protestations s’élevèrent de toutes parts contre la démolition de ce bâtiment : les Académicien.ne.s craignaient de devoir tenir leurs séances du dictionnaire en plein air, et à leur âge, vous comprenez… ; les riverain.e.s protestaient à l’avance contre les nuisances que le chantier ne manquerait pas de leur apporter pendant des années, et les conducteur.rice.s d’omnibus à impériale et les cocher.e.s de fiacre menaçaient de faire grève si on leur supprimait la place sur laquelle ils aimaient à faire la sieste entre l’Institut et le Pont des Arts. Bref, la moitié de Paris s’élevait contre la démolition, tandis que l’autre moitié s’en contrefichait impérialement. Mais le Baron Haussmann, initiateur du projet, et l’Empereur Napoléon III en tenaient pour lui et ils tenaient bon. Pourtant, comme on peut encore le constater si l’on se donne la peine de parcourir le Quai Conti entre la rue Guénégaud et la rue Bonaparte, la coupole dorée se dresse toujours fièrement face au Pont des Arts et au Louvre. En effet, l’Institut n’a jamais été démoli. Et pourquoi, s’il vous plait ? Mais parce que l’Impératrice Eugénie s’y est opposée : selon ses propres mots, elle trouvait « la bâtisse très mignonne ».

Et l’on sait que ce que femme veut, Dieu le veut.

C’est ainsi que la partie de la Rue de Rennes qui devait accueillir les quarante premiers numéros à partir de la Seine ne fut jamais achevée. Et c’est ainsi que la rue de Rennes commence au numéro 41. Et c’est ainsi que nous devons d’avoir encore parmi nous ce magnifique palais du XVIIème siècle.

Ah ! Ce que femme veut…

Devant cette anecdote historique et exemplaire, comment ne pas céder à la tentation d’établir un parallèle entre l’Impératrice Eugénie, protectrice de l’Institut contre les assauts des tenants de la circulation et notre Maire, Anne Hidalgo, qui, il faut bien le dire, use sa santé à défendre le magnifique patrimoine parisien contre les suppôts facho-machistes réactionnaires et misogynes de l’automobile.

Homéotéleute d’Antanaclase

A SUIVRE

Notes du chapitre 13

(14)          Quand on vient d’apprendre un truc que l’on ignorait, la technique de base du journaliste et de l’homme élégant est de faire comme si tout le monde en général, et soi-même en particulier, le savait depuis longtemps.

 

ÇA, C’ÉTAIT LE CHAPITRE 13

LE CHAPITRE 14, C’EST ICI

Une réflexion sur « L’interminable et lamentable histoire des disparus de la rue de Rennes (13) »

  1. Comme quoi, l’impératrice Eugénie n’a pas peu contribué à la physionomie du Paris actuel, sans même toucher un fil à plomb.

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