L’interminable et lamentable histoire des disparus de la rue de Rennes (7)

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Résumé : Une quarantaine de numéros de la Rue de Rennes manquent toujours à l’appel, et l’on ne sait toujours pas pourquoi. Mais que fait la police ? La Mairie, elle, a choisi habilement de ne rien faire, pensant ainsi que l’affaire mourrait de sa belle mort. C’était sans compter sur Cottard, Ceconde de son prénom, qui a tout balancé à l’OBS qui, par habileté politique, a refilé le tuyau à Marianne, le magazine, pas la République.

7-La stagiaire

Où l’on appréciera les avantages et les inconvénients du stagiaire dans la presse de gauche.

Quand Renaud eut parcouru le rapport Ratinet, il jugea que dans cette affaire, il n’y avait que des coups à prendre. De plus, il la trouva un peu trop technique pour lui et, de toute façon, il était déjà assez occupé comme ça avec son article sur la collection de chaussures de luxe du député de la troisième circonscription de Savoie Atlantique. Il décida donc de confier le débroussaillage des disparitions de la rue de Rennes à la jeune Éméchant, une stagiaire qu’on venait de lui flanquer dans les pattes.

D’une manière générale dans la presse, les stagiaires, c’est la plaie. Il faut tout le temps leur trouver des trucs à faire, répondre à leurs questions idiotes par des aphorismes blasés en priant qu’ils ne bousillent pas la machine à café. D’un autre côté, les stagiaires, pour un journaliste encarté, ça présente des avantages. Ça permet de ne pas faire soi-même tout un tas de choses ennuyeuses et, dans les cas épineux, de tâter le terrain sans prendre trop de risque auprès des propriétaires du journal : « Qu’est-ce que vous voulez, Patron, j’ai tourné les yeux cinq minutes, et ça a suffi pour que ce crétin nous foute le sujet en l’air en téléphonant directement au Chef de Cab. Moi, c’est simple, les stagiaires, j’en veux plus !« .

Et pourtant, Renaud venait d’en « toucher » une de stagiaire, Mademoiselle Éméchant. Dix-neuf ans et demi, taille moyenne, poids moyen, cheveux sales et grosses lunettes, la petite Éméchant était élève de troisième année de l’École de Journalisme de Guéret (8). Dès son arrivée, elle s’était montrée enthousiaste à l’idée de faire la plus petite photocopie ou le moindre capuccino pour les professionnels vénérés dont elle ne revenait pas de respirer le même air qu’eux. Alors, vous pensez, une enquête confidentielle, elle allait grimper au mur. Éméchant lui paraissait donc convenir parfaitement à la situation.

Il prit son air le plus Robert Redford possible, puis il passa la tête dans la salle de rédaction et cria :

—Éméchant ! Dans mon bureau !

La petite arriva aussitôt. Toute rose d’émotion, elle se planta devant son chef en disant :

—Oui, Monsieur Dély ?

L’autre fit semblant de relever la tête d’un travail important et dit :

—Ah ! Mademoiselle Éméchant ! Élisabeth, c’est ça ? Tu peux m’appeler Renaud, tu sais. Ça t’ennuie pas que je t’appelle Babette ? C’est plus court, c’est plus gentil, et puis Babette Éméchant, c’est marrant, non ?

Ça faisait bien quinze ans qu’elle entendait cette plaisanterie. Et ça faisait bien dix ans qu’elle en voulait à ses parents de ne pas l’avoir appelée Marie, ou Julie, ou même Rosine ou Célimène. Elle fit quand même semblant d’étouffer un petit gloussement pour montrer à son patron qu’elle aussi appréciait son humour.

—Tiens, c’est vrai, je n’y avais pas pensé. Je pourrais peut-être aller bosser chez Charlie Hebdo…

Renaud resta de marbre. Ici, c’était lui qui faisait les plaisanteries et surement pas une stagiaire en forme de pot à tabac, non mais !

—Bon, voilà, lui dit-il froidement en lui tendant le rapport Ratinet. Ultra-confidentiel, ultra-sensible, ultra-secret. Tu n’en parles à personne, ici, chez toi ou ailleurs. Ce machin ne sort pas du journal.  Tu le lis à fond, et demain, tu m’e-mail un résumé en deux cents mots maxi. Le soir, tu enfermes tout ça à clé dans un tiroir. Ensuite, tu cherches, tu fouilles, tu renifles. Tu vas sur place si tu y tiens, tu peux même prendre un café aux Deux Magots en note de frais, mais tu ne parles à personne, tu n’interroges personne. Tous les soirs, tu me fais un petit mail pour me dire où tu en es. Je pars ce soir aux sports d’hiver. On se revoit dans huit jours exactement. D’ici là tu m’auras fait un projet avec les grandes lignes d’un article, avec deux ou trois approches possibles. Tu vois ce que je veux dire, contre Hidalgo, pour Hidalgo ou neutre… factuel, quoi ! Pigé ?

La petite Éméchant n’en revenait pas. Une enquête, confidentielle, secrète, avec un projet d’article à la clé !

—Est-ce que …, commença-t-elle.

—Ah, ne commence pas à faire des histoires, hein ! Je t’ai dit tout ce qu’il y a à savoir. Dégage ! Faut que j’aille faire ma valise.

Elle partit sur un petit nuage.

A SUIVRE

Notes du chapitre 7

(8)            Guéret, c’est dans la Creuse.

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3 réflexions sur « L’interminable et lamentable histoire des disparus de la rue de Rennes (7) »

  1. Cette histoire au long cours – puisse-t-elle être aussi longue que l’Amazone – devient de surcroît inénarrable, avec son Renaud Dély de Fuite, et son école de journalisme à Guéret (quand t’es au fond du trou, t’arrêtes de Creuser).

    Jim, en France, nous avions aussi les « saute-ruisseau ». Qui oeuvraient essentiellement chez les notaires….

  2. La Creuse, ha ha, bien trouvé pour y mettre une école de journaliste.

    Un stagiaire (ou un garçon de bureau disponible pour toutes les tâches serviles) aux US est généralement appelé un « go for » (pour « go for a coffee » par exemple), prononcé « gopher », nom d’un petit animal champêtre, un rongeur qui fouille le sol et les haies (a « burrowing rodent » est la définition). J’ai bien dit le sol et pas une autre matière que fouille par exemple le sympathique bousier, un coléoptère celui-là. Ces précisions zoologiques me semblent importantes à connaître ici car la campagne de La Creuse (« Shut up and dig ») abrite beaucoup de gophers.

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